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Jaloux, de nombreux soldats russes décident de déserter l'armée

Des soldats russes participent à un exercice (photo d'archive): la désertion est un phénomène courant dans les rangs des troupes du Kremlin.
Des soldats russes participent à un exercice (photo d'archive): la désertion est un phénomène courant dans les rangs des troupes du Kremlin.Image: Imago

Voici les raisons parfois étonnantes qui poussent les soldats russes à fuir

Le nombre de déserteurs dans l’armée russe a explosé cette année. Les motifs de désertion sont en majorité d'ordre privé.
19.10.2025, 07:0319.10.2025, 07:03
Simon Cleven / t-online
Un article de
t-online

L’armée russe progresse dans le Donbass, laissant derrière elle des territoires dévastés. Mais le prix du sang payé par les soldats russes est considérable. Depuis plusieurs mois, l’Ukraine fait état chaque jour de plus d’un millier de morts ou de blessés côté russe.

Rien que depuis la mi-août, la contre-offensive ukrainienne autour de Pokrovsk aurait, selon le président Volodymyr Zelensky, coûté la vie à plus de 12 000 soldats russes.

Des chiffres alarmants, mais que Moscou semble encore parvenir à compenser. Selon des sources russes, entre janvier et mi-septembre, le Kremlin aurait recruté environ 292 000 nouveaux soldats, soit en moyenne plus de 31 600 par mois. Entre janvier et août, la Russie aurait enregistré environ 281 550 pertes sur le champ de bataille en Ukraine, soit en moyenne un peu plus de 35 000 morts, blessés et disparus par mois.

Jusqu’à 10% de désertion

Ces données proviennent de documents authentiques du ministère russe de la Défense, publiés par le projet ukrainien «Je veux vivre» et confirmés par des médias indépendants. Cette initiative s'est fait connaître grâce à une ligne d'assistance téléphonique qui permet aux soldats russes de trouver de l'aide s'ils souhaitent se retirer de la guerre.

Dans l’ombre des lourdes pertes et des offensives sanglantes des troupes du Kremlin, une autre tendance mine la puissance militaire russe: selon «Je veux vivre», le nombre de déserteurs russes a au moins doublé par rapport à l’an dernier. Si la tendance se poursuit, jusqu’à 70 000 soldats russes pourraient avoir déserté d’ici la fin de l’année, soit environ 10% des forces engagées en Ukraine, selon les chiffres officiels.

Depuis janvier 2024, le phénomène s’est nettement amplifié: en été 2025, on comptait six fois plus de désertions qu’au début de l’année précédente. Selon le collectif d’enquête ukrainien Frontelligence Insight, la plupart des déserteurs sont des soldats sous contrat, âgés en moyenne de 37 ans. Les tranches d’âge les plus concernées sont celles des 25-34 ans et des 35-44 ans.

Voici comment les soldats désertent

Selon Frontelligence Insight, il existe cinq façons courantes de déserter:

  • Fuir la caserne avant le déploiement: les soldats quittent leur unité alors qu'ils sont encore en Russie, par exemple lors de rotations de troupes, d'entraînements ou d'autres préparatifs en vue du déploiement en Ukraine. L'avantage est que les soldats ne franchissent aucune frontière et risquent donc moins d'être contrôlés.
  • Ne pas revenir de permission: les soldats quittent légalement la zone de combat, mais ne reviennent pas.
  • Fuir l'hôpital: après avoir été évacués vers des hôpitaux en Russie, par exemple à Rostov-sur-le-Don ou à Belgorod, les soldats quittent les hôpitaux sans autorisation. Dans les zones occupées, cette méthode s'avère plus difficile. Les hôpitaux russes surveillent désormais davantage les soldats qui y sont admis en tant que patients.
  • Fuir le champ de bataille: ce groupe a particulièrement augmenté cette année, malgré les obstacles élevés, car il faut contourner plusieurs points de contrôle dans les territoires occupés, puis franchir la frontière russe par des passages peu contrôlés ou corrompus.
  • Faux papiers de congé et corruption: cette méthode est surtout attestée de manière anecdotique, il n'existe donc pas de chiffres précis. Selon ces témoignages, les soldats présentent de faux papiers de congé pour quitter les positions proches du front. Soit l'on ne contrôle pas correctement ces documents lors du passage de la frontière, soit les soldats paient des pots-de-vin pour faciliter leur passage.
Des soldats russes s'entraînent à mener des attaques à moto (photo d'archive): le mauvais équipement est l'une des principales causes de désertion.
Des soldats russes s'entraînent à mener des attaques à moto (photo d'archive): le mauvais équipement est l'une des principales causes de désertion.Image: Imago

Les raisons derrière les désertions

Le média Kavkaz.Realii, projet consacré au Caucase du Nord de la Radio Free Europe/Radio Liberty, a enquêté sur les causes de la désertion dans l’armée russe. Les journalistes ont analysé, avec des experts, les jugements des tribunaux militaires du district militaire sud.

Les motifs des déserteurs sont variés, mais le rejet de la guerre n'en fait généralement pas partie. Ce qui n'est pas surprenant: mis à part une mobilisation partielle à l’automne 2022, le Kremlin a jusqu’à présent évité l'enrôlement forcé. L’Etat préfère offrir des incitations financières pour recruter des combattants.

Selon Kavkaz.Realii, les raisons sont souvent d’ordre privé, du moins dans le sud de la Russie. Avec, comme motif fréquent, la jalousie: un homme quitte le front parce qu’il soupçonne son épouse d’infidélité. La garde des enfants ou la prise en charge de proches malades poussent également certains à déserter. Beaucoup tentent d’obtenir une autorisation officielle de quitter le front, sans succès.

S'ensuit le manque de soutien médical et psychologique. De nombreux déserteurs témoignent qu'on leur a refusé toute aide après avoir été blessés ou avoir subi des traumatismes psychologiques. Certains souffraient de stress post-traumatique ou de maladies chroniques, mais n'ont pas pu bénéficier d'un traitement.

Enfin, les mauvaises conditions au sein de l'armée: désorganisation, pression des supérieurs, salaires impayés ou mauvais traitements. Certains soldats ont également fui par pure peur d'être envoyés comme «chair à canon» dans des missions inutiles et dangereuses sans munitions.

Les mesures du Kremlin contre la désertion

Le commandement de l’armée russe tente de reprendre le contrôle, mais se limite souvent à des mesures bureaucratiques. Les contrôles aux points de passage sont renforcés, et la police collabore davantage avec l’armée pour retrouver les déserteurs à leur domicile. Ceux-ci risquent des peines allant jusqu’à quinze ans de prison.

Des soldats russes à un poste de contrôle en Crimée (photo d'archive): la corruption est courante dans le milieu.
Des soldats russes à un poste de contrôle en Crimée (photo d'archive): la corruption est courante dans le milieu.Image: Imago

Cependant, cela reste souvent symbolique. Les commandants ont plus grand intérêt à ce que les soldats soient renvoyés au front. Les déserteurs sont souvent réaffectés directement à leur unité. Ce n’est qu’après plusieurs désertions qu’un procès a lieu. La Russie utiliserait également de plus en plus d'unités de barrage, chargées d’empêcher toute fuite derrière les lignes.

La violence extrajudiciaire semble toutefois plus répandue. Des témoignages font état de tortures ou de mutilations infligées aux déserteurs. Des simulations d’exécution ou de véritables exécutions auraient lieu pour donner l’exemple et dissuader les autres de fuir. Les déserteurs tués sont déclarés «disparus» afin que leurs familles ne reçoivent pas d'indemnités.

Des déserteurs maltraités

La chaîne américaine CNN a recueilli plusieurs cas de maltraitance à l’encontre de déserteurs russes, confirmés par des vidéos et enregistrements audio. Certains soldats sont attachés à des arbres, livrés sans défense aux drones ukrainiens. Dans d’autres cas, des déserteurs sont forcés à des combats à mort.

La torture et l’humiliation publique sont également courantes. Des vidéos montrent des hommes enfermés dans des fosses, qualifiés d’«animaux» par leurs camarades. D’autres montrent la «punition du carrousel»: des déserteurs sont attachés à un véhicule et traînés en rond dans un champ pendant plusieurs minutes.

D'anciens prisonniers de guerre russes libérés dans le cadre d'un échange: les déserteurs dans les rangs des troupes du Kremlin sont souvent exécutés.
D'anciens prisonniers de guerre russes libérés dans le cadre d'un échange: les déserteurs dans les rangs des troupes du Kremlin sont souvent exécutés.Image: Imago

Grigory Sverdlin, de l’organisation Get Lost, qui aide les soldats russes à déserter, a déclaré à la CNN:

«La violence est ce qui maintient l’armée russe en vie et unie»

Selon lui, les déserteurs font état d'une culture du nihilisme au front:

«Leur vie n'a aucune valeur aux yeux des commandants. Pour les officiers russes, la perte d'un char ou d'un véhicule est bien pire que la perte de dix ou vingt hommes, par exemple.»

Les soldats entendent régulièrement de leurs officiers qu'ils mourront tous dans la semaine. Sverdlin explique:

«L'officier sera affecté à une autre unité, donc ce n'est pas un problème pour lui»

La désertion touche aussi les rangs ukrainiens

La désertion est également un problème récurrent dans l’armée ukrainienne, notamment en raison du manque de personnel: certaines brigades voient leur effectif réduit à 30% d'occupation. Il n’existe pas de chiffres précis, mais, là aussi, les désertions se compteraient par dizaines de milliers chaque année. Les motifs principaux: mauvais équipement, manque de rotation, épuisement et moral faible des recrues forcées.

L'Ukraine tente de lutter contre ce phénomène en accordant des amnisties: les déserteurs qui se présentent volontairement peuvent rentrer chez eux sans être poursuivis. Certains profitent de cette mesure pour être réaffectés à un front moins dangereux. Le commandement de l'armée tente aussi de motiver les troupes par des hausses de salaire.

Selon les estimations des experts, l'armée ukrainienne devrait recruter 300 000 hommes cette année afin de compléter ses effectifs de manière adéquate. L'année dernière, elle n'a toutefois réussi à recruter que 200 000 nouveaux soldats.

Traduit de l'allemand par Anne Castella

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source: ap / dmitri lovetsky
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