Le président de la Cour d'appel de Venise, Carlo Citterio, tire la sonnette d'alarme:
Les demandes représentent désormais 68% de tous les cas sur lesquels son tribunal doit statuer, ce qui impacte la durée de toutes les autres procédures. Pour le président, la raison de cet afflux est une décision de la Cour constitutionnelle de Rome qui, il y a deux ans, a nettement facilité la naturalisation des étrangers d'origine italienne.
«D'origine italienne», cela sonne comme la promesse d'obtenir un passeport tricolore. En Italie, comme dans la plupart des pays européens, c'est le «ius sanguinis», le droit du sang, qui s'applique. Cela signifie que toute personne ayant du sang italien dans les veines est italienne. Mais à jusqu'à quel point le sang italien peut-il être «dilué»?
La Cour constitutionnelle s'est montrée généreuse – sans doute aussi au vu du faible taux de natalité en Italie. Selon sa décision, un faible degré de parenté suffit aux descendants d'émigrés italiens pour pouvoir obtenir un passeport transalpin. Les deux partis populistes de droite au gouvernement, Fratelli d'Italia et la Lega, qui évoquent régulièrement le danger d'un «remplacement ethnique» par des migrants africains, préféreraient eux aussi que les étrangers d'origine italienne reviennent dans leur pays.
Ce que les juges constitutionnels romains et les populistes de droite n'ont probablement pas pris en compte, c'est que le nombre de descendants d'émigrés italiens répartis dans le monde entier est énorme. Depuis l'unification italienne en 1861, 32 millions d'Italiens ont émigré et seuls 19 millions sont revenus.
Si l'on ajoute les descendants des émigrés qui n'ont plus de passeport italien – le pape François, dont le père avait quitté le Piémont pour l'Argentine, en est sans doute l'exemple le plus marquant –, on obtient un total de 60 à 80 millions de personnes d'origine italienne dans le monde. Une deuxième Italie en dehors de l'Italie.
Si ce sont surtout des Brésiliens d'origine italienne qui sont candidats à la naturalisation italienne au tribunal de Venise, ce n'est pas parce que Venise est si belle, mais parce que la région de Vénétie a vu autrefois un nombre particulièrement élevé d'Italiens émigrer au Brésil.
La très grande majorité d'entre eux n'a pas du tout l'intention de retourner sur la terre de ses ancêtres. Selon le Corriere della Sera, la principale raison de la demande de naturalisation est que les néo-Italiens brésiliens, comme tous les autres détenteurs d'un passeport européen, peuvent se déplacer et s'établir librement dans toute l'Union européenne.
Le tribunal de Venise n'est pas le seul à avoir été mis en difficulté par les demandes de naturalisation, une grande partie des communes de la région l'est également. Car elles doivent enregistrer les «nouveaux» Italiens auprès de leurs offices d'Etat civil – et pas seulement eux, mais aussi, la plupart du temps, toute leur «tribu»: entre 10 et 15 membres de la famille sont liés à chaque demande de naturalisation. En d'autres termes, il ne s'agit pas de 12 000 personnes, mais de 150 000 ou plus.
Les petites communes sont complètement dépassées par cet afflux. Prenons l'exemple de la commune de Val di Zoldo, près de Belluno. Elle compte 2745 habitants et croule sous les demandes: ce sont 551 Brésiliens qui doivent désormais être inscrits dans le registre communal des habitants.
En signe de protestation, le maire de cette commune de Vénétie a accroché le drapeau brésilien sur la façade de son «municipio», en plus des drapeaux communal, italien et européen. Le président de la Cour d'appel de Venise, Carlo Citterio, estime lui aussi «qu'une réévaluation opportune et sage de la matière est de mise.»