Donald Trump, l'ex-président, est inculpé à New York. C'est du jamais vu dans la longue histoire des Etats-Unis. Un événement historique. Votre réaction?
Claudia Franziska Brühwiler: Historiquement oui, mais pas surprenant. Plusieurs procédures sont en cours contre Trump. La question était de savoir laquelle serait mise en accusation en premier.
De nombreux électeurs seront du même avis. Il est surprenant que l'on prenne ce risque dans le contexte des élections de 2024.
Qu'est-ce que cela signifie pour les élections de l'année prochaine?
Tout d'abord, il peut quand même se présenter. La procédure lui pèsera, tant en termes de temps que d'argent. Si une condamnation devait être prononcée, cela soulèverait de nouvelles questions. Par exemple, si le ministère public fédéral ou celui de Géorgie intervient.
Dans quel contexte le procureur fédéral interviendrait-il?
Pour le rôle de Trump dans l'assaut du Capitole à Washington. Il s'agirait du plus grand procès à venir. Pour cette affaire, il risque jusqu'à quatre ans de prison.
Cette accusation nuit-elle ou aide-t-elle politiquement Trump?
Pour l'instant, ça semble neutre. Ses partisans lui sont fidèles, quelles que soient les accusations portées contre Trump. Des politiciens républicains de haut rang comme Mike Pence et Ron DeSantis le soutiennent également. DeSantis, le gouverneur de Floride, a déjà déclaré qu'il ne laisserait pas Trump être extradé. Les républicains partent du principe que de nombreux électeurs seront irrités par cette accusation et ne se détourneront pas de Trump.
Ron DeSantis est le plus grand rival de Trump au sein du parti pour les élections à venir. Qu'est-ce que cela signifie pour lui?
Il peut se profiler comme un concurrent loyal, ce qu'il fait aujourd'hui en condamnant l'inculpation.
C'est d'ailleurs pour cette raison qu'au sein du parti, de nombreuses voix se sont élevées pour s'opposer à de nouvelles enquêtes sur la prise du Capitole, pour que Trump ne soit pas au centre de l'attention.
Comment ses partisans vont-ils réagir à l'accusation?
Nous ne le savons pas encore. Il y aura certainement un état d'alerte élevé à New York. Il pourrait y avoir des manifestations.
Craignez-vous une sorte de deuxième assaut sur le Capitole, comme il y a un peu plus de deux ans?
L'assaut du Capitole a servi de leçon. Les menaces sur les réseaux sociaux sont prises au sérieux, les forces de sécurité et les autorités sont mieux préparées. J'espère que cela ne se reproduira pas. D'ailleurs, les manifestants savent désormais qu'ils peuvent être poursuivis en justice. Beaucoup n'y avaient pas pensé à l'époque.
Cette inculpation est-elle politiquement judicieuse?
Un procureur n'est pas tenu en premier lieu de faire preuve de sagesse politique, mais de respecter le droit. Le ministère américain de la Justice n'est pas de cet avis, raison pour laquelle il réfléchit encore. Mais l'accusation pourrait avoir un effet de catalyseur et inciter la Géorgie et le ministère de la Justice à passer à l'action.
Quel est l'enjeu global de cette inculpation?
Les présidents américains ont un statut particulier, y compris dans la pensée politique, dans la culture politique du pays. Certains présidents jouissent d'une sorte de statut de saint. Même si nous savons qu'ils n'en étaient pas.
Richard Nixon, par exemple.
Ou Ronald Reagan pour l'affaire Iran-Contra. Mais on ne l'a pas accusé, lui ou d'autres, notamment parce que l'on connaissait l'aura de la fonction. Nous sommes désormais à une époque où un président a déjà rompu avec de nombreuses normes et a fait redescendre la fonction des hautes sphères sur terre. La question est de savoir dans quelle mesure la situation culturelle peut être encore plus endommagée qu'elle ne l'a déjà été par le mandat de Trump et après sa destitution. Il est même salutaire de voir qu'un président doit aussi rendre des comptes.
La société risque-t-elle de se diviser davantage?
Non, je ne pense pas que cela puisse être pire. Le facteur Trump a séparé les gens depuis le début de son action politique.
Vous avez déjà évoqué les autres procédures engagées contre Trump. Quel serait le pire cas de figure pour Trump, et qu'est-ce qui menace le pays?
Pour Trump personnellement, le pire serait qu'il soit mis derrière les barreaux. Pour le pays: je n'en suis pas sûr.
Dans un premier temps, cela diviserait probablement les gens, comme avec l'ensemble de son mandat. Mais la foi en la justice aux Etats-Unis est toujours très élevée. Au final, cela pourrait aussi avoir un effet salutaire et provoquer un réveil. C'est une pensée très optimiste, mais l'optimisme est très américain.
Mais cela pourrait aussi radicaliser davantage les partisans de Trump.
La proportion de ses partisans enclins à la violence est toujours très faible. Les scénarios de guerre civile tant évoqués ne seraient pas soutenus par le vaste milieu de la société. Et l'appareil de sécurité l'empêcherait.
Ces procédures seraient donc pour les républicains une manière élégante de se débarrasser de Trump.
En fin de compte, c'est ce que l'on veut du côté des républicains. Les soutiens à Trump et les réactions comme celles de DeSantis sont purement tactiques. Personne n'éprouve de véritable compassion pour Trump.