La situation au Proche-Orient semble plus dangereuse qu'elle ne l'a jamais été depuis cinquante ans. Quelles représailles iraniennes faut-il désormais prévoir?
Andreas Böhm: Le guide religieux iranien Ali Khamenei a parlé de représailles directes contre Israël, mais il n'a pas précisé si celles-ci auraient lieu directement sur le territoire israélien.
Faut-il prendre les propos de Khamenei au sérieux?
On peut le supposer. La question qui se pose aujourd'hui est de savoir s'il s'agira à nouveau d'une action chorégraphiée comme celle d'avril, lorsque les Iraniens voulaient marquer le coup, sans pour autant causer de dommages importants en Israël. Ou si cette fois-ci, les Iraniens veulent vraiment faire mal à Israël avec leurs missiles.
Quelle serait la principale raison d'une riposte iranienne? Khamenei ne va pas lancer une nouvelle guerre au Proche-Orient simplement à cause de la mort d'Ismaël Haniyeh, n'est-ce pas?
Les intérêts des Iraniens sont relativement clairs. S'il y a une chose qu'ils ne veulent pas, c'est une nouvelle guerre régionale. Et ils ne prendraient normalement aucun risque pour le Hamas. Mais le problème est différent: un invité de marque a été assassiné mercredi à Téhéran dans une résidence officielle.
Il s'agit donc de rétablir sa propre crédibilité vis-à-vis de ses alliés au Moyen-Orient?
Exactement. Et de rétablir une certaine dissuasion. C'est en fin de compte la fonction fondamentale d'un etat que d'assurer la sécurité à l'intérieur de ses frontières. Et si un Etat n'est pas en mesure de le faire, il a un énorme problème de légitimité. En ce sens, il faut un effet dissuasif performatif pour éviter de donner l'impression qu'Israël et le Mossad peuvent faire ce qu'ils veulent sur le territoire iranien. Même si, dans les faits, c'est probablement le cas.
Qu'espère atteindre le gouvernement Netanyahou en tuant délibérément ses ennemis jurés?
En principe, ces opérations israéliennes sont une tentative d'obtenir des succès tactiques, car on sait très bien que l'on se trouve dans un dilemme stratégique.
De quel dilemme stratégique parlez-vous?
Stratégiquement, Israël a énormément perdu depuis le 7 octobre, que ce soit dans sa perception dans la région et dans l'opinion publique mondiale ou dans ses relations avec les Etats-Unis. Israël ne peut plus s'attendre au soutien inconditionnel du pays.
Cela signifie que Netanyahou ne dispose plus que d'une courte fenêtre d'opportunité pour agir, qui se refermera en novembre.
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Quel sera l'impact de la mort de Haniyeh sur les négociations de cessez-le-feu à Gaza?
Ces discussions se trouvaient de toute façon dans une impasse. L'élément décisif, ce serait que les Américains doivent désormais faire pression sur Netanyahou pour parvenir réellement à un cessez-le-feu. La fonction de Haniyeh lors de ces discussions se résumait à être un correspondant. Les décisions les plus importantes ont été prises dans les tunnels de Gaza par Yahya Sinwar.
Le Hezbollah n'acceptera pas non plus facilement la mort de son numéro deux, Fouad Choukr. Vous vous êtes souvent rendu au Liban ces derniers temps. Que savez-vous de l'ambiance au sein du Hezbollah?
Le leader du Hezbollah Hassan Nasrallah est aussi confronté à un dilemme. La pression pour que les paroles soient suivies d'actes à leur hauteur est de plus en plus forte. En même temps, le Hezbollah se trouve dans une position de contrainte en ce qui concerne la situation au Liban.
Si une guerre majeure éclatait et qu'une grande partie de l'infrastructure libanaise était détruite, le Hezbollah serait tenu pour responsable d'avoir précipité le pays dans l'abîme.
En ce qui concerne l'armement du Hezbollah, le chiffre de 150 000 missiles et drones est toujours souligné. Ce serait un arsenal énorme. Existe-t-il des données fiables sur les capacités militaires du Hezbollah?
Certains scénarios de l'establishment sécuritaire israélien estiment que le Hezbollah serait en mesure de tirer un nombre à quatre chiffres de roquettes chaque jour pendant deux ou trois semaines, ce qui pousserait le système de défense aérienne israélien «Dôme de fer» au-delà de ses limites.
Et ensuite?
Même si les bombardements d'Israël ramenaient le Liban à l'âge de pierre, comme l'a menacé le ministre israélien de la Défense il y a quelques semaines, cela ne changerait pas grand-chose à la situation de départ: Israël ne serait toujours pas en mesure d'éliminer le Hezbollah à long terme.
Cela ne serait possible que si Israël arrivait jusqu'à Beyrouth comme en 1982. A l'époque, ils avaient réussi à obtenir le départ des francs-tireurs palestiniens.
L'armée israélienne n'est probablement pas en mesure de mener une telle offensive terrestre aujourd'hui. Après les opérations à Gaza, elle est épuisée. Elle manque de munitions et, selon les rumeurs, le moral n'est pas très bon non plus.
Quel est le risque qu'en cas d'escalade, les Etats-Unis soient eux aussi entraînés dans une nouvelle guerre au Proche-Orient?
L'administration Biden n'a pas encore fixé de lignes rouges à Netanyahou. Les Etats-Unis pourraient agir de manière beaucoup plus conséquente. En 1982, c'était la menace de cesser les livraisons d'armes qui avait entraîné la fin du siège de Beyrouth.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci