Poutine à Davos avec Trump et Zelensky? Un scénario fou se dessine
Comme nous vous le révélions, Donald Trump prévoit de participer au Forum économique mondial (WEF) de Davos en janvier prochain. Selon des sources bien informées, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’y rendra également. Il l'avait fait en 2024 et 2025.
Au sein du conseil de fondation du WEF, certains voient dans la prochaine édition une occasion historique, avec une possible rencontre sur le sol suisse entre Trump, Zelensky et le président russe Vladimir Poutine.
Un proche de Trump est à la tête du WEF
Depuis le départ de Klaus Schwab, la coprésidence du conseil de fondation est assurée par Larry Fink, citoyen des Etats-Unis. Ami de longue date de Donald Trump, il est en contact direct avec lui concernant sa venue à Davos.
C’est lui-même qui accueillera le président étasunien sur la scène du WEF. L’autre coprésident, André Hoffmann, héritier du groupe Roche, restera en retrait en raison de ses prises de position critiques envers Donald Trump par le passé, d'après les informations recueillies auprès des cercles dirigeants du Forum.
Une simple photo réunissant Trump, Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky serait déjà un coup de maître. Surtout pour Donald Trump, qui rêve du prix Nobel de la paix, sans avoir toutefois jusqu'ici obtenu de résultat tangible dans la guerre en Ukraine. Ce serait aussi un joli coup pour le Forum économique mondial, qui se verrait confirmé dans son rôle de plateforme de dialogue de premier plan.
A plusieurs reprises, Donald Trump a exprimé son souhait d’organiser une rencontre avec Poutine et Zelensky, à laquelle il participerait personnellement. Jusqu’ici, toutes ces tentatives ont échoué. Son dernier projet d’entretien avec Poutine à Budapest s’est même soldé par un échec. Les Etats-Unis ont, à la place, encore renforcé leurs sanctions contre la Russie.
Des solutions sont à trouver pour Poutine
Mais un sommet à trois poserait trois obstacles majeurs. D’abord, le Forum économique mondial boycotte la Russie et ses représentants. Ensuite, les sanctions suisses contre Moscou prévoient une interdiction d’entrée sur le territoire pour les ressortissants russes. Enfin, un mandat d’arrêt international vise toujours Vladimir Poutine.
Cependant, si Donald Trump insistait pour inviter le président russe et que ce dernier acceptait de venir à Davos, comme à l’époque où il n’était pas encore persona non grata, des solutions pourraient être envisagées.
C’est du moins ce qui circule au siège du WEF à Cologny (GE) et à Berne. Le boycott de la Russie avait été décidé sur instruction de Klaus Schwab. Après son départ, la mesure pourrait être assouplie, voire levée.
La Confédération a déjà montré qu’elle pouvait faire preuve de souplesse. En juillet dernier, la politicienne russe pourtant sanctionnée, Valentina Matvienko, avait obtenu une dérogation pour participer à un congrès parlementaire international à Genève.
A la mi-août, plusieurs chefs d’Etat européens avaient même évoqué la possibilité d’une rencontre entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine à Genève. Le ministre suisse des affaires étrangères Ignazio Cassis avait précisé que le mandat d’arrêt international ne constituerait pas un obstacle à la venue du président russe pour des discussions de paix.
On se prépare à tous les scénarios
Le Conseil fédéral a donc déjà défini des procédures permettant d’accorder temporairement l’immunité au président russe, ce qui éviterait son arrestation lors du WEF.
A Cologny comme à Berne, on se prépare à tous les scénarios. Rien n’indique en effet que la guerre en Ukraine sera terminée d’ici la mi-janvier, date du prochain Forum économique mondial. Dans ce contexte, le rendez-vous de Davos pourrait prendre une dimension particulière, alors que les pays occidentaux misent à nouveau sur un durcissement des sanctions pour pousser Vladimir Poutine à revenir à la table des négociations.
L'Europe joue les Robin des bois
La semaine dernière, Donald Trump a donné le ton. Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir, il a imposé de nouvelles sanctions contre la Russie. Et celles-ci sont sévères. Toute entreprise qui ferait désormais affaire avec les géants pétroliers russes Rosneft et Lukoil s’exposeront aux représailles américaines. En Chine et en Inde, les deux plus gros clients du pétrole russe, les principaux importateurs ont déjà pris leurs distances.
Jeudi, les chefs de gouvernements de l’Union européenne ont à leur tour donné leur feu vert à de nouvelles sanctions, notamment à une interdiction totale d’importer du gaz naturel liquéfié russe.
Mais surtout, Bruxelles veut désormais trouver un moyen de puiser dans les avoirs gelés de la banque centrale russe. Ce serait l’histoire de Robin des Bois dans sa version la plus pure: prendre 140 milliards d’euros à la Russie pour les remettre à l’Ukraine. Vladimir Poutine paierait ainsi la guerre qu’il a lui-même imposée à son voisin.
Mais il y a un écueil. Le noble Robin des Bois reste malgré tout un voleur. Confisquer les avoirs d’un Etat est un territoire encore inexploré en droit international. Les Etats jouissent d’une immunité, et il en va de même pour leurs biens.
Face à cette initiative, la Belgique, où se trouve la majeure partie des fonds russes, freine donc des quatre fers. A Bruxelles, la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, a également mis en garde sur le fait qu'il ne doit exister aucun doute sur la capacité à restituer immédiatement cet argent en cas de besoin. Et, ajoute-t-elle, la crédibilité du système financier européen en sortirait renforcée si des pays extérieurs à la zone euro participaient eux aussi à l’effort.
C’est là que la Suisse entre à nouveau en jeu. Environ 7,5 milliards de francs issus des réserves d’Etat russes dorment sur des comptes bancaires helvétiques. A Bruxelles, la pression monte pour que Berne contribue elle aussi à financer l’aide à l’Ukraine à partir de ces avoirs russes gelés.
Cassis se distancie de ce «cher Volodymyr»
La pression exercée par l’Union européenne met une fois de plus en lumière le dilemme dans lequel la Suisse se trouve depuis le début de l’invasion russe en février 2022.
D’un côté, elle doit répondre aux attentes de ses partenaires européens, afficher sa solidarité avec l’Ukraine et s’aligner sur le régime de sanctions. Sa marge de manœuvre pour mener une politique autonome est d’autant plus réduite qu’en vertu de sa neutralité, la Suisse n’apporte aucune aide militaire.
De l’autre, le Conseil fédéral cherche à profiler la Suisse en tant que médiateur, ou du moins comme l'hôte d'éventuelles discussions. Mais une telle initiative ne serait envisageable que si la Russie, tout comme l’Ukraine, donnait son accord.
Cet exercice d’équilibriste se reflète dans l’attitude du chef de la diplomatie, Ignazio Cassis. Un mois après le début du conflit, en mars 2022, il saluait le président ukrainien Volodymyr Zelensky d’un chaleureux «cher Volodymyr», lors d’une allocution en direct devant plusieurs milliers de manifestants réunis sur la Place fédérale à Berne.
Plus récemment, Ignazio Cassis s’est toutefois davantage repositionné dans le rôle du médiateur neutre, en renouant les contacts avec Moscou. En septembre dernier, il a rencontré à New York son homologue russe Sergueï Lavrov, afin d'évoquer la présidence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), que la Suisse assumera en 2026.
A Berne, on souligne que la Russie elle-même a donné son feu vert à cette présidence helvétique. Un signe, selon les diplomates, que Moscou continue de considérer la Suisse comme un intermédiaire crédible, malgré la rhétorique russe la qualifiant d’«Etat hostile».
La Suisse est prête à satisfaire Trump
Dans l’imprévisible politique ukrainienne de Donald Trump, la possibilité d’une rencontre au sommet incluant Vladimir Poutine pourrait donc se concrétiser en quelques jours, par exemple à l’occasion du Forum économique mondial. La Suisse, elle, serait prête à accueillir un tel événement.
Pour autant, Berne n’envisage pas à court terme de se distancier du régime de sanctions européen pour se proposer comme lieu de négociation avec la Russie.
Au sein du Conseil fédéral, le principe même des sanctions ne fait pas débat. Le ministre de l’économie Guy Parmelin, membre de l’UDC et responsable de leur application, les met en œuvre avec loyauté.
Le gouvernement dispose toutefois d’une certaine marge dans le rythme de leur exécution. Le 18e paquet de sanctions adopté par l’Union européenne à la mi-juillet n’a été que partiellement repris par la Suisse au mois d’août. Selon les autorités, les autres mesures sont encore à l’étude. Quant au 19e train de sanctions approuvé jeudi dernier à Bruxelles, son examen à Berne ne fait que commencer.
Dans ce numéro d’équilibriste entre solidarité envers l’Ukraine et rôle de médiateur avec la Russie, le Conseil fédéral ne dispose guère d’autre instrument qu’un jeu tactique basé sur le temps. A condition, toutefois, de ne pas épuiser la patience de l’Union européenne ni celle du «cher Volodymyr».
Traduit de l'allemand par Joel Espi
