Les usines d’armement russes fonctionnent 24 heures sur 24. Sous les ordres de Vladimir Poutine, elles produisent sans relâche des chars, des missiles et des munitions. Rien qu’en 2023, le budget militaire de la Russie a augmenté de 40%. Le pays est désormais en économie de guerre.
Mais tout cet équipement ne part pas uniquement pour le front en Ukraine. Selon les services de renseignement occidentaux, Vladimir Poutine prépare déjà une nouvelle armée. L'Otan et plusieurs dirigeants européens le disent ouvertement: dans environ cinq ans, la Russie pourrait être prête à ouvrir un second front.
Peut-être même plus tôt que cela. Selon Volodymyr Zelensky, la Russie forme actuellement 150 000 soldats qu’elle pourrait envoyer en Biélorussie en prétextant un exercice militaire. Leur mission reste incertaine: renforcer une nouvelle offensive contre Kiev ou resserrer l’étau autour des pays baltes en contrôlant le corridor stratégique de Suwałki, qui sépare la Biélorussie de l’enclave russe de Kaliningrad. Un scénario que les analystes militaires prennent aujourd’hui très au sérieux.
Face à cette menace, l’Europe s’organise. Les budgets de défense explosent. Le premier ministre polonais Donald Tusk défend ses investissements:
Sur le papier, l’Europe a l’avantage. Ensemble, les pays européens dépensent près de 460 milliards de dollars par an pour leur défense, soit trois fois plus que la Russie. Mais ce chiffre est trompeur.
D’abord, le coût de production militaire en Russie est bien plus bas qu’en Occident. Une étude estime que, ajusté au pouvoir d’achat, le budget militaire réel de la Russie pourrait en fait atteindre 462 milliards de dollars, soit plus que celui de l’Europe.
Ensuite, les forces européennes souffrent d’une dispersion problématique: 28 armées différentes coexistent au sein de l’Union européenne (UE) et du Royaume-Uni, avec leurs propres chaînes de commandement et une multitude de systèmes d’armes incompatibles. Rien qu’en matière de chars de combat, une douzaine de modèles différents sont en service, réduisant l’efficacité des forces armées européennes.
Le problème ne s’arrête pas là: l’industrie de l’armement en Europe est morcelée. Contrairement aux Etats-Unis, qui disposent de grands groupes consolidés, les entreprises européennes sont restées fragmentées. Aujourd’hui, cette dispersion freine la montée en puissance de la production militaire.
Face à cette urgence, les dirigeants européens veulent accélérer les fusions et encourager la formation de géants de la défense capables de rivaliser avec les fabricants américains. Mais cette transformation prendra du temps.
Or, le temps presse. Acheter massivement du matériel aux Etats-Unis, comme cela a été fait par le passé, n’est pas une solution économiquement viable. L’Europe doit trouver des moyens d’augmenter rapidement sa propre production militaire.
Une option s’impose: utiliser les capacités inutilisées de l’industrie automobile. D’un point de vue technique, il n’y a pas de différence fondamentale entre la fabrication de véhicules civils et celle de blindés militaires.
L’histoire regorge d’exemples. En Allemagne, Ferdinand Porsche a participé à la conception des chars «Tiger» pour la Wehrmacht. Daimler-Benz produisait les modèles «Panzer II» et «Panzer III», tandis que MAN fabriquait le célèbre char «Panther». Aux Etats-Unis, Ford et Chrysler ont assemblé les chars «Sherman», tandis que Vauxhall Motors, au Royaume-Uni, produisait le modèle «Churchill».
Cette reconversion a déjà commencé. Début février, le groupe KNDS a officiellement pris possession de l’usine Alstom de Görlitz, en Allemagne. Pendant 175 ans, cette usine a fabriqué des wagons de train. Désormais, elle produira des composants pour les chars Leopard 2, les véhicules blindés Puma et les transporteurs Boxer. Pour les ouvriers de cette usine menacée de fermeture, ce virage industriel est une aubaine: 580 des 700 employés ont pu conserver leur emploi.
D’autres entreprises suivent le mouvement. Le géant Rheinmetall a annoncé que deux de ses usines en Allemagne, jusque-là dédiées à la production de pièces automobiles, allaient être transformées pour fabriquer des munitions. Le fabricant de radars militaires Hensoldt prévoit également d’embaucher 200 employés issus de Continental et Bosch.
Au-delà des enjeux militaires, cette transformation pourrait donner un coup de fouet à l’économie européenne. Selon l’institut économique de Kiel, une augmentation du budget militaire européen de 2% à 3,5% du PIB pourrait générer une croissance annuelle de 0,9 à 1,5%.
L’histoire montre aussi que les avancées technologiques issues du secteur militaire bénéficient souvent aux industries civiles. Le moteur à réaction, qui a révolutionné l’aviation commerciale, est à l’origine une invention militaire.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder