International
Russie

La haine antisémite flambe en Russie

Daghestan; un probable lynchage de juifs évité à l’aéroport
Dimanche 29 octobre, une foule en colère a fait irruption sur le tarmac de l'aéroport du Daghestan pour faire la chasse aux passagers arrivant de Tel-Aviv. Keystone

La haine antisémite flambe en Russie

La chasse aux personnes de confession juive en Russie rappelle les heures sombres de l'empire tsariste et de l'Union soviétique, lorsque l'antisémitisme était quasiment la doctrine d'Etat. Pendant des années, peu de cas d'antisémitisme ont été signalés en Russie. Jusqu'à ce que la guerre arrive.
05.11.2023, 16:3006.11.2023, 10:12
Chantal Stäubli
Chantal Stäubli
Chantal Stäubli
Plus de «International»

Dimanche, à l'aéroport de la république russe du Daghestan, une foule en colère a crié «Allah Akbar», brandi le drapeau palestinien et fait irruption sur le tarmac pour faire la chasse aux passagers arrivant de Tel Aviv.

Sur les banderoles, on pouvait lire:

«Les tueurs d'enfants ne sont pas les bienvenus au Daghestan»

Sans preuve, le président russe Vladimir Poutine a accusé des «agents ukrainiens des services secrets occidentaux» d'être à l'origine des débordements. Il ne s'agit pourtant pas de la première agression antisémite dans cet Etat plurinational. La guerre d'agression contre l'Ukraine a ravivé l'antisémitisme en Russie.

En effet, de nombreux juifs et juives ne se sentent plus en sécurité en Russie. 16 000 personnes ont fui le pays de Poutine pour rejoindre Israël depuis le début de la guerre en Ukraine...

Voici donc un regard sur l'histoire de l'antisémitisme en Europe de l'Est et sur les événements récents qui poussent les personnes juives à émigrer de Russie.

L'ombre de l'antisémitisme

L'histoire de l'antisémitisme en Europe de l'Est est longue et remplit des livres.

De nombreux juifs d'Europe de l'Est se sont installés sur l'actuel territoire israélien avant la création d'Israël. En effet, dans leur pays d'origine, ils ont été chassés et parfois massacrés à partir des années 1880 et surtout vers 1900.

Nous commençons notre rétrospective détaillée en 1948, l'année de la fondation d'Israël, lorsque Joseph Staline dirigeait l'Union soviétique de l'époque d'une main de fer. Ses campagnes de diffamation antisémites sont restées gravées dans la mémoire collective russe.

Dans un premier temps, l'Union soviétique de Staline a reconnu le droit à l'existence d'Israël. D'une part, l'URSS avait intérêt à gagner un allié au Proche-Orient. D'autre part, elle voyait dans le retrait du Royaume-Uni de Palestine un affaiblissement de l'impérialisme britannique.

Les Soviétiques ont fourni des armes à Israël et ont permis aux personnes de confession juive d'Europe de l'Est d'immigrer. Alors même que les juifs n'étaient toutefois pas autorisés à quitter l'URSS.

Mais le revirement antisémite a suivi. En raison de l'alliance croissante entre Israël et les Etats-Unis, Staline a orchestré une campagne de dénigrement anti-juive à l'échelle nationale: il a combattu la religion juive, la langue hébraïque et a fait craindre la mort aux juifs soviétiques par des arrestations, des exécutions et des purges.

Vier kuerzlich aus der Sowjetunion ausgereiste Juden haben auf dem Bundesplatz in Bern einen Hungerstreik begonnen und protestieren damit fuer die inhaftierten und unterdrueckten Juden in der UDSSR, a ...
Des personnes de confession juive protestent sur la Place fédérale à Berne contre les Juifs emprisonnés et opprimés en URSS, le 24 mai 1972.Image: PHOTOPRESS-ARCHIV

Avant même l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, les réformes de la glasnost et de la perestroïka (ouverture et transformation) lancées par Mikhaïl Gorbatchev ont marqué un tournant. Il a mis fin à l'antisémitisme d'Etat et à la discrimination des personnes juives. Gorbatchev autorisa à nouveau la pratique du judaïsme et leva l'interdiction de sortie du territoire. Les juifs s'installèrent alors en masse en Israël.

Mais la chute de l'empire soviétique n'a pas enterré l'antisémitisme. Avec la guerre en Ukraine, l'hostilité envers les juifs a refait surface.

La rhétorique antisémite du Kremlin

En Russie, l'antisémitisme et le négationnisme sont punis par la loi. Tous les citoyens ont les mêmes droits dans cet Etat pluri-ethnique - du moins selon la loi.

Vladimir Poutine se considère comme le protecteur des juifs et des juives. Et cela ne date pas de son «opération militaire spéciale» qu'il justifie par la «dénazification» de l'Ukraine (notons que le président Volodymyr Zelensky est juif et que les membres de sa famille ont été assassinés par les nazis). En 2016 déjà, il avait appelé la population juive d'Europe à chercher refuge en Russie en raison de l'augmentation de la population musulmane de l'Union européenne.

«Ils ont quitté l'Union soviétique, maintenant ils doivent revenir»
Le président russe Vladimir Poutine

On peut dire beaucoup de mal de Vladimir Poutine, mais il n'est pas antisémite, déclare à la SRF quelqu'un qui le connaît bien: Natan Sharansky, éminent dissident soviétique et ancien vice-président israélien. Mais dès qu'il est mis en difficulté, il n'hésite pas à utiliser l'antisémitisme comme instrument.

epa05350054 Russian President Vladimir Putin (L) shakes hands with Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu (R) during a meeting at the Kremlin in Moscow, Russia, 07 June 2016. EPA/MIKHAIL KLIMENTYEV ...
Benyamin Netanyahou en visite au Kremlin en 2016.Image: EPA/SPUTNIK POOL

Le chef du Kremlin a longtemps entretenu de bonnes relations avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, mais celles-ci semblent aujourd'hui s'effriter.

L'une des raisons en est la réticence de Vladimir Poutine à condamner l'attaque du Hamas contre Israël. Selon certaines informations, il n'aurait exprimé ses condoléances qu'une semaine et demie plus tard. Dans le même temps, il a mis en garde contre un blocus de la bande de Gaza et a comparé l'action d'Israël au siège nazi de Leningrad, qui a coûté la vie à plus d'un million de personnes.

Une autre raison est la rhétorique antisémite du Kremlin. L'année dernière, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a affirmé qu'Hitler, comme le président ukrainien, avait des racines juives. Il a déclaré que de toute façon:

«Les plus grands antisémites sont souvent eux-mêmes juifs»
Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères

«Cela fait des années que l'on nous fait croire qu'il y a des nazis en Ukraine, y compris des nazis juifs», explique le correspondant en Russie Pavel Lokshin à la SRF. Et de poursuivre:

«A la fin, c'est Vladimir Poutine qui déterminera qui est le nazi»

Avant même les déclarations de Sergueï Lavrov, la rhétorique antisémite s'accumulait à la télévision d'Etat. Sergueï Glazyev, l'ancien conseiller économique de Poutine, a diffusé la désinformation selon laquelle la population russe en Ukraine serait remplacée par des Israéliens, via les organes de propagande du Kremlin liés aux services secrets russes. Mais la propagande n'est pas la seule à attiser la haine.

Les derniers incidents en date

Le Kremlin s'acharne contre les critiques juifs de la guerre. Alexeï Venediktov, rédacteur en chef de l'ancienne station de radio Echo Moskvy, est considéré comme un «traître national». Parce qu'il a critiqué la guerre, le Kremlin lui a interdit d'émettre. Des vandales ont alors écrit «cochon de juif» sur sa porte d'entrée.

Pinchas Goldschmidt, Zurichois d'origine et ancien grand rabbin de Moscou, a refusé de soutenir la guerre en Ukraine et a été publiquement diffamé pour cela. Le ministère russe de la Justice l'a accusé d'être un «agent étranger». Il a exercé la fonction de grand rabbin de Moscou pendant 30 ans avant de quitter son poste et la Russie.

Pinchas Goldschmidt a appelé à quitter le pays en raison de la montée de l'antisémitisme. Il a déclaré au Guardian:

«Nous assistons à une montée de l'antisémitisme alors que la Russie retourne à un nouveau type d'Union soviétique»

16 000 juifs ont fait de même en 2022. L'exode a incité Moscou à prendre des mesures contre la succursale russe de l'Agence juive. Moscou a menacé l'organisation, qui aide les juifs à émigrer, de fermer ses bureaux.

Parmi les personnes connues qui ont quitté la Russie, on trouve également le critique du président russe Leonid Gozman. Selon lui, il s'est trompé en pensant qu'il n'y aurait plus jamais d'hostilité envers les juifs en Russie. «En ce qui concerne l'antisémitisme d'Etat, il était pratiquement inexistant jusqu'à récemment. Et j'étais assez naïf pour croire qu'il n'existerait plus jamais», explique-t-il au MRD.

Leonid Gozman a été arrêté en 2022 pour ne pas avoir déclaré sa citoyenneté israélienne aux autorités russes dans les délais impartis. La même année, il a été condamné à 15 jours de prison sur la base d'un billet de blog vieux de neuf ans. Après sa libération, il a réussi à se rendre en Israël. Selon lui, la Russie s'est transformée en un Etat fasciste.

(Traduit et adapté par Chiara Lecca)

L'appartement des Zelensky en Crimée, vendu par la Russie
1 / 13
L'appartement des Zelensky en Crimée, vendu par la Russie
source: www.imago-images.de / imago images
partager sur Facebookpartager sur X
La tempête Ciaran s'est abattue sur l'ouest de l'Europe
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
2 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
2
On sait enfin qui sont les enfants de Poutine nés en Suisse
Ivan et Vladimir Poutine Jr, respectivement âgés de neuf et cinq ans, vivent dans des résidences strictement protégées, quand ils ne voyagent pas à bord d'un yacht ou d'un des nombreux jets privés de leur père.

Ce sont les enfants «les plus secrets» de Russie. Pendant des années, leur existence tenait davantage de la légende que de la réalité tangible. Même leur nombre a été sujet à caution. Deux? Trois? Le mystère a été en partie levé, grâce à un long travail d'enquête du média russe d'opposition Dossier Center.

L’article