Tout comme son homologue américain, le président ukrainien Volodymyr Zelensky n'a pas suivi un parcours classique. Acteur jusqu'en 2018, il a fondé son propre parti la même année, avec lequel il remportera l'élection l'année suivante. Il occupe depuis lors la plus haute fonction de l'Etat ukrainien.
La Constitution prévoyait en principe des élections en 2024. Mais l'invasion totale de la Russie a conduit à l'entrée en vigueur de la loi martiale, qui interdit expressément toute élection. Une chose est donc certaine: tant que la guerre se poursuivra, Zelensky restera président.
Alors qu'il continue de bénéficier de la confiance d'une grande partie de la population, malgré des hauts et des bas, la durée de la guerre demeure incertaine. Néanmoins, la concurrence politique ne reste pas les bras croisés.
Pendant les années de conflit, certains politiciens et anciens militaires en ont profité pour se refaire une image, tant au niveau national qu'international. Dans le contexte des efforts diplomatiques accrus du gouvernement américain pour mettre fin à la guerre, l'un des rivaux de Zelensky semble se positionner pour un éventuel après.
Selon la journaliste américaine Katie Livingstone, l'ancien commandant en chef des forces armées et actuel ambassadeur au Royaume-Uni, Valeri Zaloujny, préparerait une campagne présidentielle. La journaliste cite une source proche du général.
Zelensky lui-même avait nommé Valeri Zaloujny commandant en chef en 2021. De par son rôle de premier plan dans la guerre, on considérait même parfois ce dernier comme étant plus populaire que le président lui-même. Fin 2023, dans une tribune publiée dans The Economist, il a ouvertement évoqué une impasse. Zelensky l'a publiquement contredit et lui a demandé de mettre de côté ses ambitions politiques. Cet épisode aurait tendu les relations entre les deux hommes.
Fin janvier 2024, Zelensky a tenté de convaincre le gradé de démissionner et lui a proposé un poste de conseiller à la sécurité, mais le militaire a refusé. Le 8 février 2024, Zelensky l'a finalement limogé de son poste de commandant en chef. Officiellement, cette décision visait à «renouveler la stratégie» après l'échec de la contre-offensive ukrainienne.
Le successeur de Valeri Zaloujny, Oleksandr Syrsky, est considéré comme un proche confident de Volodymyr Zelensky. On le dit par ailleurs moins obstiné que son prédécesseur.
Valeri Zaloujny serait déjà en train de réunir une équipe à Londres pour servir ses ambitions politiques. Il serait épaulé par Serhii Naiev, un autre ancien général aussi remercié, et qui a participé à la contre-offensive ukrainienne. Il a déclaré à l'Independent ne pas avoir appris son limogeage par le président, mais par les médias.
Une controverse avait éclaté avant cela, au cours de laquelle Naiev a publiquement critiqué les poursuites judiciaires engagées contre des militaires de haut rang pendant la guerre. On les accusait d'avoir contribué par négligence à l'avancée russe dans la région de Kharkiv en mai 2024. Naiev estimait que ces questions devaient être examinées rétrospectivement et que mener un procès en plein conflit serait contreproductif.
Il a également déclaré dans une interview que le gouvernement Zelensky n'avait pas suffisamment préparé le pays à la guerre. Il a été démis de ses fonctions quelques jours après avoir tenu ses propos, puis envoyé sur le front dans le Donbass à la demande de Kiev. Une décision que certains observateurs en Ukraine ont qualifiée de politique.
Outre les deux militaires, qui n'ont eux-mêmes que peu d'expérience politique, le moteur de l'équipe serait la députée de l'opposition, Viktoria Syumar. Elle appartient au parti de centre-droit Solidarité européenne, présidé par l'ex-dirigeant, Petro Porochenko. Syumar critique depuis longtemps la présidence de Zelensky et la majorité absolue dont dispose son parti au Parlement.
Elle parle de «grand danger pour l'Ukraine» et a rejeté dans le New Voice of Ukraine des informations à propos de son implication directe dans une campagne de Valeri Zaloujny. Mais on la décrit bien souvent comme une stratège en coulisses, qui n'agit pas sous les feux de la rampe.
Pour le travail auprès des médias et la communication, Valeri Zaloujny aurait prévu de faire appel à une autre spécialiste: l'ancienne journaliste de la BBC, Oksana Torop. Dans un entretien avec New Voice of Ukraine, elle a, là aussi, démenti, déclarant soutenir simplement l'ambassadeur en tant que conseillère médiatique.
Tout comme Valeri Zaloujny, elle a souligné qu'il n'était pas question d'un scrutin pendant la guerre. Torop a déclaré:
Une source proche de la campagne a toutefois assuré à Livingstone qu'on s'activait déjà au quartier général de Valeri Zaloujny à Londres. Le recrutement de membres aurait commencé, comme le martèle cette source:
La communication internationale et le réseautage au sein de l'équipe de Valeri Zaloujny seraient confiés à l'ancienne directrice du Centre ukrainien de lutte contre la désinformation, Polina Lysenko. Elle est actuellement directrice adjointe du Bureau national anticorruption, une agence récemment visée par des plans de réduction budgétaire.
Il y a un peu plus d'un mois, le conflit a atteint son paroxysme lorsque Zelensky a voulu faire adopter une loi qui aurait considérablement restreint le travail du bureau. De plus, les services secrets y ont organisé des descentes.
L'Union européenne a critiqué le projet de loi, le qualifiant de «recul», et des manifestations ont eu lieu en Ukraine. Au centre des critiques: le chef d'Etat, que les détracteurs du gouvernement accusent de tendances de plus en plus autoritaires. La loi aurait restreint l'indépendance de l'agence et placé le pouvoir décisionnel presque entièrement entre les mains du procureur général, Ruslan Kravchenko, un autre fidèle de Zelensky.
Face à la pression croissante, celui-ci a depuis annoncé un changement de cap: l'autorité devrait recouvrer davantage de pouvoirs. Alors qu'un apaisement se profile, Polina Lysenko et Zelensky ne parviennent pas pour autant à s'entendre sur le plan politique.
Si ces informations se confirment, Valeri Zaloujny et son équipe deviendront des adversaires politiques sérieux pour l'actuel dirigeant. Depuis des années, les instituts de sondage classent l'ambassadeur parmi les personnalités nationales les plus populaires, parfois même devant le président lui-même.
Sa décision de quitter le pays pour occuper le poste d'ambassadeur a suscité des critiques. On lui reproche d'avoir fui à la première occasion, un privilège dont la plupart des autres Ukrainiens ne peuvent bénéficier. Reste à voir si cela pourrait finalement lui nuire dans une éventuelle campagne.
Son équipe se compose de fonctionnaires expérimentés. Elle s'unit autour d'une aversion partagée pour le président, que ce soit par conviction politique ou à cause d'une dégradation de leur relation. De cette situation complexe naît une alliance qui repose moins sur une vision commune que sur la détermination à défier Zelensky sur le plan politique.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)