C'était une affaire rondement menée. Rapide, nette, efficace, impitoyable. En l'espace de quelques semaines, le rouleau compresseur Donald Trump a écrabouillé tous les obstacles censés l'incommoder sur sa route vers l'investiture du parti républicain. Les uns après les autres, ses rivaux se sont laissés happer, écraser, recracher, aussi solides qu'une poignée de cure-dents face à un bulldozer.
Maintenant qu'il ne reste plus que la résistante Nikki Haley, la nomination du milliardaire n’est plus qu’une question de temps. Avec une avance sans précédent sur le calendrier électoral. Jamais deux candidats présumés n'auront été désignés aussi tôt. Ce qui nous laisse aux portes de la campagne générale la plus longue de l’histoire politique américaine moderne. Et certainement la plus éreintante.
A l'aube de ce marathon, mardi, alors qu'un Donald Trump à moitié ronchon célébrait une victoire dans le New Hampshire qu'il jugeait «trop peu» éclatante (55% contre 45% pour Nikki Haley) et franchissait une nouvelle (peut-être ultime) étape vers l’investiture, un homme trinquait discrètement, face aux écrans de télévision de la Maison-Blanche. Son vieil adversaire Joe Biden.
Paradoxal, cynique, voire moralement discutable, mais cette course est celle dont rêvait l'équipe du président. Qu'importe si une candidate plus modérée et infiniment moins dangereuse pour le pays, Nikki Haley, volait au même moment vers la scène de Concord pour remercier ses partisans et leur jurer de continuer la lutte. Pour Joe Biden et son équipe, la primaire est déjà pliée. Place au match suivant: l'élection générale.
Joe Biden voulait Donald Trump. Il lui fallait un monstre, un vrai. Un combat entre le sauveur de la nation autoproclamé et le vilain dragon à terrasser. Plus lourde est la menace sur la démocratie américaine, plus grandes sont les chances de victoire de ce héros moderne.
Tout héros a son talon d'Achille. Chez Joe Biden, c'est son âge. Pour ce vaillant soldat de 81 ans, tout valait mieux qu'une rivale de presque 30 ans sa cadette, à la cinquantaine et aux facultés éclatantes. Même s'il n'est pas certain que la campagne Biden se risque à manipuler cette boîte de Pandore, un adversaire âgé d'à peine quatre ans de moins, également sujet aux trous de mémoire, aux maladresses et aux approximations verbales, était plus sûr.
Sans compter que le parcours de l’abominable Donald Trump sera jonché d'obstacles juridiques. Comme à une bouée de sauvetage, les démocrates s'accrochent au sondage selon lequel une majorité d'électeurs ne voteraient pas pour le républicain s'il venait à être condamné. Un pari risqué. D'autant que chacune des inculpations du milliardaire a eu jusqu'ici pour seul effet de renforcer sa base.
Malgré une myriade de vulnérabilités et des taux d'approbation en berne, l'équipe de Joe Biden affiche assurance et optimisme face à un match qui s'annonce déjà extrêmement serré. «Avec une économie qui s'améliore rapidement et Trump comme candidat du Parti républicain, je suis très satisfait des chances de Biden», aime à prédire le représentant démocrate Brendan Boyle. Un optimisme qui confine à l'arrogance.
Les «tout-sauf-Trump» devraient faire la différence. Les derniers républicains modérés comme ceux qui, dans le New Hampshire, ont glissé leur bulletin pour Nikki Haley. Des électeurs dont Donald Trump n'aura pas besoin pour revendiquer la nomination, mais qui s’avéreront indispensables en novembre.
Miser sur la seule aversion ou la peur que génère Donald Trump pour déplacer des hordes d'électeurs terrifiés ne suffira pas. Ce serait oublier, sondage après sondage, la déception et la fatigue face au triste duel de vieillards qui se profile. Comme le regrette le journaliste politique Brian Stelter dans Vanity Fair, une grande partie des Américains pourrait être tentée, tout simplement, de détourner le regard.
Maintenant qu'il a obtenu l'adversaire de son choix, le président doit absolument éviter de se vautrer patiemment dans l'assurance que les Américains se battront pour leur démocratie. La bataille est lancée et ne laisse pas de place à la passivité.
Le transfert de deux de ses collaborateurs clés de la Maison-Blanche, pour son fief de campagne dans le Delaware, est un début. Mais le candidat démocrate doit s'activer. Faire davantage. Plus agressif, plus direct, plus saillant. «Chaque déclaration de n'importe quel démocrate au cours des neuf prochains mois mentionnant Donald Trump devrait inclure le mot extrémiste», suggère David Faris dans Slate.
Aussi combattif qu'il soit, le héros Joe Biden ne pourra toutefois rien faire contre une fatalité: l'emprise de leader sectaire et l'attraction irrésistible exercée par son ennemi juré sur une partie de l'électorat. Il faudra attendre les neuf prochains mois de campagne pour en mesurer toute l'ampleur.