L'humanité a connu des jours meilleurs: le nombre de personnes fuyant actuellement la guerre et les persécutions est au plus haut. A la fin de l'année dernière, elles étaient plus de 108 millions, soit 19 millions de plus qu'un an auparavant. Selon les estimations du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), ce chiffre pourrait même dépasser les 110 millions.
Le déplacement de populations et l'exil ne représentent qu'une partie de la détresse humanitaire dans le monde. Au total, on estime que cette détresse concerne environ 340 millions d'individus, soit davantage que la population des États-Unis, troisième pays le plus peuplé.
Les raisons des crises humanitaires sont multiples: il s'agit le plus souvent de conflits armés – en particulier de guerres civiles – qui forcent les gens à fuir et qui provoquent des famines. Mais les catastrophes naturelles et les épidémies peuvent également mettre en péril les ressources d'une région, voire d'un pays entier.
Il n'existe pas qu'une conception de ce qu'est une crise humanitaire. Elle renvoie en règle générale à une situation dans laquelle la santé et la sécurité d'une grande partie de la population d'un pays sont menacées, par exemple par manque d'accès à l'eau potable, à la nourriture, au logement, aux soins médicaux et à l'éducation.
A l'exception de l'Ukraine, où l'urgence actuelle découle de la guerre d'agression russe qui a éclaté en février 2022, les pires crises humanitaires que l'on connaît existent depuis plusieurs années déjà. Mais elles n'ont fait s'aggraver ces derniers temps, comme le montre le classement ou «Emergency Watchlist» de l'ONG International Rescue Committee (IRC):
Le conflit armé en Ukraine a commencé dès 2014, lorsque la Russie a annexé la Crimée et que des séparatistes ont proclamé des républiques populaires dans l'est du pays avec le soutien de la Russie, en violation du droit international. Ce n'est qu'avec l'invasion des troupes russes en février 2022 que ce conflit latent a dégénéré en une guerre dévastatrice qui a causé d'énormes pertes. Les attaques russes prennent aussi systématiquement pour cibles des infrastructures civiles; à cela s'ajoute la dévastation de régions entières par des mines terrestres et des bombes qui n'ont pas explosé.
La guerre d'agression russe a déclenché le mouvement de population le plus important et le plus rapide depuis des années. Plus de 6,5 millions d'habitants ont été déplacés à l'intérieur du pays; 7,8 millions ont fui à l'étranger. La plupart d'entre eux se trouvent en Pologne, qui accueille environ 60% de tous les exilés ukrainiens.
Les roquettes et les obus russes ont fait de nombreuses victimes, non seulement dans la zone de front, mais aussi dans toute l'Ukraine. De plus, d'innombrables habitations ainsi que des infrastructures sanitaires et d'approvisionnement en énergie ont été endommagées. De nombreux foyers sont privés d'eau, de chauffage et d'électricité, ou n'y ont accès que de manière limitée. Les logements n'offrent par ailleurs souvent pas une protection suffisante contre les basses températures de l'hiver ukrainien, très rude. Selon les estimations du HCR, 17,6 millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire en Ukraine cette année.
Haïti est l'état le plus pauvre de l'hémisphère Nord. Le pays, qui s'est libéré de la domination coloniale française dès 1804, se caractérise par une instabilité politique persistante que même les interventions militaires des États-Unis ou de l'ONU n'ont pas réussi à enrayer. Haïti se trouve en outre dans une zone sismique et a été frappé à plusieurs reprises par de graves tremblements de terre. Le plus violent s'est produit en 2010 et a probablement fait plus de 300'000 morts.
La situation sécuritaire dans l'État insulaire est désolante. Le crime organisé a pris le dessus ces dernières années, surtout après l'assassinat du président Jovenel Moïse en 2021. Des gangs contrôlent des quartiers entiers de la capitale Port-au-Prince; leurs fusillades laissent de nombreux civils sans vie. A cela s'ajoutent des assassinats ciblés, des enlèvements contre rançon, des extorsions de fonds et les pires formes de violence sexuelle, y compris envers les enfants.
Par ailleurs, l'inflation galopante empêche de nombreux ménages d'acheter suffisamment de nourriture. Un tiers de la population haïtienne est touchée par la faim. Le choléra, introduit par les forces de maintien de la paix de l'ONU, soumet à rude épreuve un système de santé déjà en mauvais état. De nombreuses personnes tentent de fuir. Des milliers de déplacés internes se sont réfugiés dans la capitale, où ils n'ont cependant trouvé que des conditions de vie inhumaines. On constate également une forte migration vers la République dominicaine voisine, qui renvoie toutefois chaque jour jusqu'à 1000 Haïtiens sans statut de séjour légal.
Cet État sahélien d'Afrique de l'Ouest, l'un des pays les plus pauvres et les moins développés du monde, est dirigé depuis un coup d'État en septembre 2022 par un gouvernement militaire de transition favorable à la Russie. Jusqu'à 40% du pays, principalement au nord, sont toutefois sous le contrôle des djihadistes du groupe État islamique et d'Al-Qaida. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus de deux millions de personnes des régions nord et est ont été déplacées en interne. Les états voisins sont également de plus en plus touchés par l'exode.
La situation sécuritaire précaire se répercute également sur l'approvisionnement en nourriture, qui a encore été fragilisé par la pandémie de Covid. Selon les données de l'ONU, environ 3,5 millions de personnes étaient touchées par l'insécurité alimentaire au début de l'année, et un enfant en bas âge sur cinq souffre de malnutrition chronique. 4,7 des quelque 20 millions d'habitants ont besoin d'une aide humanitaire, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA).
Avec ou sans crise, plus de 40% de la population – relativement jeune et à fort taux de croissance – sont de toute façon considérés comme pauvres. Comme la grande majorité des habitants vit de l'agriculture, ils sont particulièrement touchés par le changement climatique. Si les années 70 et 80 ont été marquées par des sécheresses extrêmes à répétition dans la région du Sahel, les inondations à grande échelle sont de plus en plus fréquentes ces derniers temps.
Le Soudan du Sud, plus jeune État du monde depuis son indépendance du Soudan en 2011, est une structure étatique fragile. Elle occupe la dernière place sur 191 pays évalués dans l'indice de développement humain de l'ONU (IDH). La situation actuelle résulte essentiellement d'une guerre civile qui a fait rage de 2013 à 2018, provoquant l'une des plus grandes crises de réfugiés en Afrique. Depuis la formation d'un gouvernement de transition en 2020, la situation politique s'est quelque peu apaisée, mais on estime qu'il y a toujours 1,6 million de personnes déplacées à l'intérieur du pays et 2,3 millions d'individus ayant fui hors des frontières (situation en 2021).
La guerre a laissé de profondes séquelles: selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), 9,4 millions de personnes – dont 2,2 millions de femmes et 4,9 millions d'enfants – ont besoin d'assistance humanitaire et de protection cette année. Cela correspond à environ trois quarts de la population du pays. Selon le même organe, 8 millions de personnes font en outre face à une grave insécurité alimentaire pendant la saison creuse, d'avril à juillet. On craint ainsi qu'environ 1,4 million d'enfants soient menacés de malnutrition mortelle.
Depuis l'indépendance, l'agriculture du Sud-Soudan a connu plusieurs épisodes de sécheresses et d'inondations. Cela a entraîné de nombreux décès et la perte de bétail, privant ainsi la population d'importants moyens de subsistance. Les perspectives ne sont par ailleurs guère réjouissantes, le Sud-Soudan faisant partie des cinq pays actuellement les plus touchés par le changement climatique.
La guerre civile en Syrie a éclaté en 2011, lors de la formation d'un mouvement de protestation contre le régime d'al-Assad. Depuis, on estime que plus d'un demi-million de personnes ont perdu la vie et que plus de la moitié de la population a été déplacée. Les déplacés internes atteindraient 6,8 millions, soit un tiers de la population. Un peu plus de 5 millions de personnes vivent, elles, dans des pays limitrophes.
La crise qui dure depuis douze ans fait qu'actuellement 15,3 millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire dans le pays. Le HCR estime qu'environ 90% des Syriens vivent sous le seuil de pauvreté et que 12 millions se trouvent en situation d'insécurité alimentaire – dont 2,5 millions dans un état critique. La situation a encore été aggravée par les deux tremblements de terre qui ont secoué le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie en février dernier. Alep, Hama, Idleb, Lattaquié et Tartous figurent parmi les zones les plus affectées.
Depuis des années, des groupes armés et des forces gouvernementales s'affrontent au Yémen, les rebelles étant soutenus par l'Iran et les forces gouvernementales par une coalition dirigée par l'Arabie saoudite. Cette coalition est intervenue militairement en 2015 et a imposé un blocus maritime en 2017. Le conflit acharné a poussé plus de 4,5 millions de personnes à quitter leurs foyers. Rien que l'année dernière, on a recensé 234 000 nouveaux déplacements.
L'État yéménite connaît de grands dysfonctionnements. Seule la moitié des établissements de santé est opérationnelle; environ un tiers des écoles sont fermées, privant d'éducation environ 2 millions d'enfants. Près de neuf habitants sur dix n'ont pas accès au réseau électrique.
Actuellement, 80% de la population vit dans une extrême pauvreté et plus de 21 millions de personnes ont un besoin urgent d'aide humanitaire. Le pays se trouve de plus au bord de la famine. L'insécurité alimentaire touche 17 millions de personnes, dont 3,2 millions gravement. Plus de 2 millions d'enfants souffrent de malnutrition aiguë.
La République démocratique du Congo (RDC) reste l'un des pays les plus pauvres malgré ses précieuses ressources naturelles. Déjà pendant le règne du roi belge Léopold II, puis en tant que colonie, cet immense pays au cœur de l'Afrique a connu une exploitation massive et des atrocités excessives. Indépendant depuis 1960, le Congo a longtemps été dominé par Joseph-Désiré Mobutu, l'un des dictateurs les plus corrompus du continent. Il s'en est suivi une série de guerres civiles et des millions de victimes.
Même après la fin de la dernière guerre civile en 2008, le pays n'a pas retrouvé le calme. Des combats brutaux éclatent régulièrement, notamment dans l'est de cet état multiethnique, où d'autres états soutiennent les parties en conflit. Au total, environ 130 groupes armés s'affrontent pour le contrôle de régions riches en matières premières. Les épidémies récurrentes comme Ebola, le Covid et le choléra ont encore détérioré la situation sécuritaire et surchargé le fragile système de santé.
Actuellement, plus de 5 millions de personnes sont en exode. Dans les camps de réfugiés improvisés, les conditions sont terribles – les gens s'endettent ou se prostituent pour obtenir de la nourriture. Près des trois quarts des 97 millions de Congolais vivent en dessous du seuil de pauvreté, un tiers de la population est menacé par une grave pénurie alimentaire. Plus de six millions de personnes souffrent quotidiennement de la faim, la plupart d'entre elles étant des enfants de moins de cinq ans.
L'invasion de l'Afghanistan par l'Union soviétique en 1979 a marqué le début d'une succession d'événements qui ont mené le pays à sa perte. Après le départ des troupes soviétiques, les talibans islamistes radicaux ont finalement pris le contrôle. Ils ont ensuite été chassés en 2001 par une coalition dirigée par les États-Unis avant de reprendre le pouvoir 20 ans plus tard, après le départ des troupes de l'OTAN. Les talibans ont immédiatement mené une politique répressive, notamment à l'égard des femmes, dont ils ont fortement limité les possibilités de travailler. Ils ont aussi interdit aux filles d'aller à l'école secondaire.
L'aide internationale a drastiquement diminué après l'arrivée au pouvoir des talibans, puisqu'ils ont banni les femmes des organisations humanitaires. La peur envers les nouveaux dirigeants a par ailleurs renforcé les mouvements d'exode. Rien qu'en 2021, environ 700'000 personnes ont quitté leur domicile. La quantité de personnes déplacées à l'intérieur du pays a ainsi atteint 5,5 millions. 8,2 millions d'Afghans ont fui à l'étranger.
Le prix des denrées alimentaires, des engrais et du carburant a plus que doublé en un an et demi. Parallèlement, de nombreuses femmes ont perdu leur emploi. L'agriculture souffre en outre des répercussions du changement climatique, notamment du manque de précipitations. De quoi précipiter la catastrophe humanitaire: 97% des personnes doivent vivre avec moins de 2,15 dollars par jour; la moitié des quelque 42 millions d'habitants souffrent de faim aiguë; plus de 3 millions d'enfants sont mal nourris. 28 millions de personnes, dont 15 millions d'enfants, dépendent de l'aide humanitaire. Les conséquences sont désastreuses: le travail des enfants a augmenté de manière dramatique, certains paysans dans le besoin vendent leur progéniture, le trafic d'organes s'est intensifié.
L'Éthiopie, état pluriethnique, était autrefois considérée à bien des égards comme un exemple prometteur en Afrique de l'Est. Le chef du gouvernement Abiy Ahmed Ali a reçu en 2019 le prix Nobel de la paix pour sa réconciliation avec l'Érythrée. Mais en 2020, une guerre civile a éclaté dans la province du Tigré, au nord du pays. Le Front de libération du peuple du Tigré s'est battu contre les troupes gouvernementales, impliquant également des troupes érythréennes et des milices d'autres régions éthiopiennes. La guerre, qui s'est étendue, a fait plus d'un demi-million de morts et a contraint deux millions de personnes à l'exode.
Certes, le gouvernement éthiopien et les milices de la région sécessionniste du Tigré ont signé un accord de cessez-le-feu en novembre. Mais des millions de personnes continuent de fuir et, dans les régions du Tigré, de l'Afar et de l'Amhara, 9 millions de personnes n'ont pas accès à une nourriture adéquate, selon le HCR. Dans la province du Tigré, 40% de la population est même touchée par un manque extrême. Au total, 28,6 millions de personnes restent dépendantes de l'aide humanitaire en Éthiopie.
La situation s'aggrave à nouveau actuellement, car un nouveau conflit a éclaté dans la région d'Amhara, au nord-ouest du pays. La région centrale d'Oromia est elle aussi régulièrement le théâtre de combats et de déplacements massifs de population. Les conséquences sur l'agriculture sont importantes. Outre le risque aigu de famine, les habitants sont également menacés par les maladies: plus d'un million de personnes ont contracté le paludisme et une épidémie de choléra a également éclaté. Et ce n'est pas tout: une sixième sécheresse consécutive menace.
Presque rien ne fonctionne dans cet état de la Corne de l'Afrique. Violence, pauvreté, mauvais soins de santé, pénurie alimentaire déstabilisent simultanément le pays et font subir à la population l'une des pires catastrophes humanitaires de la planète. Et la situation devrait encore se dégrader dans un avenir proche.
La violence due à l'instabilité politique reste endémique : les attaques terroristes, notamment celles du groupe islamiste Al-Shabaab, sont le lot quotidien de la population civile. 70% des habitants vivent dans une pauvreté accablante, 60% n'ont pas accès aux soins médicaux. Moins de 30% des enfants en âge scolaire vont à l'école primaire, la moitié de la population est analphabète. Plus d'un million de personnes vivent dans des conditions d'eau, d'assainissement et d'hygiène qui mettent leur vie en danger. L'espérance de vie est de 58 ans, l'une des plus faibles au monde.
Actuellement, la Somalie connaît la plus grave sécheresse depuis des décennies. Dès le début de l'été dernier, plus de 7 millions de personnes – soit près de la moitié de la population – ont été touchées par une crise alimentaire. Environ 1,5 million d'enfants souffraient de malnutrition et un demi-million de personnes ont dû quitter leurs foyers en raison de la sécheresse. La pénurie alimentaire devrait encore empirer cette année si la sécheresse se poursuit. Les pertes de récoltes, accrues par les conséquences du changement climatique, sont d'autant plus importantes que les importations sont interrompues en raison de la guerre en Ukraine – plus de 90% du blé proviennent normalement de Russie et d'Ukraine. Le nombre de personnes touchées par l'insécurité alimentaire pourrait culminer à 8,3 millions. 730 000 d'entre elles souffriront alors de la faim.
Traduit et adapté par Valentine Zenker