De riches touristes auraient payé pour tuer des enfants dans des «safaris»
De quoi glacer le sang: en 1993 et 1994, plus de 100 chasseurs étrangers, lassés de tirer sur des cerfs, des chevreuils et des sangliers, auraient déboursé entre 80 000 et 100 000 francs pour tuer des êtres humains. C'est ce qu'indiquent les témoignages et documents rassemblés par Ezio Gavazzeni.
Selon ses recherches, le service de sécurité serbe aurait profité du siège de Sarajevo pour organiser, dans les collines entourant la capitale bosnienne, des chasses à l'homme, littéralement. Les clients payaient même un tarif supplémentaire s'ils abattaient un enfant.
Auteur peu connu en Italie, Ezio Gavazzeni a déjà remis en janvier dernier un dossier de 17 pages au parquet de Milan concernant ces chasses à l’homme. Le procureur milanais Alessandro Gobbis, spécialiste du terrorisme, s’apprête désormais à ouvrir une enquête pour «homicide volontaire aggravé par la cruauté et des motivations abjectes» plus de 30 ans après les crimes supposés.
11 000 civils tués à Sarajevo
D’après le dossier d'Ezio Gavazzeni, au moins cinq citoyens italiens originaires notamment de Milan, Turin et Trieste auraient participé à ces safaris humains. Le procureur Alessandro Gobbis n'a toutefois encore inscrit aucun suspect concret dans le registre de son enquête.
Durant le siège de Sarajevo par le régime criminel serbe de Slobodan Milosevic, entre 1992 et 1996, plus de 11 000 civils ont été tués. Environ 1000 d’entre eux ont péri dans la tristement célèbre «Sniper Alley», un large boulevard de Sarajevo balayé par les tireurs embusqués.
Le principal témoin d'Ezio Gavazzeni est un ancien agent du renseignement bosnien, Edin Subasic. Il affirme avoir informé en 1993 les services secrets militaires italiens, le Sismi, de l’existence de ces «safaris» et de la participation d’Italiens. Les services secrets auraient alors pris deux ou trois mois avant de répondre laconiquement, en 1994:
Des clients riches et influents à Sarajevo
Le dossier comporte également une lettre d'Edin Subasic adressée à Ezio Gavazzeni, dans laquelle il dresse à la fois une description et un profil psychologique des touristes-tireurs:
Il s’agirait de gens riches «et probablement influents». Ils auraient l’argent et les appuis nécessaires pour se protéger d’éventuelles poursuites, poursuit le témoin. Ezio Gavazzeni affirme connaître lui-même certains noms parmi ces tireurs du week-end; l’un d'entre eux serait propriétaire d’une clinique privée. Selon lui, la plupart affichent des opinions de droite ou d’extrême droite.
On savait depuis 1995, au moins
La solidité de ces témoignages et des documents remis au procureur reste à vérifier. Selon Edin Subasic, les archives bosniaques concernées sont classées «secrètes» et ne sont pas accessibles. On ignore également si la lettre attribuée au Sismi, dans laquelle les agents italiens affirment avoir mis fin aux «safaris», a réellement existé.
L’histoire du tourisme de la mort dans les collines de Sarajevo n’est pas nouvelle. En 1995, le Corriere della Sera évoquait déjà ce phénomène en pleine guerre, sous le titre «Vacances en Bosnie, tirs compris».
En 2022, le documentaire «Sarajevo Safari», du réalisateur slovène Miran Zupanic et co-produit notamment par Al Jazeera Balkans, a relancé le sujet. Le film s’appuie sur des témoignages anonymes rapportant la présence, durant la guerre, d’étrangers observés sur les positions bosno-serbes. Dans un entretien accordé au quotidien romain La Repubblica, Ezio Gavazzeni a expliqué que c'est ce documentaire qui a ravivé son intérêt pour cette affaire.
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder
