Le parcours Ron DeSantis a tout du rêve américain: brillant joueur de baseball, diplômé des prestigieuses universités de Yale et de Harvard, officier de la marine américaine, vétéran décoré, gouverneur de Floride - et bientôt, sans doute, candidat républicain à la présidence des Etats-Unis.
Autant dire que, comparé à la réputation sulfureuse de Donald Trump, DeSantis apparaît comme un républicain bien sous tous rapports. C'est sans compter son rival politique républicain pour aller fouiner dans son passé à la quête de dossiers compromettants.
Sans oublier les enquêtes de quelques grands médias anglophones. Cette semaine, au tour du Washington Post et The Independant de dépoussiérer quelques archives que Ron DeSantis aurait sans doute préféré conserver dans son sous-sol. Selon leurs rapports, une ligne du CV du «candidat idéal» pourrait projeter une lumière un peu blafarde: l'année 2006.
Ce mois de mars 2006, Ron DeSantis est encore un jeune avocat de 27 ans, fraîchement sorti des bancs la fac de Harvard. C'est pour un poste de conseiller juridique qu'il pose ses valises dans la baie de Guantanamo, à Cuba.
L'établissement se trouve alors en pleine tourmente. Dans le courant du mois de juin, trois détenus ont été retrouvés morts dans la même nuit. Sentant venir le scandale, la Maison Blanche exhorte l'institution à trouver une résolution rapide pour se dépatouiller de cette crise embarrassante.
Un peu plus tôt dans l'année, les autorités du camp ont décidé de durcir le ton à l'égard des détenus. Afin de dénoncer leurs conditions de détention, plusieurs d'entre eux se sont lancés dans une grève de la faim. La réponse des autorités américaines pour lutter contre ces grévistes est relativement simple: le gavage des prisonniers.
La méthode, révèle le New York Times à l'époque, implique «d'attacher certains des détenus sur des "chaises de contention" pour les gaver et les isoler les uns des autres, après avoir découvert que certains vomissaient délibérément ou siphonnaient le liquide qu'ils avaient reçu.»
Ron DeSantis rejoint une équipe juridique chargée d'aider les enquêteurs de la navy. Sa mission? S'assurer que l'armée a respecté la loi. Un job hautement périlleux et très exposé pour le tout jeune avocat.
Dans une interview accordée bien des années plus tard à une station de télévision locale de CBS, Ron DeSantis revient brièvement sur son mandat. Il raconte comment, sur demande d'un commandant de la prison pour régler le problème des grévistes, le jeune avocat donne son aval: «Vous pouvez réellement les nourrir de force. Voici ce que vous pouvez faire et les règles pour ça.»
Selon les documents consultés par le Washington Post, tout au long de son année dans le camp de détention, Ron DeSantis aurait obtenu un accès inédit à certains des incidents les plus troublants de l'histoire de Guantanamo. Plusieurs témoins confirment qu'il est présent lors de leurs séances de torture.
Parmi eux: Mansoor Adayfi, 19 ans au moment de son entrée à Guantanamo. En 2006, le jeune homme est en pleine grève de la faim, lorsqu'il subit le processus de gavage forcé:
Ce jour-là, Mansoor Adayfi est formel: Ron DeSantis est là, derrière une clôture, pendant qu'il se retrouve attaché à une chaise de contention et gavé.
«Je n'essaie pas de dire que DeSantis donnait des ordres au gavage. Je ne l'ai pas vu donner des ordres aux gardes et je ne pense pas qu'il était en mesure de donner des ordres aux gardes», témoigne l'ancien détenu, qui aurait reconnu l'avocat bien des années plus tard, lorsqu'il est devenu gouverneur de Floride.
Les récits des prisonniers n'ont pas pu être vérifiés de manière indépendante. Toutefois, ils correspondent aux détails des tâches de DeSantis, décrites dans les documents officiels.
Le service de Ron DeSantis à la prison de Guantanamo s'achève quelques mois plus tard, le 31 janvier 2007, selon les archives militaires. Après son passage par Cuba, le juge-avocat général se rend Irak, avant de devenir membre du Congrès en 2012.
Dans son autobiographie, comme dans ses interviews, Ron DeSantis livre peu de détails sur l'un des chapitres les plus révélateurs et troublants de son parcours. Pourtant, son service au sein de la base aurait, selon d'anciens responsables familiers du gouverneur de Floride, contribué à forger ses opinions ultra-conservatrices en matière de politique.
Ron DeSantis n'a toutefois jamais remis en question son propre rôle dans ce qui s'est passé. Au contraire. Après son accession au Congrès, il devient une voix de premier plan pour garder la prison ouverte. Il a soutenu à plusieurs reprises que les États-Unis avaient raison d'emprisonner des détenus en dehors du système judiciaire.
La majorité des détenus n'ont jamais été reconnus coupables d'actes hostiles contre les Etats-Unis, sans jamais avoir droit à de procédure judiciaire claire pour déterminer leur culpabilité.
En ce qui concerne les grèves de la faim, le potentiel candidat à la Maison Blanche reste convaincu: pour lui, cette manière de protester fait partie d'un «djihad» contre les Etats-Unis. En 2018, il affirme qu'ils utilisent la maltraitance des détenus de manière offensive contre nous. C'est une tactique, une technique et une procédure.»