«MADAME, MADAME, MADAAAAAAME! ON VOIT VOTRE CULOTTE!!!!!!!» Voilà une phrase qu’on a assez peu l’habitude de s’entendre hurler dans la rue.
Ce sont pourtant les mots d'une conductrice, un mardi soir, jetés dans ma direction, par la fenêtre de sa Toyota, le long d’une avenue lausannoise. Sourcils froncés, air concentré, vaguement bougonne genre «le trottoir est mon podium», je fais mine de ne pas l'entendre. Cette dame ne pensait pas à mal. Elle n’a juste pas compris que me balader en collants-culotte au milieu du mois de novembre ne relève pas d'un oubli monumental. Je ne souffre ni d’Alzheimer ni d’une autre et quelconque pathologie mentale.
Pour comprendre comment j’en suis arrivée à gambader gaiement dans l’espace public sans pantalon, remontons de quelques semaines. Tout est de la faute de Kendall Jenner. Une photo datant de novembre 2022, dans les rues de Los Angeles, tombe impunément dans mon feed Instagram. Un bouquet de tournesols jaune vif, un pull bleu marine à col rond, une paire de jambes et de collants, une petite culotte, et puis… Et puis c’est tout.
D’abord désarçonnée, il me faut deux secondes à peine avant d'être excitée par l'effet de ces gambettes interminables, flattées par ces bas de grand-maman.
Pour la petite histoire, Kendall n'a rien inventé. Le top model est simplement allé repêcher le total look d'un défilé SS23 de Bottega Veneta, qu'elle a aperçu quelques semaines plus tôt pendant la Fashion Week de Milan. Tout y est, jusqu'au sac à main baptisé «Sardine». La maligne.
Après Kendall, c'est l’algorithme qui achève de planter l'idée saugrenue du no pants dans mon esprit si perméable aux dernières tendances. Des milliers d’autres jambes dépantalonnées défilent sur mes réseaux sociaux. Ça tombe bien, la no pants mania vient d'envahir les podiums. De Miu Miu à Chanel en passant par Gucci, cette saison, telles les moues blasées des mannequins, les culottes sont de tous les défilés.
Après des décennies à croupir au fond d'un placard comme les collants couleur chair de ma grand-mère, le no pants est officiellement dépoussiéré. Un véritable retour en grâce pour cette vague héritée des années 1960 et d'une certaine Edie Sedgwick, à l'époque où elle était la muse d'Andy Warhol.
De nos jours, qui dit «défilés» dit «célébrités». Après Kendall Jenner, la culotte rallie Rihanna, Hailey Bieber ou encore Emma Corrin parmi ses fidèles adeptes. Vous vous souvenez peut-être, lorsque l'actrice britannique a fait sensation (nous n'allons pas dire «scandale») à la Mostra de Venise, en septembre et en foulant le tapis rouge, crâne rasé et culotte courte.
Sauf que les stars sont des stars. Elles peuvent aller bosser les seins à l'air ou en string à paillettes, voire même s'afficher une dinde vivante sur la tête, si l'envie leur prend. Nous autres, petit peuple, gens normaux, sommes condamnés à traîner nos éternels looks de dépressifs, pour fouler la moquette grise de l'open space.
C'est mal me connaître.
Un matin pluvieux d'octobre, je m'éveille la tête pleine de pensées révolutionnaires. Comme d'autres ont imaginé la prise de la Bastille ou l'invention de l'iPhone, moi, aujourd'hui, j'irai bosser en culotte. J'opte pour un pull sombre et une paire de bas opaques, complétés par un shorty noir et une paire de boots, un peu sur le modèle de mon amie Kendall Jenner. Faute de vivre avec un autre être humain susceptible de m'empêcher d'aller au job accoutrée de la sorte, je fonce à la rédaction avec l'allégresse des débutants.
La délicatesse de mes collègues, qui ont la prévenance de ne pas émettre le moindre commentaire devant la machine à café, achève de me convaincre que cette tenue est parfaitement normale. Ce n'est qu'à la pause de midi, sur le chemin de la Migros, que ma belle assurance s'effondre. Lorsqu'une ado, 14 piges à peine, me tapote sur l'épaule avec un sourire mi-moqueur, mi-bienveillant.
Prise au dépourvu par tant d'insolence, je bégaie un vague: «Euh non, c'est normal», avec le reste d'assurance qu'il me reste. Les joues déjà cramoisies et l'envie de disparaître six pieds sous terre. Deux minutes plus tard, j'erre dans cette Migros, entre les stands de choux, me demandant combien-Diable-putain-de-bordel-de-merde-j'ai-osé-l'affront-de-me-balader-en-culotte-dans-un-lieu public. L'impression que tous les yeux sont rivés sur cet indécent pauvre shorty, plutôt que sur leur panier à commissions.
Une expérience marquante, certes, mais dont je décide de me dépatouiller avec philosophie. Des passants qui ricanent sur mon chemin ou qui se demandent si je me suis évadée de l'hôpital psychiatrique, j'en verrai d'autres. Tant que mes fringues bizarres et rigolotes m'empêchent de me goinfrer d'anti-dépresseurs, pas de raison de changer de régime.
Je réitère donc plusieurs fois mon nouveau look fétiche, strictement à base de collants et de culottes. Jusqu'à ce fameux mardi soir. Tandis que la Toyota poursuit sa route, après m'avoir gentiment rappelée à quel point j'ai l'air débraillée, je suis à nouveau habitée d'un doute.
Quelques instants plus tard, le nez plongé dans mon Instagram, un signe. Un encouragement divin sous la forme d’une publication Instagram de Sabina Socol, l'une de mes blogueuses préférées et principales sources d'inspiration vestimentaires. Il lui arrive d'être bien foutu, cet algorithme.
Le look no pants a beau ne pas avoir encore contaminé les rues de Lausanne, je continuerai à gambader joyeusement dans ma tenue légère. Essayez, c'est un super anti-dépresseur. Car, après tout, il faut du culot pour oser la culotte.