Trois petits loups au pelage blanc comme neige: difficile d'imaginer que ces adorables canidés soient des animaux revenus de la préhistoire. C'est pourtant ce qu'assure l'entreprise américaine, dont le projet de ressusciter des espèces disparues agite le monde scientifique.
«Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, Colossal a réussi à restaurer une espèce autrefois éradiquée», a-t-elle clamé lors de l'annonce qui a fait le tour du monde. Les photos et vidéos de ces trois petits «loups sinistres» – autre nom donné à l'espèce – ont inondé les réseaux sociaux et secoué la communauté scientifique, partagée entre enthousiasme et scepticisme.
Sauf que... «Ces affirmations sont largement exagérées», s'agace auprès de l'AFP Alan Cooper, spécialiste en biologie de l'évolution ayant étudié l'ADN de Canis dirus.
«Ils ont créé un animal qui a des caractéristiques phénotypiques du loup sinistre, pas un loup sinistre», abonde l'écologue américaine Lisette Waits, qui reconnaît néanmoins une «avancée importante».
Baptisés Romulus et Rémus, en référence à la mythologie romaine, et Khaleesi, clin d'oeil à la série à succès Games of Thrones qui a rendu célèbre cette espèce disparue, ces louveteaux ont été conçus grâce à des technologies génétiques innovantes.
Après avoir analysé de l'ADN de loup sinistre retrouvé sur deux fossiles – une dent et un os vieux de 13'000 et 72'000 ans – et l'avoir comparé à celui de l'actuel loup gris, Colossal a établi que les deux espèces étaient à «99,5% identiques», explique à l'AFP Beth Shapiro, cheffe scientifique du projet.
Un examen des différences a alors mis en lumière celles potentiellement responsables de la taille, de la musculature ou encore du pelage du loup sinistre. Sur cette base, l'équipe a modifié le génome d'un loup gris pour y placer certaines de ces différences d'ADN. Vingt modifications ont été réalisées grâce à des ciseaux moléculaires Crispr-Cas9, utilisés en génétique humaine.
Un nombre réduit qui ne couvre pas l'ensemble des variations entre espèces mais que Beth Shapiro assume: «Plus nous limitons le nombre de changements, plus nous avons de chances d'avoir un animal en bonne santé».
Quant à savoir si les animaux nés de ce processus – via un embryon génétiquement modifié porté par une chienne – sont des loups OGM ou des loups sinistres, «c'est un débat sémantique», balaye-t-elle. Mais elle admet tout de même que:
«Mais ce n'est pas l'objectif. Notre objectif, c'est de créer des équivalents fonctionnels de ces espèces» disparues.
Un projet qu'elle entend notamment appliquer aux célèbres dodos, oiseaux endémiques de l'Île Maurice, ou encore au mammouth laineux. Début mars, l'entreprise a publié des photos de souris au patrimoine génétique en partie mammouth, suscitant déjà la controverse.
Pour certains scientifiques, cet objectif est tout simplement impossible et même dangereux. Pour d'autres, il s'agit d'une initiative ambitieuse qui pourrait permettre de lutter contre l'effondrement de la biodiversité.
Pour Lisette Waits, qui travaille sur les enjeux de conservation, cela «pourrait contribuer à sauver des espèces en voie de disparition» car menacées par le manque de diversité génétique dû à leur trop faible nombre. En 2020, d'autres chercheurs ont ainsi cloné pour la première fois une espèce menacée endémique des Etats-Unis, le putois à pieds noirs.
Avec ses promesses folles, Colossal a réussi à lever plus de 200 millions de dollars, une somme (colossale, désolé) qui n'aurait probablement pas été investie dans d'autres efforts de conservation, selon Lisette Waits. Mais leurs prouesses techniques soulèvent des questions éthiques, tant sur le bien-être animal que sur les règles à respecter et le bien-fondé de la démarche.
«Mais je m'inquiète un peu plus (...) qu'on perde de vue ce qui est vraiment important, c'est-à-dire s'attaquer aux causes profondes de l'extinction», conclut le chercheur. (mbr/ats)