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Les Ukrainiens sont triés dans des «centres de filtration»

Voici ce qui arrive aux Ukrainiens triés dans des «centres de filtration»

Près de trois millions d'Ukrainiens – dont 400 000 enfants – vivant sur la partie occupée de leur pays ont été amenés en Russie. Le Kremlin parle «d'aide humanitaire», l'Ukraine de «déportation». Au cœur du débat: les «centres de filtrage».
07.08.2022, 11:5508.08.2022, 08:44
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Interrogé, torturé, déporté: dans les «centres de filtration», la Russie décide du sort d'une partie de la population ukrainienne. C’est en tout cas ce que montrent des témoignages ainsi que les données des services de renseignements américains. Mais que se passe-t-il réellement dans ces centres dits «de filtration» dans l'est de l'Ukraine et l'ouest de la Russie?

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Qu'est-ce qu'un «centre de filtration»?

L'idée de tels centres est ancienne et remonte à l'époque soviétique. Lorsque des soldats revenaient de captivité, ils devaient vérifier qui était un «traître» et qui ne l'était pas dans ces centres.

Ce même système a-t-il été mis en place en Ukraine?

A peu près, oui. Selon plusieurs médias, la Russie a mis en place plusieurs centres de ce type dans l'est de l'Ukraine. Les personnes venant des territoires occupés y sont contrôlées.

Trois destins différents attendent ces derniers, après le «processus de filtrage», ajoute le New York times:

  1. Les personnes considérées comme non menaçantes reçoivent des papiers et peuvent rester dans les territoires occupés par la Russie. Dans certains cas, elles auraient quand même été déportées de force en Russie.
  2. D'autres individus, considérés comme potentiellement résistants, risquent très certainement une expulsion forcée vers la Russie. Ils seraient alors à nouveau contrôlés.
  3. Les personnes considérées comme menaçantes – soit celles ayant des liens avec l'armée et les services de sécurité – doivent être déportées dans des prisons en Russie et dans l'est de l'Ukraine. On sait toutefois peu de choses sur la procédure exacte.

Le ministère russe de la Défense considère les «centres de filtration» et l'expulsion des Ukrainiens comme une action d'aide humanitaire, poursuit le Times. Selon les autorités russes, 2 795 965 Ukrainiens ont été emmenés en Russie, dont 444 018 enfants.

Que se passe-t-il dans ces «centres de filtration»?

Les personnes sont transportées en bus, puis sont examinées. Selon des témoins, les données de leur téléphone portable sont passées au crible et leurs empreintes digitales sont relevées. Blessures, tatouages et port d'armes: tout est contrôlé. S'en suivent alors des interrogatoires, rapporte la chaîne de télévision allemande ZDF.

«Des jeunes femmes disparaissent. Tout le monde sait ce qui les attend là-bas»
Volodymyr Zelensky

Plusieurs détenus décrivent le processus dans les centres comme «invasif et humiliant», ajoute Die Welt. De nombreux témoins parlent de coups et de torture. Le New York times, quant à lui, rapporte que plusieurs habitants de Marioupol sont morts dans ces centres. Le journal ne donne néanmoins pas de chiffre précis.

Combien de centres y a-t-il?

Jusqu'à présent, 18 sites potentiels ont été identifiés. Selon une estimation des services de renseignement américains, il est presque certain qu'il existe d'autres installations qui n'ont pas encore été découvertes.

Le maire en exil de la ville portuaire de Marioupol, Vadym Bojtschenko, rapporte qu'il y a au moins quatre «centres de filtration» rien qu'à proximité de la ville, dans lesquels plus de 2000 personnes sont hébergées.

Satellitenbild vom Dorf Benzimenne soll russisches Camp zeigen. (Maxa Technologies vom 22.März 2022)
Le «centre de filtration» à Besimenne (22 mars 2022).image: Maxar Technology

Un journal russe fait état d'un tel centre à Besimenne, un village de l'est de l'Ukraine. L'établissement aurait pour but «d'empêcher les nationalistes ukrainiens de pénétrer en Russie en se faisant passer pour des personnes en quête de protection».

Que disent les témoins?

Le New York times a pu interviewer quelques personnes qui ont été contrôlées dans de tels centres. Après leur séjour dans les camps, toutes ont reçu des documents indiquant que leurs empreintes digitales avaient été vérifiées. Ils ont ensuite traversé la frontière pour se rendre dans la gare de la ville russe de Taganrog, d'où ils ont été transportés en train vers différents endroits de Russie. Certains ont voyagé pendant neuf jours, selon le rapport.

La télévision russe a présenté l'action comme une «aide humanitaire». Les Russes ont promis d'offrir aux réfugiés un bon foyer avec tout ce dont ils avaient besoin. Les personnes interviewées ont déclaré au New York times qu'elles avaient certes reçu de la nourriture, un lit et un toit, mais qu'elles n'étaient pas libres.

Voici leurs témoignages:

Ludmilla

Ludmilla a été emmenée en Russie avec sa fille de cinq ans. De là, elles ont fui vers l'Estonie et vivent maintenant sur un ferry.
Ludmilla a été emmenée en Russie avec sa fille de cinq ans. De là, elles ont fui vers l'Estonie et vivent maintenant sur un ferry.capture d'écran: Video New york times

L'histoire de Ludmilla commence dans une cave de Marioupol où elle se cache avec sa fille et d’autres personnes. Des soldats russes les trouvent et leur ordonnent de les suivre. La fille de Ludmilla est très sale et a faim après un mois passé dans la cave. Un soldat russe lui donne du pain. Ludmilla le remercie, mais ne sait pas vraiment ce qu’elle doit en penser.

«Doit-elle le remercier d'avoir détruit sa maison? Sa vie?»

Ludmilla et sa fille sont emmenées dans un «centre de filtration» à l'extérieur de Marioupol. Elles sont forcées de se rendre en Russie. Après 20 jours dans un lieu inconnu, Ludmilla achète un billet pour elle et sa fille à destination de Saint-Pétersbourg. De là, elle se rend à la frontière estonienne.

Edward

Edward aurait subi une grave blessure lors de la destruction de son appartement.
Edward aurait subi une grave blessure lors de la destruction de son appartement.image: capture d'écran video new york times

Edward est blessé lorsque des soldats russes le trouvent. Ils pensent faire face à un combattant en raison de sa blessure. Il raconte comment trois grands soldats pointent des armes sur lui. Edward ne peut plus bouger et les supplie de ne pas tirer. Une voisine vient à son secours et crie:

«Il est blessé! Ce n'est pas un soldat»

Valeria

bild: screenshot video new york times
Valeria a fait le plus long voyage. Elle a voyagé pendant neuf jours et a été emmenée à Khabarovsk, une ville proche de la frontière avec la Chine.image: capture d'écran video new york times

Après son arrivée en Russie, Valeria est «fortement encouragée» à demander la citoyenneté russe. Pour cela, la jeune femme devrait rendre son passeport ukrainien. Elle découvre également que cela signifierait qu'elle ne pourrait pas quitter la ville où elle est hébergée pendant trois ans. Elle refuse car tout ce qu’elle veut, c’est retourner en Ukraine.

Comment réagit le monde politique?

Au vu de la situation dramatique, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré: «des dizaines de milliers de personnes sont retenues dans ces centres.»

Dans l'une de ses allocutions vidéo, Zelensky a dénoncé: «Le nom correct pour cela est différent – ce sont des camps de concentration. Comme ceux que les nazis ont construits».

Le secrétaire d'Etat américain Antony J. Blinken a demandé à la Russie de fermer ces centres: «Le transfert et la déportation illégale de personnes protégées constituent une grave violation de la quatrième convention de Genève sur la protection des civils et constituent un crime de guerre», a-t-il déclaré, cité par le New York times.

Traduit de l'allemand par Charlotte Donzallaz.

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