Il avait disparu depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, mais il respire toujours. Vladislav Sourkov est un mystérieux, un être qui s'est longtemps faufilé dans les couloirs du Kremlin pour faire infuser ses idées.
Comme le disait L'Express, qui s'est longuement intéressé au personnage de l'ombre:
Il est l'édificateur du pouvoir de Poutine; il est considéré comme l'inventeur du poutinisme. C'est lui qui a inspiré Giuliano da Empoli, pour son sublime livre Le Mage du Kremlin. On lui a accolé le surnom de «nouveau Raspoutine»; on en parlait comme l'éminence grise du pouvoir russe, ou du «Machiavel russe».
Pour aligner cette foule de surnoms, l'homme a brillé par son art de la manipulation, son goût pour l'intrigue. Il s'est construit sur les cendres de l'empire soviétique, un moment où le champ des possibles était grand ouvert pour une poignée d'audacieux.
Il a fait ses classes au sein des spetsnaz (troupes d’interventions spéciales), avant de bifurquer dans la communication de haut rang pour les oligarques Mikhaïl Khodorkovski (à la tête de l’une des premières banques privées d’URSS) et Mikhaïl Fridman (autre homme d'affaires puissant). Il fait un passage à la télévision d'Etat russe et a ensuite sauté dans l'équipe de Boris Eltsine, lors des derniers mois de son mandat, avant de se ranger, quelques mois plus tard, aux côtés de Poutine.
Sourkov a conseillé pendant 20 ans l'actuel chef d'Etat russe. Il a façonné Poutine depuis sa prise de pouvoir. C'est même lui, selon les différentes informations, qui serait l'un des stratèges derrière l'annexion de la Crimée en 2014.
En tissant sa toile dans les couloirs du pouvoir, Sourkov a dessiné des concepts politiques en différents axes distincts:
Sourkov avait, par exemple, dès le début des années 2000 mis en application ses préceptes, en créant de faux partis d’opposition pour enrayer la colère de parties de l’opinion publique tout en décrédibilisant les adversaires du régime.
Une première pierre pour un propagandiste hors pair du Kremlin qui décrit l’Ukraine comme une «entité politique artificielle» qui doit être disloquée. «La guerre en Ukraine permettra de séparer le Russe et l’anti-Russe», affirme Sourkov dans un entretien passionnant accordé à L'Express.
Le cerveau du poutinisme n'a pas toujours entretenu des relations cordiales avec son chef. Il s'est d'ailleurs fait congédier en 2013, après avoir publiquement contredit Poutine. Il est réhabilité quelques mois plus tard.
En 2020, il se distanciera du pouvoir russe (volontairement, selon L'Express), avant de disparaître des radars et vivre sa vie à l'écart. Il n'a jamais appartenu au premier cercle du président (comme Prigojine), mais reste persuadé que la Russie a besoin de son tsar Poutine.
Au fil de l'interview qu'il a accordée au magazine français, on souligne ses critiques virulentes sur l'immobilisme des deux dernières décennies adopté par l'Occident. Il se plaint des Occidentaux pour avoir entaché «la coopération pacifique qui a été empêchée par deux coups d’Etat soutenus par l’Occident en Ukraine, en 2005 et en 2014». Et de clamer:
Sourkov concède que l’Otan et l’Union européenne (qu'il perçoit comme «une structure de gouvernance obèse») vont entrer dans une ère de reconstruction (appelée perestroïka en russe) instaurée par l'abandon de «la stagnation» de Washington. Un chapitre qui déterre les fantômes du passé de l'empire soviétique: «La perestroïka soviétique a abouti à l’effondrement du bloc de l’Est», cadre-t-il.
A l'entendre, ou le lire, c'est l'effroi qui vous parcourt. Selon lui, la Russie va s'étendre au maximum, comme il le confirme au magazine français:
Ces gros morceaux sont les Etats-Unis, la Chine, l'Union européenne. Car Sourkov ne croit qu'au Nord global, la «grande civilisation nordique» - Etats-Unis, Europe et Russie.
Pour le stratège russe, ce rapprochement entre Poutine et Trump n'est pas vraiment à son goût. «Trump ne me donne pas l’impression d’une personne qui veut se faire des alliés», assène-t-il.
Or, Sourkov se montre convaincu et fier de son boulot au Kremlin:
Lorsqu'il jette un coup d'oeil dans le rétro, c'est bien la Russie qu'il souhaitait voir en 1999, comme il l'affirme sans ambages: «à 99,9 %». Un plan de marche bien huilé et une vision qui permet de sonder l'avenir et l'agenda géopolitique de Vladimir Poutine.