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JO 2024: «La désinformation sert les intérêt de la Russie»

Les fausses informations sur les Jeux olympiques de Paris se multiplient en ligne. Elles proviennent d'un écosystème complexe où des Etats étrangers opèrent à côté d'internautes anonymes. L& ...
Image: watson
Interview

Désinformation aux JO: «Certains récits servent les intérêts du Kremlin»

Les fausses informations sur les Jeux olympiques de Paris se multiplient en ligne. Elles proviennent d'un écosystème complexe où des Etats étrangers opèrent à côté d'internautes anonymes. L'objectif: saper la confiance dans les Jeux et les autorités qui les organisent.
02.08.2024, 06:0404.09.2024, 13:38
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Le début des Jeux olympiques de Paris, la semaine dernière, n'a pas uniquement attiré l'attention des supporteurs, des fans et des amateurs de sport de la planète. Des yeux bien plus malveillants se sont également braqués sur la capitale française: ceux des colporteurs de désinformation.

Selon Newsguard, une start-up américaine qui évalue et classe les sites d'actualité en fonction de leur crédibilité, «un flot de fausses affirmations» sur cet événement sportif se répand en ligne. A ce jour, Newsguard a identifié 25 mythes - le nom qu'elle donne à de faux récits particulièrement répandus - diffusés par 67 sites d’information «peu fiables», ainsi que sur les réseaux sociaux.

Quelques exemples? Les Parisiennes enceintes ont été incitées à accoucher avant les JO, la CIA a déconseillé d'utiliser le métro pendant les Jeux, ou a affirmé que ces derniers ne respectaient pas les protocoles de sécurité. Qui se trouve derrière tout ça, et quels sont les objectifs sous-jacents? Nous avons interrogé Chine Labbé, rédactrice en chef et vice-présidente en charge des partenariats Europe et Canada chez Newsguard. Interview.

Chine Labbé.
Chine Labbé, rédactrice en chef et vice-présidente en charge des partenariats Europe et Canada chez Newsguard.Image: Twitter

Newsguard a identifié beaucoup de fausses informations liées aux JO qui se répandent en ligne. Vous vous y attendiez?
Chine Labbé: Oui. Pour être tout à fait honnête, cela ne nous a pas surpris. Il s'agit d'un événement international, avec beaucoup de visibilité, et cela se prête à la désinformation, malheureusement. Nous avons constaté que, depuis 2020 et la crise du Covid, les infox se multiplient dès qu'il y a un gros événement dans l'actualité, que ce soit un tremblement de terre, un tournoi sportif ou des élections. Nous étions préparés.

Quand ces infox ont-elles commencé à circuler?
Nous avons commencé à identifier de faux mythes au début de l’année, mais il s'agissait de récits éparpillés, pas très viraux. Ils portaient surtout sur des risques présumés liés à la sécurité, sur le manque de préparation supposé de la ville et sur la soi-disant faible popularité des Jeux. Puis, à partir des jours qui ont précédé le début des JO, ainsi qu'après la cérémonie d'ouverture, les choses se sont nettement accélérées.

«Ce n'est pas très surprenant: il fallait attendre d'avoir du concret pour voir apparaître de nouvelles fausses informations»

Sur quoi portent les nouveaux faux récits circulant depuis le début des Jeux?
Il s'agit essentiellement des mêmes thèmes, mais qui s'appuient cette fois sur des événements concrets. Nous avons repéré une fausse information selon laquelle l'AFP et RFI auraient rapporté une augmentation des vols de rue dans Paris avant les Jeux, ce qui est faux. Une autre soutenait que Logan Martin, un athlète de BMX, s'était fait cambrioler son van à Paris pendant les Jeux. Or le champion australien s’est bien fait piller son van, mais à Bruxelles, avant d’arriver à Paris. Ou encore, la BBC aurait rapporté que l'équipe britannique avait commandé 400 matelas pour ses athlètes, car ceux fournis dans le village olympique n'étaient pas satisfaisants.

«Il y a souvent des grains de vérité déformés dans les faux récits qui circulent, mais on trouve aussi des récits fabriqués de toutes pièces»

Il faut aussi souligner que nous avons recensé 25 mythes à ce stade, mais il y en a bien davantage qui circulent. Nos équipes sont en ce moment même en train d’en vérifier une dizaine d’autres. Par ailleurs, il y a énormément de faux récits qui restent marginaux, confinés sur des chaînes Telegram obscures, sans gagner en viralité. Il y a énormément de tentatives de polluer le débat, mais toutes ne prennent pas forcément.

Qui se trouve derrière ces faux récits?
Nous sommes face à un écosystème très complexe. On y trouve des Etats étrangers aussi bien que des comptes diffusant de la propagande sans être nécessairement liés aux Etats en question, ainsi que des personnes qui partagent certains faux récits tout simplement parce qu'ils confirment leur vision du monde, sans qu'il y ait un intérêt sous-jacent.

«Des internautes peuvent par exemple partager de fausses informations sur l'insécurité à Paris parce qu'ils pensent sincèrement que Paris est une ville peu sûre, et pensent l'information légitime»

Vingt-deux des 67 sites que vous avez identifiés ont diffusé par le passé de la propagande pro-russe. Faut-il voir dans ces infox la main de Moscou?
La propagande russe est une vaste nébuleuse, où des comptes et des sites pro-russes pas toujours directement liés au Kremlin opèrent à côté des médias d'Etat, comme Tass ou RT. Ces derniers ont par exemple répété la fausse information selon laquelle le Comité international olympique aurait enlevé la vidéo de la cérémonie d'ouverture de sa chaîne Youtube officielle en raison des controverses suscitées par le spectacle. En réalité, le replay a juste été bloqué dans certains endroits pour des questions de droit à l'image.

«Certains récits servent les intérêts du Kremlin, qui les exploite même s'il n'en est pas l'auteur»

Les médias d'Etat iraniens ont fait de même. Certains d'entre eux ont relayé de fausses informations, et notamment l'allégation selon laquelle Emmanuel Macron aurait interdit le drapeau palestinien aux JO.

Pourquoi ces Etats se mêlent-ils aux JO?
Il s'agit d'une compétition internationale, avec des intérêts et des enjeux géopolitiques très forts, comme l'absence de la Russie. Nous ne sommes pas toujours en mesure de dire si des récits ont été créés dans un but précis, mais certains servent les intérêts de puissances étrangères, qui vont les utiliser. On le voit très clairement avec la Russie ou avec l'Iran. Mais, comme je l'ai dit avant, le paysage n'est pas uniforme, et de nombreux récits gagnent en viralité grâce à des colporteurs d’infox locaux, notamment en Europe.

Quels sont donc les objectifs des autres acteurs présents?
Les objectifs sont toujours difficiles à définir. On ne peut pas faire de généralités, car les colporteurs d'infox sont multiples et on ne peut pas se mettre dans leur tête et savoir ce qui les motive vraiment. Ce qui est sûr, c'est que les thèmes communs que nous avons repérés semblent vouloir saper la confiance dans les Jeux, ainsi que leur popularité, et dissuader les gens de venir assister aux épreuves, en faisant croire à un chaos organisationnel et sécuritaire.

Connaissiez-vous déjà tous les sites que vous avez identifiés?
Sur les 67 sites que nous avons identifiés, nous en connaissons une bonne moitié, que nous avions déjà repérés. Chaque fois que des infox commencent à circuler, nous trouvons des multirécidivistes bien connus, qui sautent sur chaque nouvelle infox, ainsi que des sites plus obscurs, qui sont parfois créés dans le cadre d'une campagne de désinformation spécifique. D'autres petits sites peuvent diffuser de faux récits, sans forcément faire partie d'une opération plus vaste.

«De manière générale, nous nous sommes rendu compte que tous ces sites se connaissent et se reprennent souvent entre eux»

Pouvez-vous donner des exemples?
Le réseau Pravda en est un exemple. Il s'agit d'un ensemble de sites anonymes qui reprend du contenu provenant de sources pro-Kremlin. Onze des 67 sites recensés à ce jour appartiennent à ce réseau. L’un des sites francophones de ce réseau a diffusé quatre des 25 mythes à lui seul.

Les Jeux olympiques de Paris 2024 en images
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Les Jeux olympiques de Paris 2024 en images
Une fumée ressemblant au drapeau de l'équipe de France est montrée au-dessus du pont d'Austerlitz lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques Paris 2024, le 26 juillet 2024 à Paris, en France. (Photo par Lars Baron/Getty Images)
source: getty images europe / lintao zhang
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