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Tchernobyl vit avec le traumatisme de l'occupation russe

Tchernobyl traumatisé par l'occupation russe
Les soldats russes ont laissé des traces dans la zone d'exclusion de Tchernobyl.

«Ils sont stupides»: des Ukrainiens nous racontent l'occupation russe

La zone d'exclusion autour de la mythique centrale nucléaire ukrainienne a été occupée durant cinq semaines par les soldats russes. Un épisode qui continue de hanter les lieux.
13.12.2025, 07:0013.12.2025, 07:00
joel espi / tchernobyl

C'est mon deuxième jour dans la Zone d'exclusion de Tchernobyl. Le mois de septembre s'est rafraîchi, le chauffage n'est pas encore branché, alors, par «souci professionnel», avec mon guide Anton, nous avons acheté une bouteille de whisky la veille pour nous réchauffer. Il nous a fallu faire quelques clins d'œil à la vendeuse, qui a normalement l'interdiction de vendre de l'alcool avant 19h.

Ce matin-là, Anton et moi sommes moins causants, et toujours gelés au moment de prendre la direction de Tchernobyl. La ville est encore habitée, officiellement par quelques centaines de personnes. Même si la zone a été décontaminée, les femmes en âge de procréer et les enfants y sont interdits.

Au centre-ville, près de l'administration communale et de notre hôtel, se trouvent deux anciennes gares routières. La première accueille le magasin où nous avons discrètement acheté notre alcool en plein après-midi. L'autre est devenue un grand cimetière pour les véhicules détruits par l'armée russe.

C'est Maksym Roslavets qui gère ce parking morbide. Trousseau de clés à la main et badge autour du cou, il reste dans un premier temps silencieux et laisse Anton, 20 ans d'expérience dans la Zone, me montrer les lieux.

Nous nous trouvons à moins de trois heures de route de Kiev, à quelques kilomètres de la frontière biélorusse. C'est à Tchernobyl que l'invasion russe a été lancée, le fameux 24 février 2022, et que les chars russes ont débarqué en direction de la capitale.

Une partie des voitures saccagées à Tchernobyl

Vidéo: watson

Par empressement ou par jeu, les soldats ont défoncé quantité de voitures sur leur passage. La zone avait été évacuée d'urgence quelques heures auparavant. Anton m'explique:

«Ils ont littéralement roulé sur les voitures avec leurs chars»

Il y a des bus criblés d'impacts de balles, des véhicules écrasés ou brûlés. Certains sont tagués par les soldats russes.

«Parfois, c'est un Z, parfois un V ou un autre signe»
Anton

Chef du développement scientifique de la ville, Maksym Roslavets a vu le résultat de l'occupation russe, qui a duré 5 semaines. Pour les soldats ennemis, la règle était de détruire les véhicules qui ne pouvaient pas rouler et de s'emparer des autres. Il raconte:

«Certains étaient équipés de GPS, c'est comme ça que l'on sait qu'ils ont été conduits jusqu'en Biélorussie.»

Au total, une centaine de véhicules de tout type auraient été perdus ou détruits.

«Caca dans des seaux»

Maksym Roslavets a quelque chose à nous montrer. Dans son bureau du bâtiment communal, il a conservé une trace de l'occupation. Sur les quelques centaines de mètres qui séparent le cimetière de voitures du bâtiment communal, cet habitant de Tchernihiv résume son retour, le 9 avril 2022:

«C'était l'apocalypse»
FILE - A radiation sign is seen near a broken Russian vehicle with a V letter, a sign of the Russian army, close to the Chernobyl nuclear power plant in Chernobyl, Ukraine, April 16, 2022. (AP Photo/E ...
Le 16 avril 2022, un véhicule découvert près de la centrale nucléaire.Keystone

L'occupation a duré jusqu'à la fin mars. L'employé de la Zone a envoyé sa femme et ses enfants à l'étranger, avant de retourner travailler. Dans la rue, il pointe les petits bâtiments du centre-ville:

«Ils ont ouvert chaque porte qu'ils ont trouvée, et bien sûr, ils ont volé absolument toutes les bouteilles d'alcool»

A leur retour, habitants et fonctionnaires ont découvert avec dégoût des toilettes improvisées dans les appartements occupés. Maksym Roslavets raconte:

«Ils avaient installé des fauteuils avec un trou au milieu, et déféquaient dans des seaux»

Maksym Roslavets et mon guide ne s'expliquent pas cette logique. Beaucoup de choses leur paraissent insensées.

On vous parlait de Tchernobyl ici 👇🏼

Nous arrivons dans le bâtiment communal. L'occasion de se réchauffer un peu et de prendre un café avec quelques biscuits.

Dans la grande salle de réunion du rez-de-chaussée, Maksym Roslavets raconte qu'à leur arrivée dans le bâtiment communal, les soldats russes ont coupé l'électricité et arraché les câbles des ordinateurs.

Il part alors chercher l'objet qu'il a conservé dans son bureau. Il voulait que les personnes à qui il racontait cela le croient. Dans sa main, une bouilloire électrique dont le bas est fondu. Il explique:

«Des soldats ont pris cette bouilloire électrique et l'ont mise sur la cuisinière»

«Ils sont stupides», résument mes hôtes. Avant que nous partions explorer encore les environs, Maksym Roslavets tient à me montrer un mur du souvenir.

Tchernobyl traumatisé par l'occupation russe
Pour qu'on les croie, les employés de la Zone ont conservé la bouilloire qui a été mise sur la cuisinière.

A côté de son bureau, au premier, sont affichées les photos des victimes de la guerre qui vivaient ou travaillaient dans la région. On y voit des civils, des soldats, des personnes de tous âge.

Les tranchées sont dangereuses

Afin de rejoindre le site de Duga, nous nous éloignons de la ville et du site de la centrale nucléaire. D'un côté de la route se trouvent les «tranchées», dans lesquelles ont été enterrés les terres et les arbres les plus contaminés dans la Zone.

C'est de l'autre côté de la route que, durant les semaines d'occupation, les Russes ont créé leurs propres tranchées pour se protéger des contre-attaques ukrainiennes.

Les soldats ont choisi cette forêt pour y creuser leurs tranchées en dépit des risques importants. Car son sol compte parmi les lieux plus contaminés de la zone d'exclusion, et donc du monde... Yevhen Kramarenko, le responsable de l'agence qui gère la zone d'exclusion de Tchernobyl, disait en 2022:

«Ils pourraient remuer la couche de terre supérieure, rendant ainsi les risques d'exposition bien plus élevés»
Tchernobyl traumatisé par l'occupation russe
Le sol des tranchées de la forêt rousses est très contaminé. joel espi

Certains avancent que des soldats russes ont été gravement contaminés, et que ce sont les risques liés au site qui ont finalement poussé l'armée russe à reculer.

Anton, mon guide, me glisse qu'il ne croit pas à cette version. Selon lui, il est difficilement envisageable qu'une invasion ait eu lieu sans que les soldats n'aient été préparés à éviter, ou du moins contrôler les niveaux importants de radiation.

Désormais, la Zone reste toute l'année sous tension. Il suffit de le voir au bord de la route. On trouve quantité de bunkers et de postes militaires, ansi que des chicanes pour ralentir les véhicules lourds.

Les soldats ukrainiens occupent également le cercle hautement contaminé de 10 kilomètres qui entoure la centrale nucléaire, et la ville de Pripyat.

Un bus canardé pour le plaisir

Nous roulons à travers la forêt, puis une route cahoteuse nous mène à l'antenne de Duga - dont je parlerai au prochain épisode. A l'entrée du site, on trouve une relique de l'époque où 100 000 touristes visitaient la zone chaque année: un bus de la société Chornobyl Tour (réd: un nom inspiré de la prononciation ukrainienne).

Durant l'invasion russe, le bus a été massacré. Vitre brisée, impacts de balles. Anton me lance:

«Ils ont même pris la machine à café»

Pour vous donner une idée 👇🏼

Vidéo: watson

Dans les environs, cela ne respire plus la capsule temporelle de 1986, mais le pillage.

L'occupation russe a aussi touché le tourisme

Je décide de contacter Chornobyl Tour. La co-gérante de la société, Kateryna Aslamova, confirme qu'il s'agit bien de leur bus. Impuissants, les guides ont subi la fermeture de la zone au public.

Mais lorsque les troupes russes ont débarqué, les employés de Chornobyl Tour ont pu aider les troupes ukrainiennes d'une façon étonnante. Sur Telegram, Kateryna Aslamova me raconte:

«Les troupes russes ont tiré sur toutes les caméras d'état, et coupé l'électricité afin de s'assurer que les informations concernant leurs mouvements ne filtreraient pas. Mais nos caméras situées à l'entrée de la Zone fonctionnaient grâce à un générateur. Nous avons pu continuer d'envoyer des informations à l'armée de cette manière.»

Mon expérience «touristique» à Tchernobyl en vidéo👇🏼

Vidéo: watson

Les guides touristiques de Chornobyl Tour se sont donc mis à aider activement l'armée ukrainienne:

«Les premiers jours, on regardait les vidéos et on comptait le nombre et le type de véhicules qui passaient, puis on transmettait ces informations à l'armée.»

Désormais, les employés de Chornobyl Tour sont actifs dans le volontariat, et partagent également leurs compétences en matière de protection contre les radiations. Tout comme Anton, leurs années d'expérience et leur connaissance de ce site désormais ultrasensible profitent encore aux soldats qui se relaient sur la Zone.

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source: clcpc
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