Les Russes continuent de progresser en Ukraine, lentement. Jusqu'à présent, l'armée ukrainienne réussit à tenir les villes du Donbass, au prix de lourdes pertes. Bakhmout et Avdiïvka sont celles où les chances de succès de Poutine sont les plus élevées.
Mais le chef du Kremlin est contraint d'envoyer un matériel de plus en plus ancien à ses hommes. Côté ukrainien, les chars et les véhicules de combat d'infanterie occidentaux sont de plus en plus modernes. L'expert militaire Christian Mölling évoque avec nous les chances de réussite d'une contre-offensive ukrainienne.
Christian Mölling, de plus en plus de chars de combat modernes, arrivent en Ukraine en provenance de l'Occident. Cela pourrait-il marquer un tournant dans la guerre?
Il faut rester prudent dans les perspectives. Il n'y a que deux douzaines de chars de combat occidentaux qui sont arrivés en Ukraine. Ce n'est pas beaucoup.
Après tout, les chars occidentaux sont nettement supérieurs à leurs adversaires russes sur le plan technologique.
C'est vrai. L'Ukraine reçoit des chars ultramodernes, tandis que la Russie fait visiblement venir du matériel de la Seconde Guerre mondiale. Dans un affrontement direct de chars, il n'y aurait pas photo. Mais l'armée russe profite de la supériorité numérique. Et les chars du côté ukrainien risquent également la panne.
Dans quelle mesure les chars peuvent-ils être un point clé dans la guerre?
Les chars de combat sont un élément important de l'offensive, mais ils ne sont pas une arme miracle. La qualité et la quantité sont déterminantes. Si l'Ukraine disposait de plus de chars modernes, cela serait bien sûr plus utile. Mais si elle ne dispose que des chars de mauvaise qualité, elle devra en avoir beaucoup pour faire le poids.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré que l'Ukraine ne pouvait pas encore lancer la contre-offensive en raison du manque de munitions. Est-ce une feinte ukrainienne?
En temps de guerre, les munitions sont toujours un problème. L'Ukraine doit en utiliser beaucoup, mais elle doit aussi prévoir des réserves. Je ne peux pas dire quel est le but recherché par Zelensky, s'il veut mettre la Russie en confiance ou si l'armée ukrainienne a réellement besoin de plus de munitions pour une offensive. Ce serait de la spéculation.
Il est probablement aussi difficile de calculer les besoins exacts en munition d'une offensive, d'autant plus que la Russie se prépare également à ce scénario et met en place des lignes de défense.
Exactement. Le fait que l'armée russe ait perdu une grande partie du territoire ukrainien l'année dernière n'est pas passé inaperçu. Cela a laissé des traces. La Russie a bien sûr peur que de nouvelles percées se produisent sur le front. Ce serait politiquement catastrophique pour Poutine. Si la Russie perdait le pont terrestre vers la Crimée, au sud de l'Ukraine, la péninsule de la mer Noire serait menacée.
C'est-à-dire?
Dès que le sud sera libéré, même partiellement, par l'armée ukrainienne, le risque pour la Crimée augmentera considérablement, car la péninsule sera difficile à approvisionner sans le pont terrestre. L'Ukraine aurait alors de meilleures chances d'attaquer de nouveau le pont de Crimée.
Russian forces in occupied Crimea are digging new trenches along the roads leading into the peninsula.
— Brady Africk (@bradyafr) March 27, 2023
This interactive map shows many of Russia's field fortifications in Ukraine and links each point to satellite imagery: https://t.co/km9lFOldbe pic.twitter.com/EtHSyoaMZn
Vous avez dit un jour que la Russie avait tiré les leçons de ses échecs. N'est-ce pas justement pour cette raison que l'Occident aurait dû accélérer ses livraisons d'armes? Les chars ne sont-ils pas arrivés trop tard?
En effet, les chars occidentaux sont arrivés trop tard. L'année dernière, l'Ukraine a prouvé qu'elle pouvait reconquérir des territoires. De nombreux pays occidentaux – dont l'Allemagne – auraient dû traduire plus rapidement cette prise de conscience en un soutien plus important. Le chancelier Olaf Scholz a déclaré qu'il s'agissait de reconquérir du territoire. Mais si nous ne donnons pas à l'Ukraine les moyens de le faire, nous en resterons à des paroles en l'air.
L'hésitation allemande était donc aussi liée au fait que le gouvernement fédéral avait sous-estimé les capacités de l'armée ukrainienne?
Au début de la guerre d'agression russe contre l'Ukraine, l'Allemagne pensait que la Russie gagnerait rapidement. Les stratèges de la chancellerie ont manifestement toujours leurs vieux stéréotypes et ne font toujours pas confiance à l'Ukraine pour gagner cette guerre. Comme l'Allemagne n'a aucune expérience de ce type de décision de guerre, le gouvernement fédéral n'ose souvent pas tout de suite se mouiller.
Le gouvernement fédéral souhaite probablement naviguer dans le sillage des Etats-Unis.
En regardant l'Allemagne, les Américains pensent que nous n'avons toujours pas compris qu'il y a une guerre en Europe. Ils ne comprennent pas les tergiversations allemandes et perdent vraiment foi en nous, même si la chancellerie ne veut pas le voir.
Pour le président américain Joe Biden, l'engagement en faveur de l'Ukraine n'est pas sans risque politique. Après tout, des élections présidentielles sont prévues en 2024.
Biden s'est rendu vulnérable en s'engageant à livrer des chars de combat Abrams. Pour que l'Allemagne puisse livrer des Leopard 2, le président américain s'est lui-même jeté sous le bus. Les chaînes de télévision conservatrices américaines répètent allègrement que le soutien américain à l'Ukraine n'est pas dans l'intérêt national. Pendant la campagne électorale, on ajoutera que l'Allemagne n'en fait pas assez. Biden devra donc porter le chapeau pour l'Allemagne et nous ne ferons rien pour le soutenir. Rendant sa réélection moins probable.
Au final, la Russie devra, elle aussi, transférer durablement du matériel de guerre en Ukraine si Poutine poursuit la guerre. Le Kremlin a annoncé pouvoir mettre à disposition 1500 chars par an. Est-ce réaliste?
Soit c'est de la propagande russe, soit la Russie envoie des chars de la Première Guerre mondiale. Une blague circule déjà sur le fait que Poutine pourrait demander le retour du char T-34 qui se trouve ici, au monument aux morts de Berlin. Je ne peux pas juger de la quantité, mais nous constatons en tout cas une baisse de la qualité du matériel de guerre russe en Ukraine.
Il est significatif de voir que le Kremlin menace désormais l'industrie d'armement russe.
C'est un signe d'impuissance. Le Kremlin pourrait fusiller les gens à tour de bras ou les envoyer au goulag, mais cela ne leur permettrait pas d'obtenir plus de chars. Parce que certaines technologies occidentales leur manquent, les chars russes sont plus difficiles à produire et ils ne sont plus aussi performants. Par exemple, les Russes ne sont plus en mesure de construire de bons systèmes de vision thermique. Leurs chars ne sont plus capables de combattre de nuit, contrairement aux chars occidentaux.