«Si tu meurs en défendant ta patrie et ta foi en Dieu, tu iras au paradis. Et qu'est-ce qui peut t'arriver de mieux que le paradis sur ton chemin vers le Tout-Puissant?» C'est en ces termes qu'Apti Alaudinov, le commandant des forces spéciales tchétchènes Akhmat, s'adresse aux jeunes soldats russes via les médias sociaux.
Depuis l'invasion des troupes ukrainiennes dans la région de Koursk, alors que l'armée russe est en train de répondre par une contre-offensive, Alaudinov, 50 ans, est devenu le principal porte-parole du Kremlin. Son canal compte plus de 250 000 abonnés et le gradé y publie quotidiennement des vidéos.
Au cours des premiers jours de l'offensive ukrainienne, il a déclaré que l'unité Akhmat n'avait pas pu repousser l'assaut faute d'avoir vu arriver l'adversaire. Le Kremlin ne l'a pas suspendu, même après cet échec défensif. Le commandant a au contraire reçu tacitement le pouvoir de rendre compte de la situation dans la région de Koursk en tant que communicant officiel.
Alors que les Ukrainiens poursuivaient leur progression sur le territoire russe, Apti Alaudinov informait ses abonnés d'une autre réalité. Ainsi, le 8 août, il a proposé que «tout le monde prenne du pop-corn et regarde comment Akhmat détruit l'ennemi». Le 10 août, il estimait que «la situation était contrôlable» et le 11 septembre, il affirmait que «le nettoyage et le renforcement des positions continuent».
Bien que le militaire n'ait pas tenu la promesse à sa communauté de «vaincre l'ennemi», il a augmenté son poids médiatique au cours des deux derniers mois. On peut le comparer à Evgueni Prigojine, devenu très populaire en 2023 en tant que l'un des principaux commentateurs sur la section de Bakhmut, une portion de front problématique pour Moscou.
L'ancien chef du groupe Wagner connaissait Alaudinov et lui a même offert sa marque de fabrique, une masse.
Alaudinov figure sur la liste des sanctions du Congrès américain contre les Russes ayant gravement violé les droits humains. Il y a été inscrit pour son implication dans l'enlèvement, la torture et le meurtre de personnes LGBT en Tchétchénie, ainsi que pour des violences commises contre l'activiste Ruslan Kutaev.
Depuis cette année, on spécule de plus en plus sur le fait que le commandant pourrait même finir par remplacer le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov. Les deux hommes se sont pourtant disputés: le premier a longtemps été vice-ministre de l'Intérieur en Tchétchénie, mais il est tombé de son piédestal en 2019 en raison de soupçons de complot contre le second. Ce n'est qu'au printemps 2022 qu'Alaudinov est revenu sur le devant de la scène.
Sous son commandement, le bataillon d'Akhmat a dépassé son objectif en matière de recrutement de soldats. Cela a permis à Kadyrov de regagner le respect de Vladimir Poutine. Et de présenter le commandant comme un héros pour la Russie. Cela a permis d'apaiser les tensions: Alaudinov reconnaît à Kadyrov sa qualité de «souverain» et l'aide, par son rôle actuel de médiateur, à s'établir comme «le limier de Poutine».
Le président russe s'est rendu en Tchétchénie en août dernier. Son dernier voyage dans cette région à dominante musulmane remontait à 2011, soit treize ans plus tôt. Il y a visité avec Kadyrov l'université des forces spéciales, où sont formés les combattants d'Akhmat, et a embrassé le Coran. Pas de quoi en conclure pour autant que Poutine se soit secrètement converti à l'islam. Mais cela démontre néanmoins une attitude particulière envers le dirigeant tchétchène et son bataillon, sur lesquels le président russe s'appuie apparemment beaucoup.
Dans son rôle de «général des médias», Alaudinov est donc désormais très favorable au Kremlin. Tout comme Prigojine au début, il s'attelle au recrutement des soldats pour la guerre, et son unité a de quoi terroriser de potentiels déserteurs. Dans le même temps, tout porte à croire qu'il n'osera pas trahir ni Kadyrov ni Poutine, dont il dépend: beaucoup ont tiré une leçon du sort d'Evgueni Prigojine.
(Adaptation française: Valentine Zenker)