Chers amis sportifs, si vous espériez une analyse sur les ultimes rebondissements des Masters de Monte-Carlo ce week-end, passez votre chemin. Vous êtes tombés sur la mauvaise chronique. Nous allons bien parler de tennis. Mais plus exactement de jupes à volants, visières à logo et polos à col V en coton. Car après le très rose «Barbiecore», le cul-cul «coquettecore», l'écoeurant «cottagecore» ou le bling-bling «golfcore», voici venu l'avènement de l'ère «tenniscore».
Fermez les yeux, imaginez. Des pelouses fraîchement coupées d'un vert fondant. Des vêtements perpétuellement blancs qui tranchent sur la terre battue. Des country-club couleur crème caillée. Des ladies en plein lunch. Des sandwichs triangles au concombre sans croûte. Des bouteilles d'eau absurdement chères servies avec des morceaux de fruits. Le bruit net et rassurant des balles jaunes contre la raquette. Des piscines turquoises, dont le scintillement n'a à envier que celui d'un voile de transpiration, sur un bracelet en diamants. Une sorte de grandeur décontractée, silencieuse et assumée.
Bref, bienvenue dans l'imaginaire luxueux du tenniscore, cette tendance qui embrasse votre capitaliste intérieur. Un art de vivre que seuls les élites, le vieil argent, les propriétaires d'un chalet de ski et les diplômés des meilleurs internats privés de Suisse peuvent pleinement appréhender.
Et si ce descriptif pompeux vous semble un peu abstrait, voici pour les détails techniques: le tenniscore est un dérivé de l'athleisure, l'art de porter des vêtements de sport dans la vie quotidienne. A ne pas confondre avec le streetswear, plus cool, décontracté et moins précieux. (Désolée pour les anglicismes, faites comme si vous étiez à Wimbledon.) En bref, le tenniscore consiste à emprunter tous les codes vestimentaires et l'esthétique du tennis. Sans pour autant faire de tennis. Pratique.
Si TikTok dégouline depuis des jours de jupettes, bandeaux et sweashirts immaculés, les créateurs et les beautiful people qui font la mode n'ont pas attendu l'algorithme pour proposer leurs déclinaisons. Pas plus tard que ce dimanche, c'est l'actrice Zendaya, à l'affiche du film Challengers, qui en faisait la démonstration. Toujours là quand il s'agit d'associer ses tenues à sa promo en cours, elle a exploité la tendance tenniscore jusqu'à la corde.
Avant ça, Miu Miu et Dior s'étaient récemment emparés de la tendance, mais ces marques n'ont rien inventé. En 2014 déjà, les créateurs se délectaient de cet imaginaire aussi musclé que délicat.
Le tennis cultive ce style depuis sa création, à l'ère victorienne. Celle d'un sport d'élite réservé aux riches, où domestiques, blanchisserie et grands moyens sont indispensables pour bichonner le blanc immaculé de ses uniformes. Pour l'anecdote, les premiers pratiquants tenaient absolument à ce que le tennis reste l'apanage de l'aristocratie. Un sport de loisir qui ne puisse faire l'objet d'une rémunération. Ce qui explique pourquoi les professionnels ont été longtemps bannis du circuit traditionnel, considérés comme des pestiférés.
Une fois démocratisé, c'est toutefois au tennis qu'on doit l'invention de certaines inventions les plus populaires du monde, des indétrônables Stan Smith Adidas, au moins consensuel polo, invention de René Lacoste. La tendance tennis a connu son apogée à la fin des années 80 et dans les années 90, grâce à Lady Diana ou Ashley Banks du Prince de Bel-Air.
Aujourd'hui, plus besoin d'avoir du sang bleu pour s'approprier les codes du tenniscore. Si la tendance exploite tous les clichés du country-club à l'ancienne, pas besoin de débourser des millions en frais de club. Il suffit de relever le col d'un polo, repasser les plis d'une jupe et enfiler une paire de chaussettes de sport. Sans oublier de glisser un pull sur les épaules. Optez des couleurs discrètes: blanc, crème, beige et marine, avec des touches de vert ou de jaune. Aucun accessoire n'est trop premier degré.
Et si vous avez de la chance d'avoir hérité de la Rolex en or et rubis de papa ou du collier de perles vintage de grand-maman, vous avez tout gagné. Derrière son culte de la discrétion, le tenniscore raffole des bijoux luxueux un poil bling. Ce n'est pas la joueuse Chris Evert, qui a donné naissance au terme bracelet de tennis après avoir cassé le sien en plein match de l'US Open en 1978, qui dira le contraire. La malheureuse avait dû interrompre la partie pour ramasser les pierres. Si c'est pas chic, ça.