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Climat: «Est-ce que ça vaut encore la peine de faire des enfants?»

Climat: «Est-ce que ça vaut encore la peine de faire des enfants?»
L'écoanxiété. En médaillon, le professeur Antoine Pelissolo. Image: Shutterstock

Ecoanxiété: «Mes patients ont des visions d'horreur face au futur de la planète»

Chef du service de psychiatrie à l'Hôpital Henri-Mondor en région parisienne, le professeur Antoine Pelissolo, coauteur du livre Les émotions du dérèglement climatique (Flammarion), s'est spécialisé dans le traitement de l'écoanxiété, soit les angoisses liées au dérèglement climatique. Il a répondu aux questions de watson.
25.08.2022, 16:5626.08.2022, 08:26
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Quel est le profil de vos patients venant consulter pour écoanxiété?
Dans leur majorité, ce sont des jeunes entre 25 et 30 ans. Ils ont plutôt un bon niveau d’instruction, font des études ou en ont fait, ils sont informés de ce qui se passe dans le monde. A un moment donné se manifeste chez eux un état dépressif, associé à la problématique de l’environnement et plus particulièrement du changement climatique.

«Ceux qui souffrent le plus, ce sont les jeunes, car ils se projettent dans leur vie à venir, mais nous avons aussi en consultation des personnes plus âgées, notamment des écologistes»

Si, historiquement, et l'on peut remonter jusqu'à quarante ans, les écologistes des générations plus anciennes se sont moins inquiétés pour eux-mêmes que pour les générations futures, ils n'ont pas moins eu à affronter, à un moment donné, un état écoanxieux.

Depuis combien de temps travaillez-vous sur l'écoanxiété et combien avez-vous de patients écoanxieux?
Dans mon service à l'Hôpital Henri-Mondor, cela fait trois ans que nous travaillons sur les angoisses liées aux questions climatiques. En tout, chez nous, le nombre de patients écoanxieux se compte en plusieurs dizaines. C’est un phénomène en augmentation. La pandémie du Covid a joué un rôle, à quoi se sont ajoutés des événements climatiques.

«Des visions d’horreur concernant l’avenir»

Comment vos patients vous parlent-ils de leurs angoisses?
C’est souvent quelque chose qui ressemble à des obsessions, le fait, par exemple, de ne pas pouvoir se détacher de la pensée négative autour de leur propre avenir. Pour dire les choses un peu trivialement, ça leur prend la tête. Leurs craintes liées au climat les empêchent de se concentrer sur le reste. Cela crée chez eux une tension nerveuse, avec tous les signes habituels de l’angoisse: une respiration difficile, des troubles du sommeil, des pertes d’appétit ou, à l'inverse, un appétit débordant.

Certains de vos patients font-ils des cauchemars?
Oui, cela se manifeste par des visions d’horreur concernant l’avenir. C’est quelque chose qui se rapproche de ce qu’on appelle le stress prétraumatique et non pas post-traumatique, lequel se rapporte à des gens qui ont vécu des catastrophes. Là, on a affaire à des gens qui ont l’impression que la catastrophe climatique, dont il leur semble voir les signes avant-coureurs un peu partout, va leur tomber dessus.

Politiquement, économiquement, quelles formes prend chez eux cette écoanxiété?


Ils se posent des questions sur les actions à mener, sur les choix de consommation à faire. Par exemple: quels vêtements acheter? Leur origine? Leur impact sur l’environnement? Des questions qui pèsent sur les choix quotidiens parce qu’il y a une forme de culpabilité. Une hyperresponsabilité qui appuie sur la charge mentale.

Est-ce que la question de savoir si cela vaut encore la peine de faire des enfants se pose aussi?
Oui, et elle se pose à peu près chez autant d’hommes que de femmes, alors que sur l’écoanxiété proprement dite, on voit plus de femmes que d’hommes en consultation. La question de fonder une famille, d’avoir soi-même des enfants, est récurrente. Comme quoi il n’est pas possible ou pas souhaitable de mettre des enfants au monde sur une Terre surpeuplée. Dans l'esprit de ces patients, c’est les condamner à un avenir quand même très sombre.

«Nous avons des jeunes qui, bien que n'étant pas encore en situation de fonder une famille, se demandent à quoi bon faire des enfants»

Quel est le mode de vie de vos patients?
Ce sont souvent des personnes citadines qui, au départ, ont une vie normale ou assez riche, qui ont un environnement social et amical qui correspond à leurs valeurs. Ils ne sont donc pas forcément isolés. Par contre, certains, quand ils vont mal, se replient sur eux-mêmes. Surtout quand ils ne trouvent pas en face une écoute qui soit bienveillante vis-à-vis de ces questions-là. Car les questions climatiques donnent lieu encore à pas mal de débats, avec des expressions climatosceptiques qui font naître pas mal de colères et de ressentiment.

Constatez-vous chez vos patients une envie d’agir?
Il y a tous les degrés, toute une diversité de réactions. L’écoanxiété normale, si l’on peut dire, chose que nous, praticiens, considérons comme un moyen de manifester une prise de conscience, permet de se mettre en action pour prendre des mesures dans sa vie à soi et éventuellement s’investir dans des causes.

Des causes qui peuvent être radicales?
Dans certains cas, oui. Ce sont ceux qui ont la conviction que le monde va s’effondrer.

«Ce sont les collapsologues. Ceux-là s’engagent dans une radicalité qui les pousse à vouloir qu’on transforme tous nos modes de vie, notre organisation sur Terre. C’est une frange de mes patients, ce n’est pas la majorité»

Certains sont-ils engagés dans des mouvements comme Extinction Rébellion?
Oui, tout à fait, certains ressentent le besoin d’agir, d’être utiles. Chacun s’engage à sa mesure. Ça peut être un choix d’études ou de profession en rapport avec l’environnement, par exemple.

«Une empathie pour les personnes qui fuient»

Y a-t-il aussi, parmi vos patients, des angoisses liées à des visions de submersion par des populations étrangères, fuyant elles-mêmes des zones qui seraient devenues invivables? Des angoisses liées à la raréfaction de l'eau potable et des terres cultivables, aux conflits que cela pourrait susciter? Des angoisses à l’idée de devoir soi-même migrer pour assurer sa survie?
Il y a une inquiétude qui consiste à se demander où l’on va bien pouvoir habiter, en France même, avec des températures extrêmes qui maintenant gagnent le nord du pays. C’est lié à la chaleur, mais aussi à la montée des eaux dans les régions côtières. Chez les jeunes que je reçois en consultation, et par rapport à votre premier point, ce n’est pas une hostilité, mais plutôt une empathie que je constate pour les personnes qui fuient, parfois au péril de leur vie, des pays situés au sud de la Méditerranée. Mais j’ai aussi des patients, peu nombreux, qui, comme certains sont collapsologues, ont des visions de conflits entre populations, où chacun va se battre pour sa survie, et là, on entre dans le domaine du survivalisme et parfois du complotisme.

Certains de vos patients se montrent-ils apathiques, passifs face au dérèglement climatique?
Oui, certains sont pris par une forme de paralysie, d’inhibition, de démobilisation qui peut aller jusqu’à la dépression. C’est le mauvais côté de l’écoanxiété, si j’ose dire.

«Cela peut aller jusqu’à des troubles suicidaires»

Quels traitements préconisez-vous?
Ça peut être un traitement médicamenteux en cas de dépression sévère. Mais la première étape, face à un patient, c’est l’écoute, pour faire le diagnostic. Il est important d’avoir une écoute qui légitime cette parole-là. Il faut montrer qu’on partage un constat commun sur le dérèglement climatique. Comme avec quelqu’un qui traverse un deuil, car cela ressemble un peu à cela, il faut parler beaucoup. On a des méthodes de relaxation, de méditation. On préconise un rapprochement avec la nature, ce qui est quand même le remède le mieux adapté.

Pr. Antoine Pelissolo, dr. Célie Massini, «Les émotions du dérèglement climatique. L'impact des catastrophes écologiques sur notre bien-être et comment y faire face!», Flammarion, 2021, 246 pages.

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