Dimanche, à l'aéroport de la république russe du Daghestan, une foule en colère a crié «Allah Akbar», brandi le drapeau palestinien et fait irruption sur le tarmac pour faire la chasse aux passagers arrivant de Tel Aviv.
Sur les banderoles, on pouvait lire:
Sans preuve, le président russe Vladimir Poutine a accusé des «agents ukrainiens des services secrets occidentaux» d'être à l'origine des débordements. Il ne s'agit pourtant pas de la première agression antisémite dans cet Etat plurinational. La guerre d'agression contre l'Ukraine a ravivé l'antisémitisme en Russie.
En effet, de nombreux juifs et juives ne se sentent plus en sécurité en Russie. 16 000 personnes ont fui le pays de Poutine pour rejoindre Israël depuis le début de la guerre en Ukraine...
Voici donc un regard sur l'histoire de l'antisémitisme en Europe de l'Est et sur les événements récents qui poussent les personnes juives à émigrer de Russie.
L'histoire de l'antisémitisme en Europe de l'Est est longue et remplit des livres.
De nombreux juifs d'Europe de l'Est se sont installés sur l'actuel territoire israélien avant la création d'Israël. En effet, dans leur pays d'origine, ils ont été chassés et parfois massacrés à partir des années 1880 et surtout vers 1900.
Nous commençons notre rétrospective détaillée en 1948, l'année de la fondation d'Israël, lorsque Joseph Staline dirigeait l'Union soviétique de l'époque d'une main de fer. Ses campagnes de diffamation antisémites sont restées gravées dans la mémoire collective russe.
Dans un premier temps, l'Union soviétique de Staline a reconnu le droit à l'existence d'Israël. D'une part, l'URSS avait intérêt à gagner un allié au Proche-Orient. D'autre part, elle voyait dans le retrait du Royaume-Uni de Palestine un affaiblissement de l'impérialisme britannique.
Les Soviétiques ont fourni des armes à Israël et ont permis aux personnes de confession juive d'Europe de l'Est d'immigrer. Alors même que les juifs n'étaient toutefois pas autorisés à quitter l'URSS.
Mais le revirement antisémite a suivi. En raison de l'alliance croissante entre Israël et les Etats-Unis, Staline a orchestré une campagne de dénigrement anti-juive à l'échelle nationale: il a combattu la religion juive, la langue hébraïque et a fait craindre la mort aux juifs soviétiques par des arrestations, des exécutions et des purges.
Avant même l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, les réformes de la glasnost et de la perestroïka (ouverture et transformation) lancées par Mikhaïl Gorbatchev ont marqué un tournant. Il a mis fin à l'antisémitisme d'Etat et à la discrimination des personnes juives. Gorbatchev autorisa à nouveau la pratique du judaïsme et leva l'interdiction de sortie du territoire. Les juifs s'installèrent alors en masse en Israël.
Mais la chute de l'empire soviétique n'a pas enterré l'antisémitisme. Avec la guerre en Ukraine, l'hostilité envers les juifs a refait surface.
En Russie, l'antisémitisme et le négationnisme sont punis par la loi. Tous les citoyens ont les mêmes droits dans cet Etat pluri-ethnique - du moins selon la loi.
Vladimir Poutine se considère comme le protecteur des juifs et des juives. Et cela ne date pas de son «opération militaire spéciale» qu'il justifie par la «dénazification» de l'Ukraine (notons que le président Volodymyr Zelensky est juif et que les membres de sa famille ont été assassinés par les nazis). En 2016 déjà, il avait appelé la population juive d'Europe à chercher refuge en Russie en raison de l'augmentation de la population musulmane de l'Union européenne.
On peut dire beaucoup de mal de Vladimir Poutine, mais il n'est pas antisémite, déclare à la SRF quelqu'un qui le connaît bien: Natan Sharansky, éminent dissident soviétique et ancien vice-président israélien. Mais dès qu'il est mis en difficulté, il n'hésite pas à utiliser l'antisémitisme comme instrument.
Le chef du Kremlin a longtemps entretenu de bonnes relations avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, mais celles-ci semblent aujourd'hui s'effriter.
L'une des raisons en est la réticence de Vladimir Poutine à condamner l'attaque du Hamas contre Israël. Selon certaines informations, il n'aurait exprimé ses condoléances qu'une semaine et demie plus tard. Dans le même temps, il a mis en garde contre un blocus de la bande de Gaza et a comparé l'action d'Israël au siège nazi de Leningrad, qui a coûté la vie à plus d'un million de personnes.
Une autre raison est la rhétorique antisémite du Kremlin. L'année dernière, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a affirmé qu'Hitler, comme le président ukrainien, avait des racines juives. Il a déclaré que de toute façon:
«Cela fait des années que l'on nous fait croire qu'il y a des nazis en Ukraine, y compris des nazis juifs», explique le correspondant en Russie Pavel Lokshin à la SRF. Et de poursuivre:
Avant même les déclarations de Sergueï Lavrov, la rhétorique antisémite s'accumulait à la télévision d'Etat. Sergueï Glazyev, l'ancien conseiller économique de Poutine, a diffusé la désinformation selon laquelle la population russe en Ukraine serait remplacée par des Israéliens, via les organes de propagande du Kremlin liés aux services secrets russes. Mais la propagande n'est pas la seule à attiser la haine.
Le Kremlin s'acharne contre les critiques juifs de la guerre. Alexeï Venediktov, rédacteur en chef de l'ancienne station de radio Echo Moskvy, est considéré comme un «traître national». Parce qu'il a critiqué la guerre, le Kremlin lui a interdit d'émettre. Des vandales ont alors écrit «cochon de juif» sur sa porte d'entrée.
Pinchas Goldschmidt, Zurichois d'origine et ancien grand rabbin de Moscou, a refusé de soutenir la guerre en Ukraine et a été publiquement diffamé pour cela. Le ministère russe de la Justice l'a accusé d'être un «agent étranger». Il a exercé la fonction de grand rabbin de Moscou pendant 30 ans avant de quitter son poste et la Russie.
Pinchas Goldschmidt a appelé à quitter le pays en raison de la montée de l'antisémitisme. Il a déclaré au Guardian:
16 000 juifs ont fait de même en 2022. L'exode a incité Moscou à prendre des mesures contre la succursale russe de l'Agence juive. Moscou a menacé l'organisation, qui aide les juifs à émigrer, de fermer ses bureaux.
Parmi les personnes connues qui ont quitté la Russie, on trouve également le critique du président russe Leonid Gozman. Selon lui, il s'est trompé en pensant qu'il n'y aurait plus jamais d'hostilité envers les juifs en Russie. «En ce qui concerne l'antisémitisme d'Etat, il était pratiquement inexistant jusqu'à récemment. Et j'étais assez naïf pour croire qu'il n'existerait plus jamais», explique-t-il au MRD.
Leonid Gozman a été arrêté en 2022 pour ne pas avoir déclaré sa citoyenneté israélienne aux autorités russes dans les délais impartis. La même année, il a été condamné à 15 jours de prison sur la base d'un billet de blog vieux de neuf ans. Après sa libération, il a réussi à se rendre en Israël. Selon lui, la Russie s'est transformée en un Etat fasciste.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)