Les médecins de l'hôpital d'Al-Nafis, dans le nord de Damas, en charge de s'occuper des détenus libérés de la prison de Saidnaya, «n'avaient jamais vu une telle détresse psychologique». Khaled Badawi, un soldat qui a déserté et a été arrêté il y a deux ans à Alep, est arrivé dimanche 8 décembre. «Suspendu entre le monde des morts et des vivants», il ne se souvient plus de son nom sauf lors de rares moments de lucidité, raconte Le Monde, présent sur place. Son œil est tuméfié, son nez fracturé et une maladie de la peau «lui ronge les jambes». Son frère Tarek est à ses côtés. Il est venu depuis Alep immédiatement après l'avoir reconnu sur une vidéo diffusée sur Facebook.
L'histoire de Khaled Badawi n'est de loin pas la première racontée ces derniers jours. Depuis la chute du régime sanguinaire de Bachar al-Assad et la libération de la prison de Saidnaya, de nouveaux témoignages viennent s'ajouter aux nombreux déjà récoltés au fil des années, attestant de l'horreur qui s'est déroulée derrière ces murs. Pour la première fois, des images du complexe pénitentiaire sont diffusées.
«Les soldats ont commencé à nous frapper dès que nous avons passé la porte de la prison», se souvient Mahmoud, âgé de 17 ans à l'époque où il a été arrêté, en 2014. Il a passé six mois à Saidnaya et est désormais réfugié en France. Pour RTL, il revient sur ce qu'il a vécu:
Ils étaient 31 détenus. Mahmoud est le seul qui a survécu. «J'ai vu mes 30 codétenus mourir sous mes yeux.» Il poursuit son récit et raconte que les gardiens apportaient de la nourriture qu'ils mettaient par terre et écrasaient avec leurs chaussures.
A Harasta, dans la périphérie de Damas, un jeune homme âgé de 25 ans ne se souvient plus de son nom et prénom. Il avait 13 ans quand il a été arrêté puis enfermé à Saidnaya. La Repubblica l'a rencontré dans la famille qui l'a recueilli. Immobile au coin du feu, les yeux écarquillés, il dit avoir été torturé à de nombreuses reprises et pendu par les pieds.
Deux prisonniers libérés dimanche et pris en charge à l'hôpital d'Al-Nafis ont été diagnostiqués avec une tuberculose, relaye Le Monde. Les conditions de détentions sont décrites comme insalubres et la maladie s'est propagée parmi les détenus. «On était traités comme des insectes. Les gardiens n’étaient pas humains, c’étaient des démons», dénonce Aouni Said Khalaf, un ouvrier de 45 ans du camp palestinien de Yarmouk, emprisonné pendant quatre ans après avoir été dénoncé pour terrorisme. Il confirme d'autres récits récoltés notamment par Amnesty International, selon lesquels il était interdit de regarder les gardiens dans les yeux sous peine d'être frappé ou exécuté.
Au lendemain de la chute de Bachar al-Assad, des dizaines de milliers de familles se sont précipitées à la prison de Saidnaya en espérant retrouver un proche. Les gens épluchaient les archives qui jonchaient le sol dans l'espoir de voir un nom connu. En effet, de premières informations soupçonnaient l'existence de sous-sols cachés dans lesquels se trouvaient encore des prisonniers. Mais ce mardi, les Casques blancs, des secouristes syriens, ont annoncé la fin des opérations de recherche. Ils n'ont rien trouvé.
La quête des proches disparus se poursuit dans les mosquées et hôpitaux où ont été transportés, «morts ou vifs», les détenus. 35 corps ont été amenés dans la nuit de mardi à mercredi à l'hôpital d'Al-Nafis. Certains sont décédés depuis longtemps, d'autres récemment. Ils ont été retrouvé dans les sous-sols, laissés sans nourriture ni système de ventilation.
Selon un rapport de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) de 2022, plus de 100 000 personnes auraient perdu la vie dans les prisons syriennes depuis 2011, notamment sous la torture. 30 000 seraient décédées à Saidnaya entre 2011 et 2018, d'après l'Association des détenus et des disparus de la prison de Saidnaya (ADMSP).