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Ukraine: «Les Russes ne sont plus aussi bêtes que l'an dernier»

Des soldats ukrainiens près de Bakhmout.
Des soldats ukrainiens près de Bakhmout, en Ukraine.Image: sda

«Les Russes ne sont plus aussi bêtes que l'année dernière»

L'Ukraine dispose de chars et de munitions pour une contre-attaque de grande envergure, mais Kiev continue malgré tout à attendre. Pourquoi? Un expert nous éclaire.
24.04.2023, 06:0905.05.2023, 13:03
Un article de
t-online
Patrick Diekmann
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C'est le calme avant la tempête. L'armée ukrainienne prépare actuellement une contre-offensive pour libérer d'autres parties du pays des occupants russes. Des chars et des munitions livrés par l'Occident sont arrivés, la formation des soldats ukrainiens aux systèmes d'armes modernes est également terminée. Des images et des vidéos de troupes ukrainiennes circulent certes sur Internet, mais rien n'indique pour l'instant que la contre-attaque a commencé.

Mais le temps joue contre l'Ukraine, car les troupes russes renforcent leurs lignes de défense. L'expert militaire Christian Mölling explique pourquoi l'armée ukrainienne attend malgré tout le bon moment pour contre-attaquer et quel rôle joue la Chine dans l'approvisionnement en armes de l'armée russe.

Monsieur Mölling, des vidéos et des images censées montrer des mouvements de troupes ukrainiennes circulent sur les réseaux sociaux. Voyez-vous des signes indiquant que la contre-offensive ukrainienne a commencé?
Christian Mölling
: Non, je ne les vois pas encore. Du moins, aucun signe évident ne montre que l'Ukraine avance avec ses troupes vers le front.

«Mais il faut toujours garder à l'esprit qu'une contre-attaque dans une guerre ne commence pas comme dans un film hollywoodien»
Christian Mölling
Christian Mölling.

Que voulez-vous dire?
L'armée ukrainienne ne tirera pas sauvagement dans tous les sens. Au contraire, la contre-offensive commence par des reconnaissances tactiques et la recherche de points faibles dans la ligne de front russe. Kiev doit identifier avec soin les positions qui valent la peine d'être attaquées.

Christian Mölling est...
...directeur adjoint de l'institut de recherche du groupe de réflexion DGAP et directeur du Centre pour la sécurité et la défense.

Mais la reconnaissance se fait en permanence, non?
Oui, mais c'est le jeu du chat et de la souris. Bien sûr, l'armée russe sait que ses positions sont espionnées et il y a constamment des déplacements de troupes le long de la ligne de front afin de compenser ses propres faiblesses ou d'exploiter celles de l'adversaire. C'est pourquoi la reconnaissance tactique est toujours adaptée à la situation.

L'Ukraine aurait-elle entre-temps suffisamment de systèmes d'armes et de munitions pour une attaque?
Probablement, oui. Bien sûr, l'armée ukrainienne est actuellement en meilleure position qu'il y a quelques mois grâce aux livraisons d'armes de l'Occident.

Y compris pour les munitions?
En ce qui concerne les munitions, nous savons qu'il y a des points faibles. Mais les Ukrainiens ne vont pas se laisser décourager maintenant par le fait que les Russes en ont plus. Pour eux, il s'agira d'atteindre un objectif limité avec une contre-attaque et cet objectif sera adapté en fonction de la quantité de munitions et d'armes disponibles. La stratégie est en fait simple, mais le succès d'une contre-offensive se mesure évidemment en fonction du matériel disponible.

Alors pourquoi l'armée ukrainienne n'attaque-t-elle toujours pas?
Il y a différentes raisons à cela. D'une part, le temps est un problème. En comparaison, le matériel occidental est nettement plus lourd que celui du côté russe. Les chars occidentaux risquent de s'enliser dans la boue. D'autre part, il s'agit pour l'Ukraine d'attaquer avec le plus de force possible. La quantité de territoire qu'elle pourra récupérer en dépendra. Dans toute offensive il y a ce qu'on appelle un point culminant – un point où l'attaque est stoppée, par la résistance ou parce qu'on n'a plus assez de force de combat. L'objectif des Ukrainiens est de retarder ce point autant que possible.

«La contre-offensive aura lieu, reste à savoir quand»
Christian Mölling

Mais cette attente laisse aussi l'opportunité à la Russie de se préparer à cette attaque.
Bien sûr. Le fait que l'Occident n'ait pas équipé l'Ukraine à temps est un problème. Les chars de combat occidentaux peuvent jouer un rôle important, mais ils ont été livrés bien trop tard. Si l'Allemagne avait également réagi plus tôt, l'Ukraine disposerait aujourd'hui d'encore plus de matériel et d'une plus grande expérience dans l'utilisation des systèmes d'armes.

L'armée ukrainienne est-elle suffisamment entraînée pour mener à bien une contre-attaque?
La question ne se pose pas pour moi. Depuis le début de la guerre, l'armée ukrainienne n'a cessé d'utiliser des systèmes d'armes modernes et a surpris l'Occident par sa créativité.

«Pour l'Ukraine, c'est une question de vie ou de mort»

Ce n'est pas si facile de conduire un char, mais ils auront déjà acquis les compétences de base. L'armée ukrainienne s'entraîne plutôt actuellement à la capacité d'intervention tactique au combat et à l'utilisation des appareils modernes en réseau. Mais il n'y a guère de temps pour cela.

L'Ukraine n'a-t-elle donc qu'une seule chance pour sa contre-offensive?
La pression sur l'Ukraine est forte. Un échec aurait des conséquences sur le discours politique en Occident. D'ores et déjà, des voix s'élèvent pour demander un cessez-le-feu, bien que Kiev souhaite continuer à se battre et à libérer autant de territoire que possible. A cela s'ajoute le fait qu'une partie des républicains américains critiquent le soutien à l'Ukraine et pourraient en faire un thème de campagne pour les prochaines élections. Cela aurait des conséquences et de nouvelles livraisons d'armes à l'Ukraine ne seraient pas garanties.

A quoi les troupes ukrainiennes doivent-elles donc s'attendre lors de leur attaque?
Les Russes se sont efforcés de fortifier le sud de manière significative. Mais les fortifications russes ont été construites rapidement et il y aura dans tous les cas des points faibles dans les lignes de défense. Il s'agit de franchir ces lignes et de mettre à disposition les moyens techniques pour pouvoir traverser les champs de mines par exemple. Ce ne sera pas facile, mais ce n'est pas non plus impossible.

Quelles sont, selon vous, les chances de succès de l'armée ukrainienne?
L'Ukraine obtiendra certainement un certain succès. Honnêtement, je n'ose pas en estimer l'ampleur. Les guerres sont toujours complexes et des détails peuvent faire la différence entre le succès et l'échec.

«C'est pourquoi il est difficile de faire des pronostics»
Christian Mölling

En fin de compte, nous n'avons pas non plus suffisamment d'informations sur l'ampleur de la résistance russe. C'est vrai. Les Russes ne sont plus aussi bête que l'année dernière. Nous ne devons pas supposer qu'ils n'ont pas appris de leurs erreurs lors de cette guerre. Il ne faut ni sous-estimer les Russes ni surestimer l'Ukraine.

Quelle est la situation actuelle de l'armée russe en Ukraine?
Pour Poutine, la situation ne s'améliore pas. Les Russes sortent déjà des dépôts des chars construits peu après la Seconde Guerre mondiale. En revanche, l'Ukraine dispose certes de moins de matériel, mais il est nettement plus moderne. En outre, les soldats russes sont usés par Poutine et leur motivation au combat est clairement inférieure à celle des soldats ukrainiens. La motivation est un facteur important.

Quelles seraient les conséquences pour Poutine si une nouvelle contre-offensive réussissait et que l'Ukraine parvenait à libérer d'autres parties de son territoire?
C'est difficile à évaluer, car la structure du pouvoir au Kremlin n'est pas visible pour nous en Occident. Il se pourrait que des forces au Kremlin déposent Poutine pour faciliter les négociations avec l'Occident. Mais tout cela n'est que théorie.

Le patron de Wagner, Evgueni Prigojine, a récemment écrit publiquement sur son blog au sujet d'une possible fin du conflit. Jusqu'à quel point peut-on prendre cela au sérieux?
Là encore, c'est difficile à dire. Prigojine essaie apparemment de se frayer un chemin dans la politique. De l'extérieur, il est difficile de juger si ses démarches actuelles ont été concertées avec le Kremlin ou non. Dans tous les cas, Prigojine s'est fait de nombreux ennemis au sein de l'establishment russe. Mais ces conflits pourraient au final servir les intérêts de Poutine.

Vous avez évoqué la baisse rapide de la qualité du matériel de guerre russe. Cela n'augmente-t-il pas les chances que Pékin fournisse des armes à Moscou afin d'éviter que Poutine perde cette guerre?
La Chine fait déjà partie de la guerre de Poutine, elle soutient la Russie. Certes, Pékin ne fournit pas de systèmes d'armes lourdes à la Russie. Pour le président chinois Xi Jinping, il s'agit d'un équilibre délicat. D'une part, il ne veut pas laisser Poutine perdre, mais d'autre part, il ne veut pas non plus risquer des sanctions occidentales contre la Chine.

«Les Chinois dépendent encore du transfert de technologie avec l'Occident et il est donc peu probable qu'ils envoient soudainement des chars en Ukraine»

On en reste donc aux semi-conducteurs et autres biens à «double usage»?
Ils sont largement suffisants pour la Russie. Si les Chinois fournissent des semi-conducteurs qui peuvent être utilisés militairement par les Russes et qui fonctionnent avec la technologie militaire russe, Poutine pourra continuer sa guerre. C'est un dilemme pour la Chine, car elle non plus n'a pas de plan pour mettre fin à cette guerre.

Xi Jinping souhaite que Poutine ne perde pas.
Exactement. Mais comment établir un cessez-le-feu stable ou une paix? Ni l'Occident ni la Chine n'en ont actuellement la moindre idée.

(Traduit et adapté par Chiara Lecca)

La guerre en Ukraine dans l'œil d'Alexander Chekmenev
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La guerre en Ukraine dans l'œil d'Alexander Chekmenev
Faces of war pour le New York Times.
source: alexander chekmenev
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Des chants anti-guerre durant un concert à Moscou
Video: watson
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