L'espace joue déjà un rôle primordial dans les guerres: près de 9000 satellites tournent autour de la Terre, relayant des messages et générant des informations essentielles. Le contrôle de l'espace rime donc avec pouvoir géopolitique. Et la Russie est en train de se positionner de manière prometteuse dans cette lutte de pouvoir.
Moscou travaille depuis longtemps sur une arme destinée à être utilisée dans l'espace. En février, des représentants du gouvernement des Etats-Unis ont d'ailleurs publiquement exprimé leurs préoccupations concernant les activités russes à ce propos. A l'époque, John Kirby, le porte-parole du Conseil de sécurité américain, avait confirmé la construction d'un engin de fabrication russe. Mike Turner, le président de la commission du renseignement de la Chambre des représentants, avait même parlé d'«informations sur une menace sérieuse pour la sécurité nationale».
L'ampleur exacte des progrès de la Russie n'était alors pas encore claire, mais les Etats-Unis ont désormais publié de nouveaux développements. Le porte-parole du Pentagone, Pat Ryder a annoncé mardi l'envoi d'un satellite suspect dans l'espace le 16 mai. «Il s'agit d'une arme de défense spatiale placée sur la même orbite que l'un de nos satellites», a-t-il fait remarquer. Même s'il ne l'a pas explicité, on comprend que cela pourrait menacer le satellite américain.
«Il s'agirait d'un appareil équipé d'une arme à projectiles. Ce "satellite tueur", comme on l'appelle, est capable d'abattre d'autres objets», explique l'expert militaire et journaliste Guido Schmidtke.
«L'US Space Force sert à la guerre dans l'espace», explique Schmidtke. Il voit dans le renforcement de cette unité le signe que les Etats-Unis ont eux aussi avancé non seulement dans l'analyse des adversaires, mais aussi dans le développement d'armes. Ils auraient déjà équipé des satellites d'armes laser à même d'en endommager d'autres.
Dans la guerre contre l'Ukraine notamment, on peut rapidement observer les mouvements de troupes de l'adversaire par l'assemblage d'informations satellites. Si la Russie parvenait à limiter les données dont dispose son adversaire en la matière, celui-ci verrait alors sa capacité d'action réduite.
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Les Etats-Unis sont conscients de ce danger. C'est pourquoi ils avaient déjà créé l'Air Force Space Command, en 1982. En raison de la menace croissante dans l'espace, ce département a été considérablement renforcé en 2019 et, en devenant l'US Space Force, il est devenu l'une des huit branches de l'armée, avec le même statut que l'Army ou la Navy.
Et l'Otan se prépare aussi à cette nouvelle menace. En ce qui concerne la défense collective, elle a ainsi décidé en 2021 de ranger les attaques depuis ou dans l'espace au même niveau que les attaques au sol ou dans l'espace aérien, maritime ou cybernétique.
En principe, le domaine est relativement opaque par rapport à d'autres, selon Schmidtke.
On ignore donc la quantité exacte d'informations que les Etats-Unis possèdent réellement sur les armes russes. Elle pourrait être conséquente, quand bien même Washington tenterait de protéger ses propres informations face à Moscou.
Ce qui est certain, en revanche, c'est que ce n'est pas la première fois que la Russie positionne des satellites à proximité d'engins américains. Une situation similaire se serait déjà présentée en 2019 et 2022. Elle n'a pas toujours pour objectif de recourir aux armes, précise Schmidtke:
C'est aussi une forme de guerre de l'espace et montre que la Russie dispose probablement de plusieurs stratégies. Elle possède en outre un système de défense antimissile dont la portée peut atteindre 200 kilomètres d'altitude. «De quoi abattre les satellites volant à basse altitude, et pour ceux qui sont plus éloignés, il existe les satellites tueurs», détaille l'expert.
Il y a deux ans seulement, la Russie a prouvé ce dont elle était capable avec son système Nudol. Elle avait visé un de ses propres satellites. Les débris qui ont ensuite tourné autour de la Terre ont même menacé de toucher la Station spatiale internationale (ISS), obligeant l'équipage présent à évacuer temporairement dans des capsules de sécurité.
En outre, les Etats-Unis craignent que la Russie n'ait peut-être développé ou déjà placé des armes d'un tout autre genre. «Ils sont extrêmement préoccupés par le fait que la Russie, sur la base d'informations que nous considérons comme crédibles, envisage le nucléaire dans le cadre de ses contre-programmes», a déclaré Mallory Stewart, secrétaire d'Etat adjointe au contrôle des armements, lors d'un événement organisé par le think tank Center for Strategic and International Studies début mai. Ses propos ont été rapportés par The Warzone.
«Il y a déjà quelque chose dans l'espace» qui est en rapport avec le développement de l'arme nucléaire antisatellite, affirme l'Américaine. «Cela permettrait probablement de neutraliser des centaines de satellites à la fois», prévient de son côté Guido Schmidtke.
D'après l'expert, la Russie a tendance à répéter le même schéma. «Poutine veut être très en avance dans les technologies clés», souligne-t-on. Il aspire ainsi toujours à se positionner devant les Etats-Unis dans certains domaines technologiques, comme le missile hypersonique ou maintenant les armes satellites. L'utilité sur le long terme de ce modèle est, en revanche, plus discutable. Après tout, dans l'histoire militaire, il n'a jamais fallu longtemps avant le développement d'une contre-arme, analyse Schmidtke.
La Russie n'a jusqu'à présent confirmé aucune de ces activités. Non seulement pour ne rien révéler quant à ses avancées, mais aussi parce qu'elle est tenue par certains engagements. Le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l'Union soviétique ont en effet signé, à l'été 1963, le Traité d'interdiction partielle des essais nucléaires, qui interdit notamment tout test dans l'espace. A cela s'ajoute un traité de 1967, qui vise, par ailleurs, à empêcher le recours aux armes.
Ce n'est que lundi que la Russie a présenté une résolution au Conseil de sécurité de l'ONU – contre une course à l'armement. Sur un total de quinze pays, sept ont voté pour et sept contre, et les Etats-Unis ont mis leur veto. Même si la proposition était allée dans leur sens, leur réaction n'a pas de quoi surprendre. Le mois dernier, les Américains avaient, en effet, présenté une résolution contre les armes nucléaires dans l'espace. La Russie l'avait fait échouer en y mettant son veto.
Mais les deux grandes puissances ne sont pas les seules en concurrence dans ce domaine. La Chine est entrée dans la course depuis un certain temps. En août, elle avait annoncé le développement d'une arme laser, qui n'a pour l'heure été testée que sur Terre. Les premiers systèmes auraient été installés sur la base de Korla dans la province du Xinjiang, rapportait le Asia Times en mai dernier.
Et apparemment, Pékin a imaginé une tout autre technologie, appelée satellites Grappler. Ceux-ci peuvent s'arrimer à d'autres et les placer sur d'autres orbites. «C'est là que réside le plus grand danger», prévient Schmidtke. «Car ils peuvent ainsi détourner d'autres satellites et les rendre inutilisables - sans aucun débris».
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)