A moins de trois mois de l'élection présidentielle américaine, les plus proches alliés des candidats se montrent généralement discrets. Ce n'est pas le cas Mark Buell, qui a côtoyé Kamala Harris contre vents et marées au cours des dernières décennies, et qui est d'humeur à discuter, ce soir-là, à San Francisco.
Mark Buell, 81 ans, fait partie de ces hommes riches et influents dont vous avez besoin à vos côtés si vous voulez remporter un succès politique aux Etats-Unis. C'est autour d'un cheeseburger que Kamala Harris lui a annoncé qu'elle voulait devenir procureure de San Francisco. Sa réaction? Il sera là pour elle et fera tout pour l'aider. C'est ainsi que débute, au début des années 2000, la fulgurante carrière de Kamala Harris.
Près d'un quart de siècle plus tard, nous sommes un mercredi soir. Mark Buell est assis au Manny's Café de San Francisco, aux côtés de trois des compagnons de la candidate démocrate à la Maison-Blanche. Le propriétaire charismatique et homonyme de l'établissement a créé ici une sorte de refuge pour les démocrates. Les plus grandes figures du parti viennent régulièrement. Kamala Harris s'y est elle-même rendue à plusieurs reprises.
Une bonne centaine de personnes a fait le déplacement. Presque tout le monde est jeune. Et euphorique. C'est tout particulièrement le cas depuis que Joe Biden a jeté l’éponge et laissé sa vice-présidente prendre les devants. Kamala Harris, qui est née à Oakland à quelques pas de là avant de déménager à San Francisco, a insufflé une nouvelle impulsion au Parti démocrate, en particulier au niveau local. Cet élan est particulièrement visible ici, dans son Etat d'origine.
Mark Buell, un homme sympathique aux cheveux et à la barbe blancs, s'enfonce confortablement dans son fauteuil, lorsqu'on lui demande ce qui préoccupait particulièrement sa protégée il y a une quinzaine d'années.
Pour ce qui est du reste, à l'époque, cette fille d'une biologiste indienne et d'un économiste jamaïcain est déjà sur la bonne voie. Arrivée à San Francisco au tournant du millénaire, elle mène campagne pour décrocher le poste de procureure. Kamala Harris, âgée d'une trentaine d'années, se bat avec acharnement, pour devenir la première femme de couleur à briguer le rôle dans la ville californienne. En 2010, rebelotte: elle remporte les élections au poste de procureur général de Californie.
La seule question encore en suspens est celle de son éternel célibat, se souvient son ami Mark Buell avec humour. Il la laisse alors avec un conseil: «Tu le rencontreras en jouant au golf».
Kamala s'exécute, mais ses tentatives s'arrêtent là. «Le golf n'était pas vraiment son truc», s'amuse Mark Buell.
Ce qui n'empêche pas Kamala Harris de garder ce conseil à l'esprit, lorsqu'elle fait connaissance avec son futur mari, Doug Emhoff. Elle revient alors chercher conseil auprès de son vieil ami, Mark Buell. «Tu ne l'emmènerais pas jouer au golf?» lui demande-t-elle. Le conseiller s'exécute et évalue les capacités du prétendant sur le green. Sa conclusion?
Kamala Harris est mariée à Doug Emhoff, 59 ans, depuis dix ans. Si l'avocat originaire de New York a deux enfants, nés d'un précédent mariage, la procureure californienne n'en a jamais eu de son côté. Ce qui lui a valu des attaques à plusieurs reprises du côté républicain, notamment de la part du candidat à la vice-présidence JD Vance. Dans une référence directe à sa rivale, le sénateur de l'Ohio s'est plaint que le pays était dirigé par des «femmes à chats sans enfants».
«Kamala adore les enfants», objecte Debbie Mesloh, une conseillère politique de longue date, qui a suivi de très près sa campagne électorale pour le poste de procureure générale, puis de sénatrice. Chez Manny's, à San Francisco, cette amie témoigne:
Ce n'est pas la seule histoire très personnelle qui sera racontée ce soir-là au sujet de la politicienne. Une autre anecdote, sans doute la plus émouvante, est relayée par Lateefah Simon, 47 ans, originaire de San Francisco et actuellement candidate à la Chambre des représentants.
Il y a vingt ans, Lateefah Simon consacre son temps à aider des femmes et des filles issues de milieux difficiles. C'est à cette époque qu'elle rencontre Kamala Harris, qui ambitionne de créer un groupe de travail pour les aider.
A l'époque, se souvient Lateefah Simon, elle se rend à une réunion accompagnée d'une jeune fille de 14 ans, enceinte du petit ami de sa mère toxicomane. Les deux femmes se montrent encore relativement méfiantes vis-à-vis de la procureure californienne - après tout, c'est une femme de pouvoir.
Kamala s'empare du visage de l'adolescente et l'embrasse sur le front. A ce souvenir, Lateefah Simon essuie une larme sur la joue - elle n'est pas la seule dans la pièce.
Kamala Harris est ce genre de personne qui suscite des émotions. Debbie Mesloh et les partisans de la vice-présidente en sont persuadés. Elle a l'assurance nécessaire pour battre Donald Trump à l'élection présidentielle.
Elle l’a non seulement prouvé lors de campagnes électorales précédentes, mais surtout au cours des 48 heures cruciales qui ont suivi l’annonce du retrait de Joe Biden.
«Ce sont des qualités que j'ai constatées à maintes reprises au cours des quinze années où j'ai travaillé avec elle», explique Debbie Mesloh. Joe Biden a également directement soutenu Kamala Harris. «Il l’a vue sur la scène mondiale avec des chefs d’Etat et il sait qu’elle est prête à entrer en fonction», poursuit la conseillère politique.
L'attitude de l'ancienne procureure n'a pas été de dire «Je suis vice-présidente». Mais toujours: «Je dois le mériter». Une attitude caractéristique de la personnalité de celle qui pourrait être élue à la plus haute fonction de l'Etat, d'ici à quelques semaines.