Long de 73 pages, commandé il y a un an par trois ministères (Affaires étrangères, Armées et Intérieur), un rapport intitulé «Les Frères musulmans et islamisme politique en France» est à la une du Figaro ce mardi 20 mai. Le quotidien français en révèle le contenu, estampillé «secret» il y a peu encore. Qualifié d’«explosif» par le journal, ce rapport paraît dans un moment qui ne l’est pas moins, en raison, notamment, du drame en cours à Gaza et de l'assassinat d'un fidèle musulman le 25 avril dans une mosquée du Sud de la France.
Rédigé par un préfet et un ambassadeur, il résulte d’un travail de terrain et de «rencontres avec 45 universitaires français et étrangers de sensibilités diverses», ainsi qu’avec des «responsables musulmans», dont certains sont issus de la mouvance frériste au cœur de l’enquête. Le rapport décrit et dénonce un «entrisme» politico-religieux, via principalement les institutions, les associations et les réseaux sociaux.
Qui sont et que sont les Frères musulmans? Le Figaro le rappelle. La confrérie est née en 1928 en Egypte sous la conduite de Hassan al-Banna, le grand-père maternel de deux figures bien connues de l’islamisme politique en Suisse romande, les Genevois Hani et Tariq Ramadan. Le but initial – jamais démenti – des Frères musulmans est le rétablissement du califat et l’instauration de la charia comme règle juridique couvrant tous les aspects de l’existence du musulman et de la musulmane, «de la naissance à la mort».
Au cours de leur histoire, les Frères musulmans ont essayé de prendre le pouvoir dans les pays arabes, par la force ou au moyen des élections. Mais leur doctrine de «réislamisation» n’a pas besoin de ravir le pouvoir pour infuser dans la société. Aujourd’hui, notent les auteurs du rapport, les Frères musulmans concentrent leurs forces en Europe plutôt que dans les pays arabes, où ils sont en perte de vitesse, voire interdits et même taxés de terroristes par certains d'entre eux, à l'image de l'Egypte.
En France, sur 2800 lieux de culte musulmans répertoriés, 139 sont concernés, en raison de leur affiliation à Musulmans de France, présentés dans le rapport comme «la principale émanation des Frères musulmans en France», bien que les intéressés s’en défendent.
A ces 139 lieux de culte fréristes, s’ajoutent «280 associations (…), opérant dans une multitude de secteurs encadrant la vie du musulman (culturel mais également caritatif, scolaire, professionnel, jeunesse ou encore financier)».
L’enquête met également en avant «un solide noyau d’écoles confessionnelles», selon Le Figaro, qui cite:
Le rapport révèle qu’en septembre 2023, «21 établissements étaient identifiés comme liés à la mouvance "frériste" (18 directement et trois réputés proches) qui accueille un total de 4200 élèves pour l’année en cours».
L'enquête tire le signal d’alarme sur «l’activisme d’une nouvelle génération de prédicateurs [présents sur les réseaux sociaux], souvent formés par les premiers cadres religieux de la mouvance [arrivés en France dans les années 80] et (...) sujets d’une hybridation avec le salafisme», qui «constitue un facteur majeur de diffusion de l’islamisme via les réseaux sociaux, où ces prédicateurs rencontrent une large audience». Une vingtaine d’influenceurs exercerait «un vrai impact sur les réseaux».
C’est par le voile, qualifié de «porte-étendard» dans le rapport, la filière halal et la finance islamique, que la mouvance frériste a fait souche dans une partie de la société. Au début des années 2000, elle a intégré une structure créée par l’Etat, le Conseil français du culte musulman (CFCM), dissous en 2023.
Des revendications portées par les milieux fréristes se voient opposer des refus de l’Etat, sur le voile à l'école en 2004, sur le port de l'abaya à l'école toujours en 2023, entre autres. Ces refus nourrissent un discours «victimaire» associé à des accusations d’«islamophobie», des ressorts «aujourd’hui très présents à l’échelle des associations locales», relève le rapport.
Le Figaro rappelle que, en France et en Europe, l’«offensive frériste a commencé il y a quelque 70 ans». «A la faveur de mouvements migratoires et de la répression engagée à leur encontre dans le monde musulman à partir des années 1950», les premiers Frères musulmans venus du Moyen-Orient «s’installent en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Suisse» – dans ce dernier pays, par l’intermédiaire du gendre de Hassan al-Banna, Saïd Ramadan, le père de Hani et Tariq.
La progression de l’islamisme politique en Europe ne connaîtra pas de répit. «Dès l’origine, les Frères musulmans ont conçu la matrice de l’islamisme politique [de manière à ce qu’il soit] implanté en Europe». Animé d’un esprit de revanche alors que le monde arabe était sous emprise occidentale, leur fondateur, Hassan al-Banna, déclarait:
Les Frères musulmans ont dans leur matrice un ferment révolutionnaire de type civilisationnel, qu’ils opposent aux Lumières du 18e siècle, rejoignant en cela l’idéologie décoloniale présente sur les campus universitaires, qui voient dans l’universalisme occidental un «impérialisme». Mais, note le rapport, le lien entre décoloniaux et fréristes, s’il participe d'une dynamique intersectionnelle, bute sur la question LGBT, les islamistes combattant l’homosexualité.
Le conflit israélo-palestinien, relate Le Figaro citant le rapport, agit «comme un catalyseur de l’antisionisme historiquement porté par la confrérie et de sa mutation en antisémitisme au sein de la mouvance, à la faveur de ressorts comme "l’argumentation complotiste, la réduction ad Israël (faisant l’amalgame entre Israéliens et juifs), l’idée d’une identité musulmane irréductible (référence à l’antijudaïsme islamique) ou d’une inimitié naturelle entre juifs et musulmans», constatent les auteurs du rapport. En France, notent-ils encore, «l’antisémitisme reste présent dans les discours des membres de la mouvance».
«Face à la percée de la mouvance frériste, "l’action des pouvoirs publics se heurte encore à une insuffisante appréhension du phénomène", cingle le rapport», comme l’écrit Le Figaro. Pour expliquer cet «angle mort» mortifère, les auteurs évoquent la «temporalité» d’une menace «moins immédiate que celle présentée par le risque terroriste». Un préfet résume:
A cela se rajoutent le «culte du secret» et la «politique de respectabilité» observée par la confrérie, qui prospère à bas bruit sur un «échelon local plus que national», souligne le rapport.
Les auteurs du rapport écrivent:
En conséquence, assurent-ils, un «nouveau discours public sera nécessaire» et demandera «l’adhésion de la population dans son ensemble et des Français de confession ou de culture musulmane en particulier ».
Le Figaro estime que «la partie (face à l’islamisme politique) est loin d’être gagnée». Le rapport certifie qu’un sentiment de malaise français, pour le moins, prévaut chez les musulmans «dans un contexte où l’islam reste principalement évoqué sous un angle négatif (…).»
Soucieux de donner des signes positifs aux Français musulmans, l’Etat explore plusieurs pistes, entre autres:
Le Figaro annonce que «le sujet de l’entrisme islamiste et des Frères musulmans sera au cœur du Conseil supérieur de la défense nationale que présidera Emmanuel Macron ce mercredi 21 mai à l’Elysée».