Depuis le début de la guerre en Ukraine, il y a bientôt six mois, les «sympathisants de Poutine» et les pacifistes diffusent le récit selon lequel l'armée russe serait un «rouleau compresseur» inarrêtable, avec un stock de soldats et d'armes presque inépuisable. L'Ukraine n'aurait apparemment aucune chance, elle devrait négocier avec Poutine ou capituler.
Cela n'a jamais été crédible. Les Russes se sont d'abord ridiculisés en tentant de conquérir l'Ukraine par une «guerre éclair». On se souvient du convoi de plusieurs dizaines de kilomètres en direction de Kiev, qui est devenu la risée de tous. Ils ont ensuite changé de stratégie. Ils ont misé sur une avancée dans le Donbass, soutenue par l'artillerie et les roquettes.
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Les Russes ont ainsi remporté quelques succès, au prix de terribles destructions. Mais ces derniers temps, l'offensive s'est arrêtée. L'artillerie semble avoir perdu de sa puissance de feu. Parallèlement, des troupes ont été transférées de l'Est vers les régions occupées du Sud. Manifestement, les Russes prennent au sérieux la menace d'une contre-offensive ukrainienne.
Ils ont toutes les raisons de le faire. Grâce à des systèmes d'armes tels que les lance-roquettes Himars, l'armée ukrainienne a réussi à frapper de manière importante la logistique russe. Le succès le plus spectaculaire a été obtenu, mardi, lorsque les Ukrainiens ont plus ou moins fait exploser la base aérienne de Saki située sur la péninsule de Crimée.
Officiellement, Kiev n'a pas revendiqué l'attaque, mais des membres du gouvernement ont confirmé aux médias occidentaux que l'Ukraine en était l'auteur. Que l'attaque ait été perpétrée par des forces spéciales, des partisans ou un nouveau type de missile guidé est un fait secondaire. Ce qui est significatif, c'est que les Ukrainiens ont réussi à frapper en plein cœur du territoire annexé et occupé.
La Russie affirme, contrairement aux indices, qu'il s'agissait d'un accident. De telles déformations ne sont pas nouvelles, elles ont déjà été utilisées lors du torpillage du croiseur «Moskva» et de la reprise de l'île des Serpents. Les succès militaires des Ukrainiens ne correspondent pas à l'image d'une «opération spéciale» russe qui se déroule «comme prévu».
Les touristes russes en Crimée, qui ont assisté de près aux explosions – et ont parfois pris la fuite dans la panique – ont sans doute eu une autre impression. Rien ne se passe plus «comme prévu». La Russie subit de lourdes pertes humaines et matérielles, tandis que l'armée ukrainienne gagne en puissance grâce à l'équipement occidental.
La Russie a déployé plus de 80% de ses troupes de combat en Ukraine, écrit Joachim Krause, directeur de l'Institut de politique de sécurité de l'université de Kiel, dans une contribution publiée par la NZZ. Le succès est modeste, et ce n'est pas tout:
Les services de renseignement américains estiment que 15 000 soldats sont morts. Les pertes seraient ainsi déjà deux fois plus importantes que celles des Etats-Unis en Afghanistan et en Irak. Parmi les personnes tuées se trouveraient des milliers d'officiers «dont chaque armée a besoin pour un fonctionnement sans faille», écrit Die Welt. Personne ne pourrait combler cette lacune en peu de temps.
De plus en plus de réservistes et de «volontaires», appâtés par des primes élevées ou recrutés de force, sont utilisés. Leur motivation devrait être limitée. Alors que les volontaires ukrainiens savent exactement pourquoi ils se battent, on ne peut pas en dire autant des Russes. Ils sont de la chair à canon et «meurent rapidement», selon Joachim Krause.
La situation n'est pas meilleure en ce qui concerne le matériel de guerre. Selon l'analyse du journal Die Welt, les Russes auraient épuisé environ 60% de leurs missiles «intelligents». Ils doivent de plus en plus recourir à des projectiles imprécis, dits «stupides». Le stock prétendument énorme de munitions d'artillerie aurait également diminué de moitié.
En conséquence, l'intensité des attaques dans le Donbass aurait faibli, rapporte le Süddeutsche Zeitung en se référant aux données satellites de l'agence spatiale américaine (Nasa). En outre, l'armée russe aurait perdu environ 1000 chars. Die Welt affirme:
Du côté ukrainien, la confiance en la possibilité d'un tournant dans la guerre augmente avec les problèmes de l'envahisseur. Depuis quelque temps, il est question d'une contre-offensive dans le sud. La région de Kherson, à l'ouest du fleuve Dniepr, est visée. Les Ukrainiens ont déjà réussi à porter des coups aux lignes de ravitaillement russes.
L'attaque de mardi, en Crimée, a marqué le début de la contre-offensive, ont déclaré deux collaborateurs du gouvernement ukrainien à Politico. Les observateurs occidentaux sont plus sceptiques. Les Ukrainiens n'ont «pas encore la puissance de feu nécessaire pour mener des offensives vraiment importantes», a déclaré jeudi l'expert militaire allemand Gustav Gressel à la chaîne de télévision ZDF.
Il s'attend à ce que cela se produise à l'automne. On peut se demander comment le Kremlin réagirait dans ce cas. L'utilisation d'armes nucléaires tactiques est toujours d'actualité. La Russie semble chercher à acheter des drones iraniens, même si l'on peut se demander pourquoi cela n'a pas été fait bien plus tôt.
L'expert en sécurité Joachim Krause part en revanche du principe que la Russie prépare un «changement de stratégie» pour «d'abord mettre fin à la course aux armements en sauvant la face». Il existe des indices en ce sens. Les connaisseurs de la Russie interprètent l'accord sur les céréales signé sous la médiation de la Turquie comme une étape préliminaire aux négociations.
Un cessez-le-feu ne serait pas une mauvaise chose, estime Krause, à condition de ne pas répéter les erreurs commises lors du processus de Minsk après 2014. Il définit deux points primordiaux sur lesquels l'Occident doit insister lors des négociations avec Moscou:
Le deuxième point est particulièrement important, car on peut soupçonner Vladimir Poutine de profiter d'une trêve pour regonfler son armée à bout de souffle et se préparer à la prochaine guerre. Il est peu probable que le maître du Kremlin renonce à son rêve de conquérir l'Ukraine ou du moins une grande partie de celle-ci.
Poutine miserait sur le fait qu'en Allemagne surtout, face à l'euphorie d'une fin provisoire de la guerre – et de la reprise des livraisons de gaz – «les nombreuses manœuvres et les calculs à long et moyen terme de la Russie seront ignorés», prévient Joachim Krause. C'est pourquoi «l'intégration du reste de l'Ukraine dans l'Otan ne devrait pas être tabou».
Traduit de l'allemand par Léon Dietrich