C'est un terrible scénario pour l'armée ukrainienne qui lutte pour la survie de son pays: les Etats-Unis ne mettent plus à sa disposition les données radar primordiales pour les armes américaines livrées. L'armée de l'air de Zelensky risque ainsi, selon l'experte militaire allemande Claudia Major, de devoir opérer en étant «aveugle et sourde». Un véritable cadeau pour Vladimir Poutine.
Ce que cette affaire nous montre, c'est que quiconque utilise des armes américaines est automatiquement dépendant des Etats-Unis. La Suisse est également concernée, car elle entretient avec l'Amérique une fraternité d'armes la liant à Washington sur des décennies.
La Suisse s'apprête d'ailleurs à acquérir des systèmes d'armes américains - l'avion de combat F-35 ainsi que le système de défense sol-air Patriot. Pour relier ces systèmes entre eux, la Suisse a besoin du Link-16, l'élément central de mise en réseau et de conduite de l'OTAN.
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Les États-Unis, plus précisément leur service secret NSA, fabriquent le cryptocode pour ce dispositif et le fournissent à leurs partenaires, y compris la Suisse. Sans les données radar des Etats-Unis provenant de Pologne et de République tchèque, le système de défense aérienne Patriot peut certes combattre les drones et les avions, mais il est inefficace protéger nos villes contre les missiles balistiques et hypersoniques, comme ceux utilisés quasi quotidiennement par la Russie en Ukraine.
En 2021, le Conseil fédéral a manqué l'occasion de se prononcer en faveur d'un avion de combat européen. La France, par exemple, avait proposé à la Suisse une vaste coopération militaire et politique. L'Allemagne avait également sollicité les faveurs de son voisin. Une solution européenne aurait permis de réduire considérablement la dépendance vis-à-vis des Etats-Unis.
Une date importante pour la fraternité d'armes américano-suisse est juillet 2000, lorsque le ministre de la défense Adolf Ogi a signé à Washington un «Memorandum of Agreement concerning Communications Interoperability and Security». Ce document secret est toujours en vigueur. Il règle l'échange de données entre la NSA, qui produit la cryptologie pour le Link-16, et le Département de la défense à Berne.
En outre, la Suisse reçoit les données cryptographiques secrètes pour le GPS militaire des Etats-Unis, le fameux code P. Ce GPS fait office de système de navigation civil, mais en beaucoup plus précis. Si la Suisse était coupée des livraisons mensuelles du code P, la capacité d'intervention des forces aériennes serait massivement réduite.
Théoriquement, Trump pourrait faire du chantage et mettre ce code à la disposition des Suisses que sous certaines conditions. Sans données américaines, l'armée de l'air suisse serait aussi «aveugle et sourde» que l'est actuellement la défense ukrainienne.
La dépendance de la Suisse vis-à-vis des Etats-Unis ne se limite pas à la livraison du code P. Les mises à jour des logiciels des F/A-18 et de leur missile le plus efficace, l'Amraam, sont également soumises au contrôle exclusif des Etats-Unis, comme l'a rapporté le Aargauer Zeitung en 2015. L'arme doit être envoyée périodiquement aux Etats-Unis pour une mise à jour du logiciel.
Le personnel suisse n'est pas autorisé à participer à ce «service de modification Amraam». Le code source programmé par les Américains reste caché. Les Etats-Unis veulent avoir le contrôle total des armes stratégiques qu'ils vendent à l'étranger. Ils veulent ainsi s'assurer que les armes américaines ne puissent jamais être utilisées contre eux.
Les contrats d'achat du système de défense antimissile Patriot et du F-35 sont signés. Le DDPS ne veut pas répondre à la question de savoir si un retrait serait envisageable. Il est évident que le Conseil fédéral pourrait monter le président américain contre la Suisse en suspendant la transaction. Berne ne voudra certainement pas prendre ce risque.
Du point de vue de la politique de sécurité, la Suisse ne peut d'ailleurs pas se permettre un retard face à la menace russe. La Suisse n'a plus de défense antimissile et sa flotte de F/A-18 est obsolète. On ne pourrait actuellement pas repousser des attaques de missiles balistiques ou de croisière, comme l'Ukraine en subit presque tous les jours.
Reste à savoir si les Américains livreront à temps et au prix convenu. Et on ne sait même pas si la Suisse recevra la version la plus moderne du F-35. Ce n'était par exemple pas le cas pour le F/A, selon un document secret «sur la divergence générale entre les F/A-18 de l'Otan et les F/A-18 de la Suisse».
En d'autres termes, les Etats-Unis pourraient nous fournir une version light du F-35, qu'ils pourraient en outre rendre inopérationnelle à tout moment. La capacité de défense de la Suisse dépend donc en grande partie des sautes d'humeur du président américain.
Traduit de l'allemand par Anne Castella