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Le film «Barbie» censuré: «La stratégie de LFI atteint ses limites»

Bernard Rougier (à droite), chercheur français spécialiste de l'islamisme, s'exprime sur l'affaire de la non-diffusion du film «Barbie» en banlieue parisienne.
Bernard Rougier (à droite), chercheur français spécialiste de l'islamisme, s'exprime sur l'affaire de la non-diffusion du film «Barbie» en banlieue parisienne.image: watson, «Barbie»

«Barbie» censuré: «La stratégie de la gauche LFI atteint ses limites»

Le chercheur français Bernard Rougier, auteur du livre-enquête «Les territoires conquis de l'islamisme», s'exprime sur l'affaire de la non-diffusion de «Barbie» en banlieue parisienne, suite à des pressions au sein du quartier où le film devait être projeté. La piste islamiste suspectée.
14.08.2025, 18:5614.08.2025, 21:41
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Le maire de Noisy-le-Sec, une localité française de Seine-Saint-Denis, a déprogrammé le film «Barbie» de Greta Gerwig, qui devait être diffusé vendredi 8 août dans une cité de la ville. Dénonçant une fiction faisant «l'apologie de l'homosexualité», des habitants ont exercé des pressions, menaçant de s'en prendre au matériel de projection. Une enquête a été ouverte pour «menaces, violences ou actes d'intimidation». Sur BFMTV, le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, a déclaré: «Nous sommes en France et en France il n’y a pas de police des mœurs et de la vertu.» Le ministre d'ajouter:

«Ces pressions d’une minorité violente qui veut hallaliser l’espace public ne sont pas acceptables comme n’est pas acceptable le moindre recul face à ces revendications communautaires»
Bruno Retailleau

Auteur du livre-enquête Les territoires conquis de l'islamisme (PUF, 2021), Bernard Rougier est l'un des meilleurs spécialistes français des phénomènes islamistes. Il a accepté de répondre aux questions de watson.

Quelle est votre première réaction à la suite de cette «affaire Barbie» de Noisy-le-Sec, en banlieue parisienne?
Bernard Rougier: Ma première réaction est une réaction d’expérience, tout en précisant que, comme tout le monde, je n’ai pas l'ensemble des éléments en main. Cela étant dit, je ne suis pas étonné qu’il y ait des formes de vigilance culturelle qui s’installent dans certaines municipalités, en raison du poids particulier de ce que j’appelle l’écosystème islamiste.

Qu'appelez-vous «écosystème islamiste»?
J’entends par-là une manière d’intervenir dans la vie publique à partir d’une conception extrêmement conservatrice des enjeux de société, une condamnation de tout ce qui relève des tendances à la légalisation du mariage homosexuel et plus largement des droits LGBT. Si bien que, chaque fois qu’il y a une possibilité d’intervention, elle peut être utilisée.

«Cela manifeste l’existence d’un écosystème qu’on ne connaît pas, parce qu’il faut être à l’intérieur pour le décrire»

Un écosystème dont on a des échos quand on étudie les prédications religieuses, qui condamne très clairement la décadence occidentale, même si le choses ne sont pas dites de manière aussi crue.

Avez-vous des exemples?

«Vous avez dans énormément de prédications, courantes dans l’Ile-de-France, dont Noisy-le-Sec fait partie, l’idée que, imiter un peuple, c’est devenir un membre de ce peuple»

C’est tiré d’un hadith, un propos attribué au prophète de l’islam, sans qu’on sache toutefois si ce propos est exact et qui consiste à dire: si vous vous intégrez dans la société qui n’est pas musulmane, vous perdez votre identité musulmane. Le discours sur l’identité musulmane, sur la protection des valeurs, sur la défense de la famille, est un discours régulier, profond, qui organise la perception de la vie sociale. Ce discours est également ancré dans la littérature jeunesse musulmane.

Retrouve-t-on cela à l'échelle européenne?
Oui, on retrouve ce discours dans les orientations du CEM, le Council of European Muslims, le Conseil des musulmans européens, l’organisation des Frères musulmans en Europe. Par exemple, le modèle de la femme musulmane obéissant à son mari est mis en avant.

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L’affaire de Noisy-le-Sec peut-elle être vue comme le révélateur d’une contradiction qu’on trouve dans la gauche radicale? Une contradiction qui consisterait, d’une part, à vouloir transmettre des valeurs de tolérance et d'altérité à une sociologie bien précise des banlieues, d’où la programmation du film «Barbie». D'autre part, à s’accommoder d’une idéologie religieuse et décoloniale pas spécialement tolérante.
C’est précisément ce que montre cette affaire. A savoir le clivage de la gauche, en l’occurrence de la gauche LFI (France insoumise), qui, aux élections législatives anticipées de 2024, a remporté dès le premier tour, entre autres gains, la circonscription de Seine-Saint-Denis englobant Noisy-le-Sec.

La division entre qui et qui?
La division, justement, entre ceux qui, au sein de cette gauche, sont encore dans un idéal d’émancipation, de culture du peuple et de promotion d’un modèle progressiste, dont les droits individuels LGBT sont la dernière expression. Et ceux qui se sont alliés à des fins électorales avec les milieux musulmans traditionnels, que j’aurais plutôt tendance à appeler les milieux activistes et islamistes. Cette affaire de Noisy-le-Sec, s’il se confirme qu’elle est liée à ce type d'activisme, montre les limites de cette stratégie.

Pourquoi?

«Si LFI maintient sa stratégie d’alliance avec le système et les acteurs de l’islam de France, elle ne pourra pas tenir son agenda progressiste. La contradiction est trop forte»

Cette contradiction se manifestera sur des enjeux très concrets, comme la non-diffusion du film «Barbie». Il y a là une tension entre le progressisme sociétale d’une partie de la gauche et le conservatisme islamique de ses alliés.

Justement, il y aura en mars 2026 les élections municipales en France. LFI espère gagner de nombreuses communes de banlieue, où la population musulmane compte pour une part importante, sinon majoritaire. Mais LFI pourrait-elle se faire doubler par des listes communautaires musulmanes?
Je ne crois pas. Les choses se passeront de manière beaucoup plus subtile, comme toujours.

«Il n’y aura pas de listes communautaires. Ceux qui les lancent savent qu’elles sont immédiatement identifiées et dénoncées»

En revanche, il y aura des alliances plus ou moins visibles, où des éléments communautaristes, voire islamistes, vont se glisser dans des listes LFI, avec comme message à la population d’élire la tête de liste parce qu’elle est portée par le réseau associatif musulman local. Le maire ou la maire ainsi élu gardera un discours républicain, mais on connaîtra ses soutiens. Qui, à l’échelle locale, voudra dénoncer ce type d’alliance pourra en payer les conséquences, au moyen d'intimidations par exemple. Cela n’est évidemment pas propre à des alliances avec la gauche seulement.

Diriez-vous que ce qui s’est passé à Noisy-le-Sec est le fait d’une minorité, si l’on retient l’hypothèse d’un coup de pression de type islamiste?

«Oui, c’est une minorité, j’en suis persuadé»

C’est une minorité agissante qui prétend parler au nom des musulmans. Qui prétend connaître leurs orientations et leurs aspirations. Qui se veut le défenseur du modèle familial islamique. Qui, en termes islamiques, entend interdire le mal et promouvoir le bien.

Cette situation est-elle tenable pour un parti comme LFI?
Face à cette réalité, je pense que la gauche LFI lâchera du lest sur son flanc progressiste, parce qu’elle a besoin du poids électoral de ceux qui ont quand même une capacité d’entraînement, notamment à l’occasion des élections en donnant des consignes de vote. A chaque élection, la mosquée donne des consignes de vote.

«Cela se fait de manière encore une fois subtile, en invitant à voter pour celui ou celle qui porte les intérêts des musulmans»

Les acteurs communautaristes ont conscience d’être sous le radar, notamment en raison de la loi séparatisme. Ils agissent donc au moyen d’un classique double discours. L'enquête qui sera certainement diligentée à Noisy-le-Sec permettra peut-être de savoir exactement quels sont ceux qui sont derrière les pressions qui ont abouti à la non-diffusion du film «Barbie».

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Video: watson
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