Dans une interview lundi à la chaîne publique WDR, Friedrich Merz a dit qu’il n'y avait plus de limites de portée pour les armes occidentales livrées à l’Ukraine. A propos de la guerre à Gaza, il a affirmé que les limites du droit international avaient été franchies par Israël. Pourquoi le nouveau chancelier allemand se montre-t-il offensif en politique étrangère, un domaine où l’Allemagne est d’ordinaire plus réservée?
Hans Stark: Je dirais qu’il a sur ces deux sujets très importants une position audible et non pas offensive.
Lorsqu’il a été élu chancelier, le 6 mai, Friedrich Merz a clairement indiqué que la priorité de ses priorités serait la politique étrangère et qu’il y consacrerait les deux tiers de son temps. Idem pour la politique commerciale, qui relève également des relations extérieures. Il a donc clairement annoncé la couleur.
Dispose-t-il d'un gouvernement lui permettant de mettre en œuvre sa politique étrangère?
En principe, oui. Il s’appuie sur un ministre de son parti, la CDU, Johann Wadephul, qui a pris les Affaires étrangères.
Depuis près de soixante ans, ce poste avait été occupé soit par des libéraux, des Verts ou des SPD. Merz et Wadephul partageant les mêmes vues, le chancelier pourra agir de manière beaucoup plus convaincante, du moins l’espère-t-il, sur la scène internationale. Par ailleurs, Merz s’appuie sur un ministre de la Défense, Boris Pistorius, rescapé du gouvernement Scholz précédemment en place, et qui, bien que social-démocrate, partage grosso modo ses vues également.
Aucun désaccord entre ces hommes?
Il y en aura peut-être entre Merz et Pistorius sur tel ou tel type d’armement livré à l’Ukraine, mais ce qui est certain, c’est que l’Ukraine est la priorité pour Merz, Pistorius et Wadephul, comme elle l’est pour l’Europe. Ce qui veut dire les trois hommes ayant en charge la politique étrangère allemande, la Défense étant ici partie prenante, vont dans le même sens.
Friedrich Merz se joint à ceux qui, en Occident, avant lui, ont mis fin aux limites de portée des armes ukrainiennes. Pour autant, l’Allemagne, jusqu’ici, n’a pas autorisé l’Ukraine à tirer des missiles allemands au-delà de 70 km. Cela va-t-il changer?
On constate en effet que le mot «Taurus» n’est pas tombé lundi dans son interview télévisée. Or Friedrich Merz avait milité pour la livraison à l’Ukraine de missiles Taurus, d’une portée de 500 km, lorsqu’il était encore dans l’opposition. On reste dans l’ambiguïté stratégique la plus totale.
Pendant ce temps, la Russie redouble ses coups…
Oui, la Russie a franchi un cap avec ses attaques massives de drones et de missiles, ces derniers jours, alors que nous sommes dans un contexte marqué par des efforts, gérés par les Américains avec plus ou moins de succès, pour parvenir à un cessez-le-feu. Les Russes sont en train de les torpiller en faisant valoir une règle datant des tsars, en vertu de laquelle on peut très bien négocier tout en faisant la guerre. C’est une dialectique à laquelle les Européens n’adhèrent pas. Résultat, la situation est très dangereuse pour l’Ukraine, qui n’est pas sûre de pouvoir compter comme sous Biden sur le soutien américain, Trump soufflant le chaud et le froid.
Des conséquences à quelle échéance?
La problématique se pose déjà. Il y a d’importantes manœuvres militaires russes prévues en Mer Baltique au mois de septembre, appelées «Zapad», ce qui veut dire «Ouest».
Pour l’instant, la Russie ne déploie pas aux frontières des pays baltes et scandinaves autant de forces que début 2022 aux frontières de l’Ukraine, mais cela pourrait arriver le jour où elle sera libérée de l’effort de guerre en Ukraine.
S’agissant d’Israël, les reproches adressés par Friedrich Merz à l’Etat hébreu tranchent-ils avec les habitudes allemandes vis-à-vis de ce pays?
Non. Friedrich Merz n’a pas adressé une critique ouverte à Israël. Il a dit ne plus comprendre ce que font les Israéliens à Gaza, que la logique d’un bombardement d’une école tuant des enfants lui échappait. Il a ajouté dans la même phrase que son incompréhension ne remettait pas en cause le partenariat qui lie l’Allemagne à Israël.
L’Allemagne aide Israël avec des livraisons d’armes depuis le début des années 50. Angela Merkel avait clairement dit que la sécurité d’Israël relevait de la raison d’Etat de l’Allemagne. Merz n’a pas remis cela en question. Ses propos sur Israël sont intéressants sur un autre plan.
Lequel?
Les Européens sont très divisés sur la question israélienne, depuis longtemps. Or Merz veut faire de l’Union européenne un acteur politique important. Cela nécessite de la cohérence dans les déclarations vis-à-vis d’Israël. Jusqu’ici, les Allemands étaient sur la retenue. Là, Merz rentre dans le rang.
En se rapprochant de la position britannique et française sur la question?
Oui et c’est fondamental.
Il est important pour ces pays d’afficher des positions communes, et non pas des divisions, sur les grands sujets de politiques étrangères.
Friedrich Merz veut-il investir la scène internationale pour compenser la fragilité relative de son gouvernement?
Cela peut lui valoir des points par rapport à Israël, l’opinion publique allemande étant critique vis-à-vis de l’Etat hébreu. Sur l’Ukraine, j’en suis moins sûr, tout simplement parce que l’opinion publique allemande est inquiète face aux risques d’escalade avec la Russie. Des personnalités du SPD non membres du gouvernement ont fait part de leurs réticences suite aux déclarations de Merz lundi à la télévision. Sur la Défense, il y aura sans doute aussi des désaccords.
En déclarant dernièrement qu’il voulait faire de l’Allemagne l’armée la plus puissante d’Europe, Friedrich Merz veut-il apparaître comme l’homme fort de l’Europe?
Je n’ai pas cette impression. Pour l’heure, ce rôle reste dévolu à Emmanuel Macron, du fait de son ancienneté et malgré ses faiblesses sur le plan intérieur.
Justement, le règne d’Emmanuel Macron n’en finit pas de finir et les problèmes qu’il rencontre, à l'image de l’épisode de l’avion, à Hanoï, au Vietnam, donnent des armes aux communicants russes. Les Européens seraient peut-être rassurés de voir un homme comme Friedrich Merz prendre le leadership en Europe, non?
Pas sûr que les Européens souhaitent que ce rôle soit rempli par un Allemand, étant donnée l’histoire de l’Allemagne, qui lui colle à la peau.
Il agit vite lorsqu’une situation le touche, le remue. Voir l’Ukraine à feu et à sang, comme dans les images de dimanche, participe certainement des annonces qu’il a faites lundi à la chaîne WDR. C’est pareil pour les images d’enfants morts sous les bombardements israéliens. Et en décembre dernier, il a pu compter sur les voix de l’extrême droite AfD pour tenter, sans succès, de faire passer un projet de loi durcissant les passages aux frontières, suite à plusieurs attaques au couteau commises par des demandeurs d’asile déboutés. Merz réagit beaucoup plus vite que Merkel ou Olaf Scholz et j’ai l’impression que c’est parfois sous le choc des événements.
Friedrich Merz n’a-t-il pas tout simplement envie de rattraper le temps perdu, lui dont l’accès à la chancellerie lui fut longtemps barré par Angela Merkel, sa rivale à la CDU?
Tout à fait. Merz aura 70 ans cette année. Il sait qu’il ne va pas faire seize ans comme Merkel à la chancellerie. Il est pressé. Et puis, l’époque n’est plus la même qu’au temps de Merkel. La crise est aujourd’hui beaucoup plus aiguë.