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Le massacre de Boutcha serait en réalité un «nettoyage» planifié

Boutcha: les chiffres effrayants du massacre
Les soldats russes auraient eu accès à des «listes» pour «identifier les menaces».Image: keystone

Le massacre de Boutcha serait en réalité un «nettoyage» planifié

Pendant un mois, la ville de Boutcha, dans la banlieue de Kiev, a hurlé de douleur sous l'occupation russe. Mais les violences perpétrées sur la population ukrainienne pourraient avoir été stratégiquement orchestrées en amont.
05.11.2022, 16:2806.11.2022, 10:59
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Fin mars, le monde découvrait avec horreur le massacre de Boutcha, petite ville nichée dans la banlieue de Kiev devenue un charnier à ciel ouvert. En avril, impossible, pour quiconque pénétrait les lieux, d'échapper à l'indescriptible horreur de ce que la population a subi pendant un mois. Dans de nombreux quartiers, le même tragique spectacle. Des corps, portant les traces d'insoutenables tortures, les mains liées derrière le dos, un sac couvrant la tête.

Bien malgré elle, la petite ville de banlieue était devenue le symbole de la brutalité des Russes en Ukraine. Caves, puits, forêts, jardins; les cadavres avaient été collectés tant bien que mal par une population traumatisée, pour aboutir à un sombre bilan:

  • 32 jours d'occupation russe.
  • 458 corps retrouvés, dont 419 ont été abattus, torturés ou battus à mort. Des enfants se trouvaient parmi les victimes.
  • 50 corps non identifiés.
  • ...et certainement plus en raison de restes de corps mutilés et retrouvés dans des sacs et des cendres qui indiquent que les agresseurs ont parfois brûlé leurs victimes.

De tels chiffres sont difficilement assimilables. Pas facile non plus d'imaginer une logique derrière les corps qui s'empilent, pêle-mêle. Pourtant, l'horreur à Boutcha pourrait ne pas être l’œuvre d'une aveugle sauvagerie, frappant au hasard. Au contraire, le saccage pourrait avoir été méthodiquement orchestré. C'est en tout cas ce qu'avance l'Associated press (AP), qui a collaboré avec le média Frontline, dans un documentaire consacré aux crimes de guerre perpétrés en Ukraine, baptisé Putin's attack on Ukraine: documenting war crimes.

«Listes» fournies

Dans ce dernier, on apprend que les enquêteurs et journalistes ont pu mettre la main sur des centaines d'heures de caméras de surveillance, fournies par les autorités ukrainiennes. Les preuves apportées par ces extraits, recoupées avec les nombreux témoignages et le traçage pas-à-pas des étapes de l'occupation - le tout à l'aide d'une carte en 3D de Boutcha modélisée pour l'enquête - confirment ce que de nombreux élus locaux suspectaient:

«Les résultats des preuves criminelles que nous avons recueillies jusqu'à présent révèlent qu'il ne s'agissait pas seulement d'incidents isolés de militaires faisant une erreur, mais d'une politique systématique visant le peuple ukrainien.»
Taras Semkiv, procureur ukrainien

Selon les images vidéo et appels téléphoniques interceptés, les soldats russes utilisaient le mot «zachistka», autrement dit, «nettoyage» pendant leurs opérations à Boutcha. Les Russes ont ainsi méthodiquement filtré les Ukrainiens en fonction de listes préparées en avance par les services secrets, révèle l'Associated press.

Ils auraient donc procédé à une vérification stratégique des citoyens, pour identifier les menaces potentielles, en faisant du porte-à-porte. Ceux qui ne passaient pas le filtrage, y compris les combattants volontaires et les civils soupçonnés de soutenir les troupes ukrainiennes, étaient systématiquement torturés et exécutés.

La plupart des soldats russes ayant pris possession du lieu faisaient partie de la 76e division d'assaut aéroportée de la Garde. A la tête de celle-ci, les commandants Sergei Chubarykin, et Alexander Chaiko, un homme qui a illustré sa brutalité en menant les troupes russes en Syrie.

Alexander Chaiko
Alexander Chaikophoto:AP

Des vies fracassées au 144, rue Yablunska

Taras Semkiv est le procureur ukrainien chargé de faire toute la lumière sur ce qui s'est passé dans un building situé au 144, rue Yablunska, à Boutcha. Ce complexe industriel s'est en effet rapidement mué en une base pour les soldats russes dès le début de l'occupation. Quelques habitants avaient fui dans ses sous-sols, pensant y trouver refuge. Sans savoir que cela deviendrait leur prison. De nombreux cadavres y ont été découverts à ses abords - 40 le long de la rue, et 13 aux alentours directs de ses murs. Des extraits de vidéo-surveillance du building permettent de retracer une partie de sa sombre histoire.

Le reportage s'applique à retracer le parcours des prisonniers ukrainiens menés de force au 144 rue Yablunska, le 4 mars 2022, jour où les soldats auraient commencé leur «nettoyage» stratégique.

A travers un footage vidéo, on aperçoit un groupe de neuf otages, emmenés en chaîne humaine, pieds nus, les mains derrière la tête, dans la rue. Tous seront torturés puis exécutés, à l'exception d'un homme, Ivan Skyba, blessé à l'abdomen. Ce dernier, un chauffeur de taxi engagé comme volontaire auprès des troupes ukrainiennes, échappera au pire en faisant le mort. Il pourra ainsi témoigner de ce qu'il a vécu, permettant aux enquêteurs de corroborer leurs soupçons. Skyba explique que les Russes les ont traités de «Banderivtsi» - sous-entendus qu'ils étaient des nazis. Il a en outre entendu deux soldats discuter du sort des otages. «Que doit-on faire d'eux?», «Tue-les, mais emmène-les avant pour éviter qu'ils traînent par ici.»

Extrait de vidéo surveillance au 144, rue Yablunska. Ceux qui ne passaient pas le filtrage des soldats russes étaient systématiquement exécutés.

Le témoignage d'Ivan👇

Autre parcours retracé, celui de Dmytro Chaplyhin, surnommé Dima, 20 ans, exécuté au 144, rue Yablunska.

Le corps de Dima, retrouvé au 144, rue Yablunska.
Un soldat russe a confessé avoir tué de nombreux civils lors d'un appel téléphonique intercepté avec sa femme.

Ivan, ainsi que des familles de victimes, a porté plainte contre la Russie à la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), nous apprend l'AP. Ces témoignages permettront d'étayer les preuves de l'agression, et peut-être de panser quelques plaies, à défaut de pouvoir jamais les oublier.

(jod)

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source: sda / maxim shipenkov
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