Si Kamala Harris a pigé un truc, c'est qu'il existe encore une grande différence entre les hommes et les femmes politiques en ce bas monde: l'attention que le public porte à leurs fringues respectives.
Alors que, depuis la nuit des temps, les hommes ont la chance (ou le désespoir, c'est selon) de devoir se limiter à un éternel costume deux-pièces sombre, leurs homologues féminines ont l'embarras du choix. Condamnées à affronter leur dressing, la tête pleine de doutes et la conscience aiguë que, quel que soit le vêtement choisi, elles ne pourront esquiver analyses et interprétations.
La vice-présidente américaine, par accident ou par génie stratégique, a réussi à ne pas tomber dans le piège. C'est bien simple: une fois que vous avez mentionné son emblématique collier de perles (une habitude qui remonte à ses années d'université) et ses douze paires de Converse (un héritage de sa première campagne électorale passée à «courir dans les aéroports»), il n'y a plus grand-chose à dire.
Son uniforme de travail se résume à un tailleur bien coupé, un pantalon skinny et une paire d'escarpins. Les couleurs? Toujours les mêmes. Bleu marine, noir, gris, beige. Voire, dans les grandes occasions, bleu ciel (!) rose pâle (!!) ou indigo (!!!).
En fait, le style de Kamala Harris n'est ni cool, ni démodé, ni présomptueux, ni grandiloquent. Simplement fonctionnel et d'une sobriété constante. Si bien qu'en 2020 déjà, on pouvait lire une pointe de déception dans les médias:
Une stratégie très maligne de la part de l'ex-procureure de Californie. Kamala l'a bien compris: il est fastidieux de tirer des informations de vêtements qui n'ont rien à dire. Rien, sauf un professionnalisme froid et terre-à-terre.
Face à cet océan indifférencié de noir, bleu pâle et gris, les électeurs, les internautes et les médias sont bien en peine de formuler des commentaires ou de tirer des analyses. Ses tenues sont conçues pour résister à toute interprétation.
En fait, la dégaine de la vice-présidente joue exactement le même rôle qu'un costume d'homme: un soutien discret et passif, destiné à se fondre dans le décor.
Cela dit, on ne se refait pas. Faute de grand moment de mode récurrent, les magazines ne se lassent pas de nous rabâcher sans arrêt sa fameuse veste en jean Levi's arc-en-ciel scintillante, portée lors d'une marche de la fierté à San Francisco en 2019, ou le manteau indigo arboré le jour de l'investiture de Joe Biden, en 2021.
Notre incapacité à ne pas parler de ses vêtements s'explique. C'est «un mélange de sentiments contradictoires», note Robin Givhan, rédactrice de mode très respectée du Washington Post. Malgré le désir presque viscéral de l'ancienne sénatrice de ne pas faire de ses fringues le personnage principal, notre intérêt est dû à «la nature historique de sa position».
Le même Washington Post a souligné quelques menus changements dans sa garde-robe, dont une somptueuse robe Céline à sequins qu'elle portait lors d'un dîner d'Etat à la Maison-Blanche, suivie quelques semaines plus tard d'une robe-cape vert forêt Chloé. «En aucun cas une transformation complète. Il s’agit plutôt d’un autre signe que Harris a durci son personnage pour en faire quelque chose de moins ambivalent», écrit le Post.
D'ailleurs, même si les outfits de Kamala Harris sont comparables à ceux de n'importe quelle collaboratrice de grand cabinet d'avocat, ils ont tout de même fait l'objet d'au moins deux blogs très complets, Kamala’s Closet et What Kamala Wore, lancés après sa première campagne - et désormais largement inactifs, depuis au moins deux ans. La preuve, sans doute, que Kamala Harris a réussi son coup. Avec un dressing politiquement solide... et digne d'une future présidente en puissance.