La «nouvelle approche» de l'Otan face à la Russie a une faille
L’Otan a renforcé son flanc oriental. Sous le nom de «Eastern Sentry» (réd. Sentinelle de l'Est), des opérations aériennes sont menées depuis la mi-septembre, après des violations de l’espace aérien polonais par la Russie. C'est la première fois depuis le début de la guerre que l’Alliance met activement en œuvre ses propres systèmes de défense. Mardi les doigts ont également pointé Moscou après que les aéroports du pays ont été bloqués par des drones. Le Kremlin dément toute action en ce sens.
Vendredi, la Russie a violé l’espace aérien estonien avec trois avions militaires cette fois. Une nouvelle raison de maintenir l'Eastern Sentry.
Cette opération marque un tournant: elle illustre la détermination de l’Otan, tout en la plaçant face à un dilemme stratégique. En effet, les drones bon marché de Moscou provoquent des mesures de défense extrêmement onéreuses. Quels sont donc les objectifs de l'Eastern Sentry, quels pays y participent et comment l’Alliance entend-elle en gérer les coûts?
L'Easterny Sentry, c'est quoi?
Il s’agit d’une nouvelle opération de l’Otan destinée à renforcer la défense aérienne sur son flanc est. L’action est coordonnée par l’Allied Command Operations (ACO) basé à Mons, en Belgique.
La mission a commencé dans la foulée des violations massives de l’espace aérien polonais à la mi-septembre. Le quartier général de l’Otan (Shape) ne précise pas combien de temps elle va se poursuivre.
Le nom, que l’on peut traduire par «sentinelle de l’Est», symbolise une réponse visible à une série de provocations russes:
Quels pays participent à l'Eastern Sentry?
De nombreux Etats alliés se sont engagés. L’Allemagne déploie quatre Eurofighter pour des vols de protection armés au-dessus de la Pologne. La France participe avec trois Rafale, le Danemark avec deux F-16 et une frégate de défense aérienne.
Le Royaume-Uni a annoncé l’envoi de Typhoon, l’Espagne prépare selon le Shape d’autres contributions. L’Italie prévoit deux Eurofighter, tandis que la Suède et la République tchèque ont également signalé leur soutien.
Ces renforts s’ajoutent aux forces déjà stationnées. Dès le premier week-end de la mission, un Rafale français a été placé en alerte face à de possibles drones russes approchant de la Pologne. Finalement, aucun appareil n’a pénétré l’espace aérien, mais l’incident a montré à quel point la situation est tendue.
Cela concerne-t-il seulement la Pologne?
Non. Officiellement, l’Otan insiste sur la protection «de tous les alliés». L’opération couvre l’ensemble du flanc est, de la Baltique à la mer Noire. Si la Pologne en a été le déclencheur, les Etats baltes, la Roumanie ou la Slovaquie pourraient aussi être la cible de provocations russes.
Récemment, trois avions militaires russes ont franchi illégalement l’espace aérien estonien. «La Russie a déjà violé notre espace aérien à quatre reprises cette année, ce qui est déjà en soi inacceptable. Aujourd’hui, trois avions de combat ont pénétré notre ciel, c’est d’une audace sans précédent», a dénoncé vendredi le ministre estonien des affaires étrangères Margus Tsahkna, cité par Reuters.
Les experts s’attendent à de nouvelles provocations le long du flanc est de l’Otan.
Le général Alexus Grynkewich résume ainsi l’objectif de la mission:
Le message est clair: la Russie doit savoir que les violations de l’espace aérien de l’Otan ne resteront pas sans réponse.
Quel est le coût de l'opération Sentinelle de l'Est?
Des experts militaires alertent sur un déséquilibre fondamental: celui des coûts. Certains drones russes ne valent que quelques milliers de francs, alors qu’une heure de vol d’Eurofighter coûte environ 70 000 euros. Un tir de missile Patriot se chiffre à plusieurs millions.
Pour l’analyste Clemens Speer, cité par le site spécialisé SUV.report, ce déséquilibre place la Russie en position de forcer l’Otan à réagir de façon extrêmement coûteuse. «C'est comme tirer des pigeons au canon», résume-t-il, ce qui risque de grever à long terme les budgets de défense occidentaux. Et c’est peut-être précisément la tactique de Moscou: pousser l’Occident à une coûteuse et permanente posture de vigilance.
Comment l'Otan compte-t-elle réagir?
L’Alliance mise sur l’innovation technologique. L'Eastern Sentry est étroitement coordonnée avec l’Allied Command Transformation, qui a déjà testé de nouvelles méthodes lors de l’opération «Baltic Sentry» en mer Baltique. L’accent est mis sur des capteurs anti-drones, des systèmes de brouillage et des drones de défense plus petits, moins onéreux.
Norbert Röttgen, député du parti allemand CDU, a d’ailleurs plaidé pour un large déploiement de défenses anti-drones aux frontières orientales de l’Otan. Dans l’émission «Maybrit Illner» sur ZDF, il a souligné que la guerre menée par la Russie en Ukraine s'est transformée «en guerre de drones». Une évolution majeure de l’art de la guerre, selon lui, qui impose d’agir:
L’objectif est de briser l’asymétrie: au lieu d’envoyer un avion de chasse à chaque intrusion, des systèmes flexibles et économiques doivent former la première ligne de défense. L’expérience des sabotages de câbles sous-marins en mer Baltique a montré qu’une adaptation rapide est possible. L'opération Eastern Sentry entend faire de même dans l'espace aérien.
Qu'est-ce que cela implique pour le futur?
La mission dépasse la simple manœuvre tactique. Elle marque une évolution: d’une posture de dissuasion pure à une défense active aux frontières de l’Otan. Pour la Pologne comme pour les pays baltes, c’est un signal fort: leurs préoccupations sont prises au sérieux.
Mais l'opération Eastern Sentry servira aussi de test: l’Otan peut-elle maintenir durablement sa crédibilité sans tomber dans un gouffre financier? Saura-t-elle intégrer rapidement des technologies plus agiles et abordables? Les prochains mois nous diront si l’opération devient un modèle pour l’avenir ou si Moscou réussit à épuiser la défense occidentale à coups de drones bon marché.
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder