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J'ai rencontré ces Ukrainiens qui espèrent la victoire russe

Assiégé par les Russes, j'ai dû fuir mon refuge ukrainien

Dans le Donbass, alors que la guerre gagne du terrain en Ukraine, notre reporter de guerre a été contraint de chercher un nouveau refuge. Il s'y croyait pourtant en sécurité.
30.07.2025, 05:3330.07.2025, 08:51
Kurt Pelda
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Au départ, cela n'a pas été un coup de foudre pour moi. Kostiantynivka, dans l’est de l’Ukraine, n’avait rien d’une ville charmante. Une de mes connaissances la décrivait comme un «grand village sans centre». Elle n’avait pas tout à fait tort. Le seul repère visible de loin était une haute cheminée dans le quartier industriel.

Et pourtant, au fil des trois dernières années passées en Ukraine, cette ville sans visage m’est devenue chère. Aujourd’hui, Kostiantynivka, qui comptait peut-être 100 000 habitants à son apogée, est encerclée par les Russes sur trois côtés. Seuls quelques milliers de civils y vivent encore.

Kostiantinivka après une attaque de missiles russes.
Kostiantinivka après une attaque de missiles russes.

La province de Donetsk est assiégée

Outre Kostiantynivka, le nœud ferroviaire de Pokrovsk, à près de 50 kilomètres au sud-ouest, constitue l’un des objectifs principaux de l’offensive d’été russe. Les troupes de Poutine ont percé un profond couloir entre les deux villes, dans le but d’encercler et de couper les forces ukrainiennes. Même si l’encerclement n’est pas encore total, la situation est critique pour les défenseurs.

Pourquoi avoir choisi précisément Kostiantynivka comme pied-à-terre? C’est à cause des combats qui y font rage depuis le début de l’invasion russe. Les lignes de front les plus importantes se trouvent dans la région, car Vladimir Poutine veut à tout prix conquérir l’ensemble de l’oblast de Donetsk, dont font partie Kostiantynivka, Pokrovsk et la voisine Kramatorsk.

Pour couvrir les offensives russes, il me fallait un refuge proche de la ligne de front, un endroit relativement sûr. Kostiantynivka remplissait ces critères. J’ai trouvé un logement meublé dans un immeuble soviétique ordinaire, avec électricité, eau courante et une bonne connexion Internet.

Tout a explosé autour de mon café fétiche

Dans mes reportages, j’évitais de mentionner des détails sur la vie locale, notamment les lieux fréquentés comme mon café préféré, prisé aussi bien par les soldats que les civils. Le citer aurait attiré l’attention sur cet établissement autrefois animé, mettant en danger ses clients, et surtout les jeunes employés.

Kostiantinivka après une attaque de missiles russes.
Des policiers ukrainiens dans une boulangerie à Kostiantinivka.Image: Raimond Lüppken

Dans les zones proches du front, il suffit d’un rien pour qu’un obus frappe un hôtel, un restaurant ou un supermarché. Cela s’est produit il y a deux ans à la pizzeria Ria, très populaire à Kramatorsk. Ce restaurant élégant attirait de nombreux soldats, mais aussi des journalistes et des employés d’ONG. Un jour, alors que je dégustais un bortsch accompagné de pain noir et de lard, mon traducteur et moi avions conclu qu’il ne s’agissait que d’une question de temps avant que les Russes ne le ciblent.

Ce que nous ignorions alors, c’est qu’un collaborateur du nom de Volodymyr Synelnyk espionnait la pizzeria pour les Russes. Il avait signalé à son officier traitant de l’autre côté du front que des véhicules aux plaques militaires ukrainiennes se garaient souvent à proximité. Il avait même envoyé deux vidéos comme preuve.

Conséquence, les forces russes ont tiré deux missiles balistiques Iskander – chacun muni d’une ogive de 700 kilos – sur le restaurant. Treize personnes, dont sept employés, ont péri. Plus de soixante ont été blessées. Synelnyk a ensuite été arrêté et condamné à la prison à vie pour haute trahison.

Par miracle, «mon» petit café de Kostiantynivka avait été épargné. Mais les Russes ont frappé un supermarché et la gare à coups de missiles, faisant 14 morts. C’était là que je faisais souvent mes courses pour cuisiner chez moi plutôt que d’aller au restaurant. Non loin de là, Agassi, un Arménien, tenait avec sa femme un stand de chachlik devant un bâtiment bombardé orné d’une étoile soviétique et d’une fresque murale.

La ville a changé de visage

Agassi faisait griller la viande provenant de sa propre ferme porcine. Un jour, il m’y avait emmené et m’avait montré les dégâts causés par une roquette russe dans son entrepôt. Sa ferme était encore plus proche du front que son stand en ville. Et ce qui devait arriver arriva. Alors qu’il s’y rendait avec sa fourgonnette blanche, un obus a explosé à proximité. Des éclats ont grièvement blessé sa jambe. A l’hôpital, on a dû l’amputer du pied. Depuis, le stand près du pont de la gare est désert.

Kostiantinivka après une attaque de missiles russes.
Agassi avant et après l'amputation.Image: Raimond Lüppken

A mesure que la ligne de front se rapproche, ce pont et ses environs deviennent des cibles régulières pour les drones russes. Dans une vidéo filmée par une de ces machines, on voit un blindé ukrainien approcher de la gare, juste devant l’ancien stand d’Agassi. Le conducteur semble ne pas connaître les lieux, et ignore visiblement que ce quartier est extrêmement dangereux. Le blindé s’arrête à côté du bâtiment juché d'une étoile soviétique, la trappe arrière s’ouvre, les soldats descendent… et le drone s’engouffre dans le véhicule pour y semer la mort.

Cette vidéo m’a glacé d’autant plus que le blindé était équipé de tout un arsenal de brouilleurs anti-drones, tout comme ma propre voiture civile. Mais face à des drones commandés par fibre optique, ces dispositifs sont inefficaces. Lors de ce qui fut sans doute ma dernière visite à Kostiantynivka, je me suis donc cantonné au quartier le moins exposé, là où se trouvait mon ancien logement.

Déjà l’an passé, Karina, la propriétaire de l’appartement, avait fait remplacer les vitres par de solides panneaux en aggloméré, pour éviter que les ondes de choc ne brisent les fenêtres et ne blessent les occupants avec des éclats de verre. Ce gain de sécurité avait cependant un prix: l’obscurité totale à l’intérieur.

Kostiantinivka après une attaque de missiles russes.
Le bâtiment bombardé avec la peinture murale et le stand de barbecue abandonné d'Agassi sur la gauche.Image: Raimond Lüppken

Certains refusent encore de partir

Pourquoi certains civils restent-ils dans cet enfer, malgré les efforts des autorités pour évacuer? Rien que dans l’oblast de Donetsk, plus de 1,2 million de civils ont été évacués depuis le début de la guerre. Presque chaque jour, je recevais un SMS officiel m’appelant à fuir. Mais certains hommes en âge de combattre craignent d’être arrêtés puis enrôlés de force à un checkpoint en quittant la ville.

D’autres attendent la victoire russe. C’est le cas d’Artem (nom modifié), originaire d’un village du sud de l’Ukraine occupé depuis longtemps. Il ne peut plus rendre visite à ses parents restés sur place.

Près de chez lui, une carrière offre de bons salaires. Artem veut absolument y retourner. Mais pour cela, Kostiantynivka doit d’abord tomber aux mains des Russes. Il a déjà convaincu sa femme, sa belle-mère et d’autres proches d’attendre l’arrivée de l’envahisseur. Que les bombardements constants et les combats urbains finissent peut-être par coûter la vie à ses proches, il l’accepte. Pour lui, c’est le prix du retour au pays.

Traduit de l'allemand par Joel Espi

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