Le Kremlin prépare un réarmement massif
La Russie semble vouloir augmenter considérablement sa production de chars au cours des dix prochaines années. Selon le projet d'analyse Frontelligence, le Kremlin prévoit un renforcement à long terme de sa flotte de blindés, en mettant l'accent sur le modèle T-90.
Des documents internes du fabricant Uralvagonzavod montrent que la Russie entend fortement accroître ses capacités jusque dans les années 2030. Le plan prévoit plusieurs années d'augmentation de la production et de modernisation, dépassant largement les estimations précédentes des experts occidentaux.
Un plan ambitieux
L'avancée s'opère alors que les systèmes sans pilote dominent le champ de bataille en Ukraine. Pourtant, la Russie continue de miser sur les chars comme pierre angulaire de ses forces terrestres. Moscou bénéficie de procédures d'attribution simplifiées, de longues journées de travail allant jusqu'à douze heures et de coûts de main-d'œuvre et de matériaux plus faibles. Le résultat: des quantités importantes produites à des prix relativement bas.
Le rapport offre des aperçus jusque-là inconnus sur les plans russes de modernisation et de restructuration de sa flotte de chars jusqu'en 2036. Il confirme pour la première fois, de manière détaillée, la variante T-90M2 «Ryvok-1», dont la production doit commencer à partir de 2026.
Le plan se déroule en plusieurs étapes: en 2026, dix véhicules doivent d'abord être construits. Entre 2027 et 2029, la production s'intensifie pour atteindre 1118 chars, soit une hausse d'environ 80% par rapport à 2024. L'année 2028 marque le pic de production avec 428 T-90M/M2 prévus. A partir de 2030, les usines se concentreront davantage sur la réparation et leur modernisation, pour atteindre au total au moins 1783 chars d'ici 2036.
Une nouvelle cible prioritaire pour l'Ukraine
Le rapport s’appuie sur des données internes d’approvisionnement, notamment des commandes de moteurs, d’optiques de visée et de blindage. Les documents révèlent qu’Uralwagonsawod a conclu des contrats à long terme avec le ministère russe de la Défense. Le budget global du programme est estimé à environ 8,5 milliards de dollars.
Le principal site de production est l'usine Uralvagonzavod à Nijni Taguil. Elle est considérée comme le cœur de la production de chars russe et fait partie des plus grandes usines de chars au monde. Elle appartient au groupe public Rostec et emploie plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Ce que le T-90M doit faire, et ce qu'il coûte
Le T‑90M est considéré comme l'épine dorsale des forces blindées russes modernes. Il s'agit d'une évolution du T‑72, dotée d'un blindage renforcé, d'optiques de visée améliorées et d'un système de conduite de tir numérique qui calcule automatiquement comment l'artilleur doit viser.
L'équipage bénéficie d'une meilleure protection, le char est considéré comme robuste, peu exigeant en entretien et facilement fabricable en série, un avantage décisif dans une guerre de matériel. Selon des analystes militaires occidentaux, environ 500 T‑90M sont actuellement déployés sur le front, soit environ 15% de tous les chars russes en Ukraine.
Selon des analyses sectorielles, un T‑90M coûte environ 4,5 à 5 millions de dollars, soit une fraction des modèles occidentaux, comme le Leopard 2 ou l'Abrams, dont le prix se situe entre 20 et 30 millions d’euros.
Le nouveau T‑90M2 «Ryvok‑1» poursuit cette lignée. Selon le rapport de Frontelligence, le char bénéficie notamment d'une meilleure surveillance vidéo de son environnement et d'une protection renforcée. Ces modernisations s'appuient sur l'expérience acquise lors de la guerre en Ukraine et visent à accroître la survivabilité des véhicules au combat. Actuellement, les T‑90M sont plutôt utilisés en position reculée comme appui-feu mobile et réserve, afin de réduire leur vulnérabilité face aux attaques de drones.
Un signal d'alarme pour l'Occident et l'Ukraine
Les chiffres de Frontelligence confirment une tendance déjà mise en évidence par des études, comme celle du Royal United Services Institute (RUSI) britannique: depuis 2022, la Russie a, dans certains domaines, dépassé l'Otan en matière de production d'armes. La construction de nouveau matériel devient de plus en plus cruciale, les stocks hérités de l'époque soviétique étant presque épuisés.
A titre de comparaison: l'ensemble de l'UE produit actuellement environ 300 nouveaux chars par an, tous modèles confondus. La Russie doublerait cette quantité en 2027 et 2028, ce qui lui permettrait, en théorie, de rééquiper chaque année deux brigades de chars.
Pour l'Occident et l'Ukraine, c'est un signal d'alerte: même si les drones dominent le champ de bataille, la Russie considère toujours le char comme un outil décisif. Le rapport de Frontelligence montre que Moscou prépare son industrie à une course aux armements de longue haleine avec, semble-t-il, encore une marge de progression.
Traduit et adapté par Noëline Flippe

