Les choses n'avancent pas pour l'armée ukrainienne. Jusqu'à présent, elle n'a pas réussi à libérer de grandes portions de territoire lors de sa contre-offensive. L'inquiétude à ce sujet grandit à Kiev et en Occident. Les appels aux négociations se font à nouveau entendre. Mais cela a-t-il un sens? Même si l'Ukraine le voulait, Poutine serait-il prêt à négocier?
Gustav Gressel, expert militaire et russe, explique les erreurs commises par l'Ukraine et les conclusions que Vladimir Poutine devrait en tirer.
Jusqu'à présent, l'Ukraine n'a pu libérer que de petites parties de son territoire cet été. La contre-offensive ukrainienne a-t-elle échoué?
Gustav Gressel: Elle n'aura échoué que si l'Ukraine l'annule ou si l'offensive s'arrête sans explication. Mais c'est vrai: il est de plus en plus douteux que l'Ukraine puisse atteindre ses objectifs opérationnels.
Il existe donc une chance théorique que l'armée ukrainienne réussisse une percée dans cette offensive?
Disons que je ne partage pas le pessimisme qui se répand actuellement. Il y a encore des chances que l'Ukraine puisse libérer des parties importantes de son territoire. Mais il y a aussi beaucoup d'impondérables que nous pouvons difficilement évaluer, car nous ne connaissons pas les chiffres exacts.
Les Russes tentent à nouveau de passer à l'offensive. Cela dépendra aussi de la capacité de l'Ukraine à gérer l'énorme longueur du front pendant l'hiver.
Le président Volodymyr Zelensky pourrait-il se permettre politiquement d'annuler purement et simplement la contre-offensive?
C'est ce que je prévois. Du moins la contre-offensive de cette année, car nous allons probablement assister à une longue guerre. Pour l'Ukraine, il s'agit aussi de tirer les bonnes leçons des derniers mois. L'année prochaine, ils pourraient lancer une nouvelle offensive différemment.
Pourquoi est-ce important?
Les guerres sont un processus d'apprentissage permanent. Les Russes ont appris à bien se défendre. Notamment parce que l'armée russe a vu son offensive hivernale échouer. Cela pourrait aussi s'appliquer à l'Ukraine, mais nous n'en sommes pas encore là actuellement. Dans les semaines à venir, Kiev va continuer à essayer de se rapprocher des lignes de défense russes et de les percer. Mais même si elle y parvient, l'Ukraine pourra en tirer des leçons pratiques.
Quelles erreurs l'Ukraine a-t-elle commises lors de cette contre-offensive?
Je ne comprends pas pourquoi l'armée ukrainienne a mis l'accent sur des endroits du front où la défense russe est très dense. D'autres faiblesses sont une conséquence de la guerre: l'armée ukrainienne s'est extrêmement développée depuis le début de l'invasion russe.
Il est donc difficile de maintenir la qualité des unités à un niveau élevé. A cela s'ajoute le fait que l'Ukraine a donné à des unités nouvellement constituées le matériel de guerre moderne provenant de l'Ouest. La courbe d'apprentissage était tout simplement trop abrupte, ce qui a entraîné des erreurs tactiques.
Vous vous montrez pessimiste concernant la contre-offensive ukrainienne. L'Occident commence-t-il à perdre son sang-froid?
La situation est bien sûr un peu tendue, surtout pour moi et mes collègues qui ont fait beaucoup de lobbying pour les livraisons de Leopard. Car l'impact sur la guerre est relativement faible jusqu'à présent et les critiques en profitent pour dire que nous avons dit des bêtises.
C'était des bêtises?
Non, quelle aurait été l'alternative? L'Ukraine est attaquée par la Russie et subit de lourdes pertes. Elle a donc besoin d'une arme de blindés et les réserves de matériel soviétique en provenance d'Europe de l'est sont bientôt épuisées.
C'est pourquoi il vaut mieux que l'Occident réfléchisse dès aujourd'hui à la manière dont il pourra organiser la production et l'approvisionnement si la guerre se prolonge. Les Léopard 1 que l'Allemagne livre sont la moins mauvaise des solutions.
L'Occident est-il en train de s'essouffler?
De nombreux pays occidentaux semblent partir du principe que la guerre sera bientôt terminée. Mais c'est une erreur. Le chancelier allemand Olaf Scholz l'a dit lui-même:
Du point de vue de l'Occident: les efforts militaires servent à obtenir une meilleure position de négociation avec la Russie. C'est une erreur d'appréciation fondamentale qui a conduit à ce que l'Ukraine ne soit pas armée plus rapidement et ne puisse pas avoir plus tôt des succès tangibles sur le champ de bataille. Nous avons un problème et le problème grandit chaque jour où nous ne faisons rien.
Mais la pression sur Kiev pour qu'elle négocie avec Poutine pourrait désormais s'accroître.
Sur quoi faut-il négocier et avec qui? La Russie ne veut pas négocier, Poutine veut vaincre. Il dirait à Zelensky que l'armée ukrainienne doit se rendre sans condition. La Russie occuperait le pays et les dirigeants ukrainiens devraient fuir hors du pays. Poutine annexerait la moitié du pays et le reste deviendrait un État fantoche. Il est tout à fait absurde de penser que l'on pourrait forcer Zelensky à négocier dans une telle situation. Poutine veut vaincre et si l'Occident continue sur sa lancée, il est fort possible qu'il y parvienne.
Poutine se sent-il renforcé par le déroulement actuel de la contre-offensive ukrainienne?
Sans doute, oui. Poutine lance désormais ses propres offensives en Ukraine. Cela montre qu'il se sent en sécurité. Tant que la contre-offensive ukrainienne ne parviendra pas à percer, les dirigeants russes ne devront pas se remettre en question et se sentiront confortés dans leur volonté de poursuivre la guerre.
L'armée de Poutine a de gros problèmes, mais cela ne change rien au constat: si l'Occident n'augmente pas sa production d'armes, la situation va mal tourner. Les missiles et les grenades ne poussent pas sur les arbres. Malheureusement.
Poutine voit donc d'un bon œil les débats actuels en Occident?
Exactement. Poutine va sans doute - comme nous en Occident - élaborer des scénarios pour la suite de la guerre. Il partira du principe que la Russie gagnera cette guerre si les choses continuent ainsi. Mais cela peut à tout moment se retourner contre lui: en Occident aussi, certains généraux ont dit que la Crimée serait libérée cette année. Et maintenant, c'est la cacophonie parce que la situation a encore changé. Cela n'a pas marché parce que Poutine a pris des contre-mesures et maintenant la balle est à nouveau dans le camp de l'Ukraine et de ses partenaires occidentaux.
Ce qui veut dire?
Cela signifie que nous devons faire quelque chose pour éviter que les prédictions de Poutine ne se réalisent. La victoire ne viendra pas d'elle-même. Lors de la guerre froide, le problème s'est résolu de lui-même.
Un premier pas dans cette direction, ce sont les F-16 que Kiev va recevoir. Quelle importance cela a-t-il pour la défense ukrainienne?
Les F-16 aideront l'Ukraine à moyen terme, mais ils ne sont pas non plus un gamechanger. L'armée de l'air ukrainienne est déjà souvent appelée à intervenir contre des drones iraniens ou des missiles de croisière en approche, car l'Ukraine dispose de bien trop peu de systèmes de défense antiaérienne pour assurer une protection globale - c'est pourquoi elle est tributaire des avions de chasse.
Les avions de combat sont donc plutôt une arme défensive?
Oui, Kiev a besoin des F-16 en premier lieu pour défendre ses propres territoires contre les avions de combat, les drones ou les hélicoptères russes. Si l'armée de l'air ukrainienne représente une menace pour les avions de combat russes, les avions russes ne pourront plus pénétrer librement dans l'espace aérien ukrainien et larguer leurs bombes sur les villes ukrainiennes. C'est pourquoi les F-16 sont un outil important pour l'Ukraine.
Mais la Russie garde tout de même la supériorité aérienne?
Au début du conflit, l'armée de l'air de Poutine était mal préparée à une longue guerre. C'est pourquoi les Russes n'ont pas utilisé leur supériorité aérienne de manière conséquente. Aujourd'hui, la Russie est en revanche très prudente avec son armée de l'air, car les chiffres de production des avions de combat russes sont relativement faibles.
En somme, quelles perspectives voyez-vous pour l'Ukraine? Après tout, les élections présidentielles américaines auront lieu l'année prochaine et cela pourrait affaiblir encore plus le soutien occidental à Kiev.
Le président américain Joe Biden a toujours été très discret dans ce conflit. C'est un problème, car les pays occidentaux souhaitent en fait nager dans le sillage des Américains. Biden espère une trêve parce qu'il a en tête les relations russo-américaines et la dissuasion nucléaire. Il a peur d'une escalade nucléaire de la part de Poutine, mais je pense que ces préoccupations sont à côté de la plaque.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)