Il espère que l'Ukraine et l'Occident s'essouffleront plus vite que la Russie. Mais pour Vladimir Poutine, la guerre en Ukraine ne se déroule pas du tout comme prévu. L'offensive de l'armée russe, fin 2022, a échoué: non seulement la Russie a subi de lourdes pertes, mais elle n'a pas non plus réussi à conquérir entièrement Bakhmout. Les succès militaires se raréfient, Moscou craint désormais une contre-offensive ukrainienne avec des chars de combat et des véhicules d'infanterie occidentaux.
La fin de la guerre avec l'Ukraine n'est pas en vue et cela oblige le gouvernement russe à s'expliquer au niveau international. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a ainsi justifié lundi au Conseil de sécurité de l'Organisation des nations unies (ONU) l'attaque contre l'Ukraine à l'aide d'un récit bien connu du Kremlin: l'Occident aurait provoqué l'invasion russe par ses provocations et ses «plans hégémoniques».
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Pourtant, les raisons de l'agression sont tout autres. Il est plus probable que Poutine comptait sur une opération rapide, grâce à laquelle il espérait élargir la Russie de plus de 40 millions d'Ukrainiens. Car la population russe diminue, ce qui est également lié à l'échec politique du président russe depuis plus de 23 ans au pouvoir.
Le chef du Kremlin veut à nouveau faire de la Russie une superpuissance. Mais au lieu de cela, il semble accélérer le déclin de son pays. Cela pourrait être l'héritage qu'il laisse aux citoyens.
Le président russe a certes souvent critiqué ces dernières années le fait que l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan) ait continué à s'étendre vers l'Est après la chute du rideau de fer, bien loin des promesses faites. Mais l'élargissement à l'est de l'Otan a eu lieu en 2004: 18 ans plus tard, cela peut-il être un motif d'entrée en guerre pour le Kremlin? D'autant plus que l'Otan a toujours refusé l'adhésion de l'Ukraine en faisant valoir que l'alliance militaire occidentale n'accepte pas les Etats ayant des conflits territoriaux non résolus. Enfin, la Russie a déjà occupé des parties de l'Ukraine en 2014 avec la Crimée. Cela confirme en outre que Poutine tente depuis longtemps d'étendre l'influence géostratégique de la Russie sur les anciennes républiques soviétiques – surtout si celles-ci ne sont pas membres de l'Otan ou de l'Union européenne (UE).
Ce n'est que depuis l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, en violation du droit international, que l'Ukraine a commencé à s'équiper. Et les Etats-Unis n'ont commencé à former l'armée et les forces spéciales ukrainiennes selon les normes de l'Otan que bien plus tard.
Les vraies raisons de la guerre de Vladimir Poutine dépassent probablement la menace qui provient de l'Otan. L'alliance militaire occidentale était en crise existentielle depuis le mandat de Donald Trump. Alors président américain, ce dernier avait ouvertement menacé de la quitter. Le président français Emmanuel Macron l'avait d'ailleurs jugée «en état de mort cérébrale».
Le discours de Poutine du 22 février 2022, dans lequel il a annoncé la prétendue «opération spéciale», révèle ses véritables motifs. Il y a décrit son interprétation de l'histoire récente: l'Ukraine n'aurait pas le droit d'exister en tant qu'Etat. Il n'y aurait pas vraiment d'Ukraine, il s'agirait du territoire russe.
Le président russe a ainsi réinterprété l'histoire. Dans le même temps, il a démontré son idéologie impérialiste. Il a clairement indiqué qu'il ne respectait pas les traités négociés après 1990, qui garantissent la souveraineté des anciennes républiques soviétiques. Vladimir Poutine montre également qu'il s'intéresse avant tout à une chose: la «grande Russie». Et pour cela, Poutine ne s'arrête pas aux Etats baltes de l'UE, comme l'a documenté le Süddeutsche Zeitung en se référant à des papiers internes du Kremlin.
Pendant de nombreuses années, le président russe n'a cessé d'évoquer les problèmes démographiques de son pays lors de ses conférences de presse annuelles. La population russe diminue alors que les populations de la Chine, de l'Inde ou de l'Indonésie explosent sur le continent asiatique. Cela a des conséquences économiques et géopolitiques pour la Russie et détruit à moyen terme les fantasmes de grande puissance du chef du Kremlin.
Selon des prévisions de l'ONU datant de 2021, la population russe pourrait passer de 143 millions actuellement à 133 millions d'ici 2050. Cette projection ne tient pas compte de l'invasion russe de l'Ukraine. Non seulement de nombreux jeunes meurent dans les guerres, mais de manière générale, les naissances sont nettement moins nombreuses en temps de crise.
L'espérance de vie moyenne des Russes était déjà tombée à 71 ans avant la guerre, celle des hommes à seulement 66 ans. «C'est plus bas qu'en Corée du Nord, en Syrie et au Bangladesh», a déclaré l'historien Max Boot au Washington post. Le taux de natalité n'était dernièrement que de 1,5 enfant par femme.
En 2020, l'agence russe de statistiques Rosstat a estimé que le pays pourrait perdre 290 000 habitants dès l'année suivante, 238 000 l'année d'après, puis 189 000 en 2023 et encore 165 000 en 2024. En seulement quatre ans, cela représenterait près de 900 000 personnes. Le Covid ainsi que la guerre en Ukraine ont encore aggravé le dilemme démographique. La Russie s'autodétruit, Poutine est pris à son propre piège.
Mais comment en est-on arrivé à un tel déclin? Outre un taux de natalité plus faible, la mortalité est élevée en Russie. L'une des causes de ce phénomène est la consommation excessive d'alcool, qui fait grimper la mortalité par des lésions du foie et des maladies circulatoires, des empoisonnements et des accidents. L'ancien président Mikhaïl Gorbatchev a d'ailleurs tenté de sauver le socialisme en Union soviétique en interdisant les spiritueux. Sans succès.
Un autre indicateur est probablement la pauvreté en Russie. De nombreuses personnes n'ont pas les moyens de se payer des soins de santé ou d'avoir des enfants. «Les coûts de santé en Russie sont trop hauts pour les défis du 21e siècle», a critiqué Anatoli Vichnevski, expert en démographie de la Higher school of economics de Moscou, auprès du journal Welt en 2017. Il y aurait trop peu d'investissements de l'Etat et, surtout dans les campagnes, de gros problèmes structurels.
Vladimir Poutine est au pouvoir depuis 1999 et il n'a pas réussi à répartir de manière efficace la richesse. En 2019, 13,5% de la population russe vivait en dessous du minimum vital, la répartition des richesses n'ayant guère évolué au cours des seize dernières années. La Russie dispose pourtant d'immenses sources de matières premières, et a vendu du pétrole et du gaz à une grande partie du monde.
Mais les élites politiques et les oligarques se sont enrichis grâce aux revenus des matières premières, et relativement peu d'investissements ont été réalisés dans la croissance de l'économie russe. Selon les données du Fonds monétaire international (FMI) d'octobre 2022, le produit intérieur brut (PIB) de la Russie est inférieur à celui de l'Italie, du Canada ou de la Corée du Sud. Cela témoigne de l'échec de Poutine au cours de son long mandat.
Le président russe a tenté de lutter contre le problème démographique. Depuis 2018, les familles reçoivent l'équivalent de 150 euros par mois d'allocations familiales pour le premier enfant jusqu'à ses 18 mois, ce qui représente une somme importante, surtout dans les campagnes. Mais cette mesure n'a pas non plus eu de succès jusqu'à présent.
C'est aussi pour cette raison qu'il vise désormais l'Ukraine et ses «ressources humaines». La Russie enlève des Ukrainiens et surtout des enfants. Pour Vladimir Poutine, ils représentent le butin de la guerre; le président russe est en effet irrité par le fait que de nombreux Russes vivent dans des pays étrangers. Il a déjà pris le contrôle politique de la Biélorussie. Mais en Ukraine, il a manifestement sous-estimé le fait qu'une nette majorité de la population souhaite défendre sa souveraineté étatique.
Une erreur qui coûte cher. Car non seulement des dizaines de milliers de soldats russes meurent, mais de nombreuses personnes ont également fui la Russie.
Or, c'est précisément l'impérialisme russe qui alimente la situation tendue en ce moment.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder