Bientôt, le centre historique de Venise comptera davantage de lits touristiques que de résidents. 49 422 personnes y vivent actuellement – soit à peine 150 de plus que le nombre de lits touristiques enregistrés. Mais, comme l'explique un pharmacien inquiet, «chaque année, le nombre d'habitants diminue de 700 personnes».
Le moral des habitants atteint toujours son point le plus bas en août. A cette période, plus de 100 000 visiteurs se pressent chaque jour dans les ruelles étroites et admirent, bouche bée, les façades des perles architecturales.
Les autochtones sont particulièrement faciles à reconnaître: ils dirigent ostensiblement leur regard vers le sol et bousculent parfois volontairement les hôtes indésirables, comme l'admet Marino, un Vénitien de longue date. C'est l'un des nombreux petits gestes de résistance.
Un autre exemple? Il raconte en riant l'histoire d'une dame âgée à qui des touristes ont demandé le chemin de la gare centrale, et qui les a délibérément envoyés dans la direction opposée.
Ce mécontentement croissant est l'expression d'une déception qui s'est répandue depuis la pandémie. Lorsque la ville a été libérée des foules du jour au lendemain, beaucoup ont espéré une renaissance de la «Sérénissime»: un retour à l'artisanat local et la fin de l'exode des autochtones.
C'est le contraire qui s'est produit: les touristes sont déjà plus nombreux qu'avant la pandémie. Et l'industrie locale est plus que jamais en difficulté. Même les fours des souffleurs de verre de l'île voisine de Murano restent de plus en plus froids. Les souffleurs de verre faisaient partie de la dernière branche d'artisans qui a résisté au déclin de la production locale, car elle est liée au tourisme. Mais la pandémie et les prix élevés du gaz suite à la guerre en Ukraine ont mis à genoux de nombreuses entreprises.
Les fiers ouvriers de Murano se retrouvent donc, eux aussi, impliqués dans le tourisme de masse. Maurizio Marzo Magno, par exemple, a perdu son emploi après 30 ans dans la production de verre.
Depuis, il tient un restaurant dans la ville. Il est l'un des rares à ne pas adhérer à la critique permanente:
En effet, Venise manque gravement de logements abordables – de nombreux habitants ne peuvent tout simplement plus se permettre de vivre sur l'île. Pour un appartement de vacances dans des murs historiques, les touristes paient des prix si élevés que les propriétaires ne louent plus aux familles et aux étudiants.
Depuis que les loueurs doivent signaler leurs logements touristiques par une plaque blanche devant la porte d'entrée, les dérives du boom Airbnb sont particulièrement visibles.
Pour changer cela, c'est surtout la volonté politique qui manque à Venise. Peu de gens le savent mieux que Marco Borghi, un barbu d'une cinquantaine d'années. Marco Borghi est le chef de la municipalité de Venezia-Murano-Burano, les trois îles qui souffrent le plus du tourisme et dont la population ne cesse de diminuer.
Les districts continentaux comptent trois fois plus d'habitants. Ceux-ci travaillent sur les îles, mais laissent derrière eux le chaos des touristes à la fin de la journée. Pour eux, le tourisme non réglementé est synonyme d'emplois et de recettes fiscales abondantes. Les insulaires ont échoué à cinq reprises dans leur tentative de retrouver leur indépendance face aux districts du continent.
Au manque de volonté politique s'ajoute le calcul monétaire. Venise compte plus de 2000 logements inutilisés et délabrés, dont la rénovation devient de plus en plus chère et donc de moins en moins probable, selon Marco Borghi. Celui-ci exprime un soupçon que beaucoup nourrissent:
Ces milieux ne se soucient pas non plus du fait que la ville risque, à nouveau, d'être inscrite sur la liste peu glorieuse du patrimoine mondial en péril de l'Unesco. En 2021, Venise y a échappé de peu. Un décret de Rome est venu interdire les grands bateaux de croisière dans le port. La politique nationale a dû intervenir, car les politiciens locaux n'entreprenaient rien.
Cet épisode montre à quel point la ville se soucie peu des préoccupations de ceux qui veulent orienter le tourisme de masse vers d'autres voies. Et de nouveaux exemples viennent sans cesse étayer cette réticence au changement. Une loi nationale qui donnerait aux autorités la compétence de réguler le marché du logement n'est pas appliquée à Venise, de quoi frustrer les militants réclamant une ville avec moins de tourisme de masse.
Et c'est ainsi que se répandent de nouvelles formes de résistance, de petits actes quotidiens que la chercheuse Clara Zanardi décrit comme des «refuges psychologiques» pour les habitants inquiets: des propriétaires qui refusent de louer leurs maisons aux touristes. Des kiosques à journaux qui renoncent par principe à la vente de souvenirs.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder