Voici une offre peu éthique qui pourrait mettre l'Allemagne dans une situation compliquée: le président russe Vladimir Poutine souhaite faire libérer Vadim Krassikov dans le cadre d'un échange de prisonniers avec l'Occident. C'est ce que rapporte le Wall Street Journal en citant des représentants du gouvernement occidental.
Vadim Krassikov a été condamné à la prison à vie en 2021 pour le meurtre d'un ancien commandant tchétchène au Tiergarten de Berlin.
Moscou tente depuis des années déjà de faire libérer le tueur à gages. Peu avant le verdict du tribunal, en décembre 2021, Vladimir Poutine aurait ordonné à son homme de confiance Nikolaï Patrouchev d'explorer la possibilité d'un échange de prisonniers, toujours selon le journal américain, qui se réfère à un ancien fonctionnaire européen.
Dans le cadre des négociations sur la libération de la basketteuse américaine Brittney Griner fin 2022, le Kremlin a de nouveau tenté sa chance. D'après des informations américaines, les Russes avaient proposé la joueuse en échange de Vadim Krassikov. Mais les Etats-Unis ont refusé; ils ne pouvaient pas intervenir, puisque l'homme était détenu en Allemagne.
Le Kremlin semble désormais vouloir réessayer et pourrait cette fois avoir de meilleures chances de succès: comme l'écrit le Wall Street Journal, Vadim Krassikov joue un «rôle central» dans les efforts des Etats-Unis pour obtenir la libération de prisonniers occidentaux en Russie.
Les candidats potentiels à un échange de prisonniers sont donc Paul Whelan, ancien vétéran de la marine américaine, et Evan Gershkovich, journaliste pour le Wall Street Journal, arrêté en mars par le service de renseignement intérieur russe FSB pour espionnage présumé.
Un haut fonctionnaire occidental, qui serait en train de négocier avec le Kremlin, a déclaré au Wall Street Journal que Poutine ne souhaite que la libération de Vadim Krassikov. On pourrait donc imaginer un échange multilatéral de prisonniers russes dans des pays occidentaux contre des prisonniers occidentaux en Russie – ou contre des dissidents emprisonnés, comme Alexeï Navalny.
Mais il n'est pas certain que celui-ci, récemment condamné à 19 ans de camp, puisse être libéré. Jusqu'à présent, aucun gouvernement occidental ne s'est publiquement engagé à essayer de faire libérer le militant politique russe.
Il en va autrement pour Evan Gershkovich: le président américain Joe Biden s'est adressé directement au gouvernement russe en juillet et a demandé un échange de prisonniers pour libérer le journaliste américain.
Si l'enquête du Wall Street Journal s'avère exacte, à savoir que l'Occident tente effectivement de libérer Alexeï Navalny, l'Allemagne se retrouvera dans une situation délicate – surtout si le Kremlin s'obstine à vouloir libérer le meurtrier du Tiergarten. L'affaire a suscité l'indignation de l'opinion publique allemande: Vadim Krassikov avait abattu sa victime en plein jour, sous les yeux des visiteurs du parc.
L'évaluation de la Cour d'appel de Berlin a également été sans équivoque: «Il s'agit de terrorisme d'Etat», a déclaré le juge qui présidait l'audience lors de l'annonce du jugement. Le tribunal allemand a considéré qu'il était prouvé que Vadim Krassikov avait agi sur ordre du FSB russe et qu'il travaillait pour une unité spéciale appelée Wympel.
Ainsi, même si le transfert d'un meurtrier condamné est juridiquement possible, ce serait politiquement délicat.
Les fonctionnaires occidentaux avec lesquels le Wall Street Journal s'est entretenu ont également reconnu que les discussions avec Moscou au sujet du prisonnier russe seraient «sensibles et imprévisibles» compte tenu de la gravité de son crime.
Jusqu'à présent, la partie russe a toujours souligné que Vadim Krassikov était «innocent» et que le jugement de Berlin était «politiquement motivé». C'est du moins ainsi que le Kremlin justifie sa demande de libération du Russe. En 2004, il a obtenu la libération de deux autres citoyens russes condamnés à la prison à vie au Qatar pour le meurtre d'un chef séparatiste tchétchène.
En 2019, Vladimir Tsemakh, soupçonné d'être impliqué dans la destruction du MH17 en 2014 qui a fait 298 morts, a été libéré dans le cadre d'un échange de prisonniers avec l'Ukraine. En 2022, le «marchand de mort» Viktor Bout a été libéré en échange de la basketteuse américaine Brittney Griner.
Selon Andreï Soldatov, les échanges de prisonniers sont une pratique bien établie pour Poutine afin de faire chanter les Etats étrangers. Le journaliste d'investigation russe appelle cette méthode l'«échange de prisonniers à la Poutine»; celle-ci aurait été développée de manière ciblée à la fin des années 1990. A l'époque, des rebelles tchétchènes ont régulièrement pris des otages russes afin d'extorquer des rançons au Kremlin et d'avoir ainsi une source de revenus constante.
Pour résoudre le problème, Boris Berezovsky, ancien proche de Poutine et futur opposant, avait alors développé une stratégie effrontée, comme l'explique Andreï Soldatov dans un article pour le Center for European Policy Analysis en août 2022. Pour libérer les otages russes, l'Etat russe devait tout simplement prendre lui-même plus d'otages tchétchènes.
C'est ce qu'on a appelé la constitution d'une «banque d'otages», c'est-à-dire d'un pool d'otages qui peuvent être utilisés comme gage lors de futurs échanges de prisonniers.
Andreï Soldatov prévient que l'Occident doit donc se tenir prêt pour la prochaine étape logique de la Russie: le Kremlin pourrait à nouveau tenter de constituer une «banque d'otages», mais composée cette fois-ci non de Tchétchènes mais de citoyens occidentaux.
Interprété de l'allemand par Tanja Maeder