Dépression, troubles du comportement alimentaire, automutilation, anxiété, pensées suicidaires. Instagram mine la santé mentale des adolescents et ce n'est (tristement) pas nouveau.
Ce qui l'est davantage, c'est que nous savons désormais que Facebook, qui possède Instagram, est complètement conscient de la toxicité du réseau pour les jeunes. Le Wall Street Journal (WSJ) a déterré, mardi dernier, des documents qui le prouvent.
Le quotidien révèle l'existence d'enquêtes internes menées par la firme de Mark Zuckerberg et ses propres chercheurs auprès de jeunes entre 2019 et 2021. On y trouve des chiffres édifiants. En vrac:
Derrière chaque chiffre, deux faces: ceux qui souffrent et ceux qui «s'en sortent» mieux, voire tirent du positif. Sans schématiser, nous avons voulu comprendre pourquoi certains jeunes ont plus de risque de sombrer. Et, surtout, si Instagram était le «fautif» ou la «goutte» qui fait déborder «le vase» d'existences plus fragiles que d'autres.
Avant tout, il est difficile d'aborder les réseaux et l'estime de soi sans parler de la comparaison. Si, en scrollant, les jeunes ne cessent de se comparer aux autres, parfois pour le pire, c'est en fait tout à fait «naturel»: «A l'adolescence, l'idée de la norme est très présente. Le corps change et se comparer, c'est vérifier si celui de l'autre change de la même façon. C'est une façon de se rassurer», développe Marjory Winkler, directrice du site Ciao.ch, dédié aux 11-20 ans.
La comparaison fait donc partie du chemin. Elle est même nécessaire pour des adolescents qui, à travers elle, construisent leur identité et découvrent qui ils sont. Mais elle n'a pas attendu Instagram pour exister. Marjory Winkler est catégorique: on se compare sur Instagram comme on le faisait dans la cour de récréation ou à son entraînement de sport.
Selon les chercheurs de Facebook cités dans le WSJ, la comparaison sociale est pire sur Instagram que sur les autres réseaux à cause de la place centrale du corps, de la beauté et du lifestyle dans les publications. La «tendance à ne partager que les meilleurs moments» et les filtres «embellissants» pèseraient aussi dans la balance de la souffrance.
Les filtres. Marjory Winkler les pointe aussi du doigt: «Le souci, c'est qu'ils faussent cette norme tant recherchée par les ados. Ceux-ci ne peuvent, fatalement, pas correspondre à ce qu'ils voient en ligne».
Pour Niels Weber, psychologue spécialiste de l'hyperconnectivité à Lausanne, une chose est certaine: ce n'est jamais un réseau social qui, seul, dévaste une personne. Il illustre:
L'expert explique que quand les choses se passent mal, c'est que la combinaison de trois facteurs fait des étincelles:
Marjory Winkler rejoint le psychologue. A travers Ciao.ch, elle observe chez ceux qui «sombrent» une fragilité qui avait déjà planté sa graine.
Même si personne n'est à l'abri d'une souffrance psychique liée à Instagram, des groupes de jeunes sont particulièrement vulnérables car exposés à des parcours particuliers. La directrice pense notamment aux ados LGBTQIA+, ceux en situation de handicap, ceux issus de la migration ou qui vivent dans un environnement socio-économique défavorisé.
Pour Emmanuelle Franzetti, psychologue, psychothérapeute FSP et psychanalyste à Martigny, les «carences sociales» peuvent peser sur les jeunes:
La psychologue ajoute que les structures de personnalités de chacun - et la présence ou non de troubles psychiques - peuvent aussi avoir une influence.
Enfin, les études de Facebook ont aussi pointé des inégalités de genre. Instagram rongerait d'avantage la santé mentale des filles que celle des garçons. Et ce n'est vraiment pas une surprise pour Marjory Winkler, qui convoque la «société du patriarcat»: «L'injonction de beauté qui pèse encore sur les filles les rend plus sensibles aux questions liées à l'image de leur corps, même si les garçons vivent aussi des difficultés et rattrapent même gentiment les filles».
Que faire alors, si l'on veut protéger les adolescents et court-circuiter la souffrance avant qu'elle ne s'installe trop profondément? Nos spécialistes s'unissent: l'armure, on la construit par l'apprentissage et l'éducation. A la maison, à l'école, il faut écouter, parler, s'intéresser. Sans jugement. Construire le sens critique. Et surtout, dit Marjory Winkler, ne pas interdire l'accès aux réseaux car ils font partie de la socialisation.
Niels Weber donne parfois des formations sur l'hyperconnectivité aux jeunes. Il raconte: «On va aussi leur faire comprendre que les boîtes comme Facebook font tout pour générer des masses d'argent. On leur dit que les algorithmes personnalisés ne leur montrent qu'une fenêtre de la réalité et qu'ils doivent aller chercher ce qu'il y a derrière.»
Et vous, cherchez-vous ce qu'il y a derrière les photos reluisantes d'Instagram?