Chaque saison, avec le soleil et le Festival de Cannes, les très riches touristes et leurs montres de luxe entament leur transhumance vers la Côte d'Azur, dans le sud-est de la France, attirant dans leur sillage des voleurs ultras spécialisés et très organisés. Un défi auquel les autorités tentent de s'adapter.
Samedi, au jeu du gendarme et des voleurs, les seconds l'ont emporté, avec une montre de plus de 100 000 euros subtilisée au bras d'un passant à Cannes. Le 2 mai, en revanche, cinq personnes avaient été interpellées après avoir tenté de dérober une Richard Mille estimée à 600 000 euros à un membre de la famille royale qatarie, à deux pas de la Croisette.
Depuis le 1er avril, plus d'une douzaine de vols ou de tentatives de vols de ce type ont été recensés à Cannes, selon le parquet. Il y en avait eu 38 en 2023 et 32 en 2024, essentiellement entre mai et septembre.
Mais les voleurs sévissent aussi à Saint-Tropez ou aux abords de Monaco, avant d'aller suivre les grandes fortunes à Paris, Londres, Barcelone, Genève ou Munich. En 2024, dans le département français sud-est des Alpes-Maritimes, le butin, englobant les vols à l'arraché, mais aussi les cambriolages et autres rapines, avait été estimé à 301 montres pour un montant de 8,3 millions, après 275 montres et 6,9 millions d'euros en 2023.
Damien Savarzeix, le procureur de Grasse, une petite ville située en bordure de Cannes, confirme:
Savarzeix distingue deux types de voleurs: les locaux, qui passent à l'acte quand l'occasion se présente, comme avec un porteur de Rolex éméché à la sortie d'une boîte de nuit, ou des groupes beaucoup plus organisés, le plus souvent napolitains, qui visent les montres à plus de 100 000 euros avec un mode opératoire très élaboré.
Des physionomistes repèrent une montre de valeur au poignet d'un passant, puis un voleur la dérobe subrepticement ou violemment et saute sur un deux-roues à la plaque trafiquée, apporté à l'avance en camionnette et conduit à toute allure par un complice.
Même si Cannes ou Saint-Tropez disposent de plans de sécurisation visant à contrôler les axes de sortie, Eric Antonetti, chef de la police judiciaire des Alpes-Maritimes, explique:
Ainsi, le 1er mai, les policiers n'ont pas pu intercepter une moto qui filait dans une circulation dense après le vol d'une montre Patek Philippe.
L'objectif des autorités est donc clair, comme l'explique la préfecture: neutraliser l'un des chaînons en amont. Pour ce faire, centres municipaux de vidéosurveillance, policiers sur le terrain, sécurité privée des hôtels, plagistes sont mis à contribution pour repérer les comportements suspects et anticiper les vols.
Cette année, pour lutter contre l'éclatement des responsabilités entre police, gendarmerie et divers parquets sur des zones arpentées par les mêmes groupes criminels, un bureau de liaison spécialisé se réunit chaque semaine à Nice. Et la coopération se renforce également avec les autorités italiennes, suisses, allemandes ou espagnoles.
L'affaire du prince qatari prouve que cela peut fonctionner: un scooter suspect repéré la veille, des renseignements parvenus d'Italie et de Suisse, une surveillance intensive avant la tentative de vol, puis des contrôles aux sorties du centre-ville ont permis d'interpeller tous les membres présumés de la bande à l'origine du larcin.
Connus pour des faits similaires ailleurs en Europe, ces Napolitains de 32 à 44 ans doivent être jugés le 11 juillet à Grasse et risquent chacun plusieurs années de prison ferme.
Thierry Migoule, directeur de cabinet du maire de Cannes, tempère:
D'autant que le marché de l'occasion est florissant pour les montres de luxe, dopé par les longues listes d'attente pour les modèles les plus rares. Ainsi, la montre du prince qatari visée début mai valait déjà près du double de son prix neuf de 350 000 euros.
Pour remettre une montre volée dans le circuit légal, les réseaux les plus sophistiqués sont capables de falsifier les numéros de série et de fournir les boîtes et les faux certificats nécessaires.
Pour les acheteurs moins regardants, une montre de luxe «est une valeur refuge extrêmement intéressante», souligne Damien Martinelli, procureur de Nice, citant l'exemple d'un trafiquant de stupéfiants parti en cavale avec un coffret de montres qu'il revendait progressivement.