A Portofino, en Italie, il est désormais interdit de s'arrêter dans certaines zones lorsqu'on se promène à pied, en raison d'une trop forte densité humaine. A Marseille, en France, l'accès aux Calanques se fait uniquement sur réservation, et le nombre maximum de personnes par jour est limité à 400 (contre 2500 à l'été 2021). A Majorque, en Espagne, les habitants qui vivent au-dessus de la plage de Cala del Moro ont écrit une lettre de protestation à la commune pour s'insurger du nombre de visiteurs.
Cet été, les initiatives se multiplient pour lutter contre le surtourisme – un terme apparu en 2010 environ, qui désignait à l'époque la saturation dans les villes de Venise, Amsterdam ou Dubrovnik. 2023 est-elle différente des années précédentes? Un retour en arrière est-il encore possible? Anne-Sophie Fioretto, géographe, spécialiste en études du tourisme et professeure à la HES-SO du Valais, nous éclaire sur ces questions.
La situation est-elle vraiment pire cette année?
Anne Sophie Fioretto: Le surtourisme n'est pas nouveau. Ça fait longtemps que certaines villes ou lieux historiques sont asphyxiés. Deux problèmes majeurs sont, toutefois, récemment apparus. Premièrement, la pandémie: les gens veulent rattraper ce qu'ils ont manqué durant cette période. Ils ont une soif de découverte et d'échanges, et disposent d'un budget qui leur permet de voyager plus souvent et plus loin. Secondement, la population a grandi, mais les territoires ne sont pas extensibles – et les lieux touristiques encore moins.
La France ou l'Italie ont récemment pris des mesures pour limiter l'afflux de touristes. Y a-t-il une prise de conscience plus forte actuellement?
Cela fait plusieurs années déjà que divers sites ou destinations touristiques ont constaté ce problème. Les villes de Barcelone, de Dubrovnik ou encore le Machu Picchu, pour ne citer que quelques exemples, ont adopté des mesures de restrictions depuis longtemps. Mais le phénomène croît de manière perverse et il y a effectivement un ras-le-bol général et une prise de conscience, notamment par rapport aux effets néfastes de nos déplacements sur l'environnement.
Ces restrictions sont-elles efficaces?
Lorsque de telles mesures sont prises, cela signifie que nous sommes déjà dans des situations extrêmes, qu'on a dépassé le seuil de tolérance du lieu et qu'il faut revenir en arrière. A Rome par exemple, la capacité de charge de la ville a été dépassée. Les élus ont donc agi. Face à de tels scénarios, les municipalités ont une responsabilité.
Réd: A Rome, il est désormais interdit de s'asseoir sur les marches de la place d'Espagne en été, par exemple.
Les réseaux sociaux ont-ils amplifié le surtourisme?
Oui, mais ce n'est pas le fond du problème. Certains pays, comme la Norvège ou la Finlande, ont mis en place des campagnes marketing pour caricaturer les influenceurs qui se prennent en photo devant des endroits «instagrammables». Aujourd'hui, nous sommes obligés de faire passer ce genre de message et de réfléchir au rôle des influenceurs sur l'affluence dans certaines destinations.
Un retour en arrière est-il possible?
Oui. En informant les gens, en mettant en place des actions concrètes qui favorisent une meilleure gestion des flux touristiques, en expliquant aux visiteurs pourquoi on limite l'accès à certains endroits, on arrivera peut-être à une prise de conscience plus large et à des changements de comportement. Par exemple, des employeurs proposent désormais aux employés qui souhaitent voyager en train des jours de congé supplémentaires. A force d'initiatives de ce type et de responsabilité individuelle, un rééquilibrage est éventuellement possible.
Limiter le nombre de visiteurs aurait cependant des conséquences négatives sur l'économie locale?
Evidemment. Si une régulation s'opère, des emplois vont disparaître, et d'autres vont se créer. Le tourisme est un système complexe, avec une multitude d'acteurs qui interagissent. Si le business modèle évolue de manière positive – en s'adaptant aux changements nécessaires –, le cercle sera vertueux. Par exemple, à Venise, pourquoi concentrer autant de bateaux sur une courte période? En fixant des quotas, le nombre de visiteurs pourrait rester le même, mais réparti tout au long de l'année. L'économie locale ne souffrirait pas et la ville serait désengorgée.
Partir hors saison, opter pour le slow tourisme. Ces idées sont bonnes... sur le papier! Mais nombreux sont ceux qui préfèrent partir durant l'été au bord de la mer, et qui aiment visiter de grandes villes. Peut-on réellement modifier notre manière de voyager?
Si certains endroits vous font rêver, allez-y! Selon moi, les discours moralisateurs sont contre-productifs sur le moyen terme.
En revanche, si vous souhaitez vous responsabiliser, pensez par exemple à la manière de vous rendre sur place. Je ne dis pas qu'il ne faut pas prendre l'avion; ce discours est hypocrite, car avons besoin de ce moyen de transport et nous savons qu'il n'est pas durable. D'ailleurs, ce n'est pas ce qu'on lui demande.
Ces solutions paraissent parfois compliquées à mettre en place, notamment par manque de temps. Ce n'est qu'une impression?
Non, c'est la réalité. Certaines destinations sont sélectionnées parce qu'elles se réservent en quelques clics – grâce à Easyjet ou à Airbnb, notamment – et qu'il y a tout sur place: la culture, les paysages, les visites. Nous sommes aussi inondés de guides de voyages ou de publications qui conseillent «les dix meilleures villes d'Europe» ou «Lisbonne en un week-end».
Dernière question: est-ce que vous partez en vacances cet été?
J'ai deux semaines de vacances entre juillet et août. J'hésite entre faire la traversée du Portugal – tout en sachant qu'il y aura du monde – ou à rester ici. Je prends le temps de comparer les destinations, de réfléchir à comment me déplacer. J'essaie de dormir chez des amis. J'aimerais me rendre dans mon lieu de dépaysement en ayant bonne conscience.