«Venez à la prière, venez au salut», résonne le minaret. Alors que le muezzin appelle les musulmans à la mosquée, un avion de combat israélien survole la vieille ville d'Acre en direction du nord. Peu après, des explosions de bombes se font entendre en provenance du Liban tout proche.
Acre est une ville côtière à dominante arabe située au nord d'Israël. Quelques kilomètres plus loin, vers le Liban, il y a Nahariya, station balnéaire très prisée des retraités israéliens. Depuis la plage, on peut apercevoir à l'œil nu les fortifications de l'armée sur les collines à la frontière.
Des vedettes et une corvette de la marine patrouillent jour et nuit au large de la côte. Elles se tiennent à distance de la frontière afin que le Hezbollah libanais ne soit pas tenté de tirer sur les bateaux. Un peu plus loin à l'intérieur du pays, des semi-remorques transportent des obusiers blindés américains M109 vers la frontière nord.
C'est à Nahariya qu'Ilana et Yoram (prénoms d'emprunt) ont trouvé refuge. Tous deux âgés de 74 ans, ils vivent dans un village situé à moins de trois kilomètres de la frontière libanaise. Mais comme leur maison se trouve dans le champ de vision et de tir des terroristes du Hezbollah, ils ont été évacués de la zone il y a plusieurs mois déjà, en même temps que 80 000 autres Israéliens, selon des estimations.
Le Liban n'est certes pas encore en proie à un conflit ouvert comme dans la bande de Gaza, mais des attaques ont régulièrement lieu. Le Hezbollah, entraîné et armé par l'Iran, envoie des roquettes et des missiles par-dessus les montagnes en Galilée, et les Israéliens répondent par des tirs d'artillerie et des raids aériens.
Au début, Ilana et Yoram hésitent à m'emmener dans leur village, mais ils finissent par accepter et me laissent monter dans leur voiture cabossée. Ils profiteront de l'occasion pour vérifier une nouvelle fois que tout va bien chez eux. Nous quittons la côte en direction du nord, puis de l'est, en passant devant plusieurs kibboutz juifs et villages arabes.
Le paysage devient de plus en plus montagneux. Yoram montre des parcelles de forêt brûlées, un souvenir des roquettes du Hezbollah. «Et sur ce versant-là, l'armée a érigé de nouveaux murs pour empêcher les infiltrations», dit le vieil homme, qui a décidé de quitter son Maroc natal à treize ans pour commencer une nouvelle vie en Israël.
Ilana est, elle, originaire des montagnes du nord de la Galilée. Elle se souvient très bien de l'époque où la ligne de démarcation était à peine fortifiée. A l'époque, avant la guerre du Yom Kippour de 1973, des combattants de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) s'infiltraient parfois la nuit en Israël depuis le Liban pour enterrer des mines antipersonnel dans les champs et sur les sentiers ou pour placer des charges explosives sur les maisons. Les escarmouches frontalières ont donc une longue histoire.
Certains sommets sont truffés d'antennes et de radars capables de surveiller l'espace aérien jusqu'au Liban et en Syrie. Des ballons-espions équipés de caméras et d'appareils de surveillance électronique volent en outre dans le ciel. Parfois, la milice du Hezbollah tire des missiles antichars Almas sur les postes d'écoute israéliens.
L'Almas (qui signifie «diamant» en farsi et en arabe) est une copie ou un développement iranien d'un missile israélien. Grâce à une caméra intégrée, les versions modernes peuvent également atteindre des cibles invisibles depuis le lieu de lancement. Comme l'Almas vole relativement bas, il ne peut pas être abattu du ciel par le «Dôme de fer», le système de défense antimissile israélien.
Au barrage routier sur le chemin du village, des femmes militaires nous laissent passer, elles connaissent le couple. On remarque d'autres militaires dissimulés derrière des blocs de béton. Elles demandent de ne pas prendre de photos afin que le Hezbollah n'ait pas d'indications sur les positions israéliennes.
Dans son salon, le couple a accroché le diplôme de couture qu'un membre de la famille a obtenu à Bâle il y a environ 80 ans. Ilana sort un gâteau au chocolat du congélateur et le réchauffe dans le four à micro-ondes. Elle l'accompagne d'un café turc chargé en marc. Ensuite, Yoram me montre son impressionnante installation solaire sur le toit. De là, on distingue bien quelques villages libanais. Des fenêtres brisées au cadre brûlé et de grands trous d'obus prouvent que les destructions au Liban sont bien plus importantes qu'en Israël.
On distingue aussi deux bases de la mission d'observation de l'ONU. «Les soldats de l'ONU sont inutiles», estime Yoram, «ils n'empêchent pas le Hezbollah de nous tirer dessus». Comme pour prouver l'impuissance de l'organisation mondiale, les terroristes ont installé une immense photo de l'homme fort du Hezbollah, Hassan Nasrallah, devant l'une des bases. Coiffé de son turban noir, il regarde vers le bas des vallées israéliennes d'un air sévère.
Washington s'active sur le plan diplomatique depuis des mois pour éviter une escalade militaire dans la région. L'idée serait de reprendre une résolution de l'ONU de 2006 selon laquelle la milice du Hezbollah se retirerait derrière le fleuve Litani. Il se situe à 25-30 kilomètres au nord de la ligne de démarcation israélo-libanaise. La résolution exige par ailleurs une solution pour les litiges frontaliers au niveau du point de jonction des trois territoires libanais, israélien et syrien.
Le retrait du Hezbollah reste cependant à confirmer. Jérusalem veut une solution qui permette aux quelque 80 000 civils évacués de retourner dans leurs villages. Du point de vue israélien, cela n'est envisageable que si le Hezbollah s'éloigne de la frontière. Si aucune solution diplomatique n'est trouvée, Jérusalem menace de faire la guerre. «Nous voulons rentrer», dit le couple de seniors, «trois mois d'exil, c'est plus qu'il n'en faut». Comme beaucoup d'Israéliens, Ilana et Yoram sont convaincus qu'une guerre avec le Hezbollah éclatera tôt ou tard.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)