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«100 000 touristes par an»: J'ai visité Tchernobyl et ses attractions

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J'ai visité la «Zone» interdite à tous en Ukraine

La zone d'exclusion qui entoure la centrale nucléaire est désormais fermée au public. J'ai toutefois pu la visiter, marchant sur les traces d'une industrie qui était florissante juste avant la guerre.
16.11.2025, 07:0316.11.2025, 07:03
joel espi / tchernobyl

On l'appelle la zone d'exclusion de Tchernobyl, la zone des 30km, ou simplement La Zone. Il s'agit d'un périmètre de sécurité situé autour de la fameuse centrale nucléaire, 5000 km² à cheval entre l'Ukraine et la Biélorussie.

C'est là que, le 26 avril 1986, la plus grande catastrophe nucléaire de l'histoire de l'humanité a secoué la planète. Et c'est sur ce territoire que l'on trouve désormais la contamination radioactive la plus importante au monde.

Durant un temps, la Zone a été accessible au public, et les touristes du monde entier avides de sensations fortes s'y pressaient. Mais désormais, à la suite de l'invasion russe de février 2022, le territoire est fermé et l'activité touristique a totalement cessé.

Le plan de la Zone, qui comprend des forêts, des villes et des cours d'eau

Dans le bâtiment communal de Tchernobyl, un plan de la Zone.
Dans le bâtiment communal de Tchernobyl, un plan de la Zone.

Seuls les employés du site, les militaires et les journalistes disposant d’une accréditation fournie par Kiev peuvent accéder sur la partie ukrainienne de la zone. Les échanges et les communications avec la Biélorussie, allié de la Russie, ont totalement cessé.

Voici donc mon expérience en tant que seul «touriste» du jour, accompagné d'un guide fourni par le centre de gestion de la Zone.

L'entrée dans la Zone

Depuis Kiev, on accède en 2 heures de route à cette partie de l'Ukraine située à seulement 15 kilomètres de la frontière biélorusse. Dès le check-point, et durant toute notre visite, il faudra montrer patte blanche. Les autorités du site savent où je vais, ce que je compte visiter, et iront même jusqu'à vérifier toutes les photos que j'ai prises avant que je ne quitte la Zone, le lendemain.

De la grande époque touristique, durant laquelle des dizaines d'entreprises se disputaient la clientèle, il ne reste qu'une poignée de guides. Anton est l'un d'entre eux. A 40 ans, ce solide bonhomme m'explique:

«J'ai passé la moitié de ma vie dans la zone d'exclusion de Tchernobyl»
A l'arrêt de l'ancienne station de bus de Tchernobyl, il ne reste que le panneau «Kiev».
A l'arrêt de l'ancienne station de bus de Tchernobyl, il ne reste que le panneau «Kiev».

Les premières formalités passées, dont le contrôle du coffre de ma voiture, nous prenons la route et roulons quelques kilomètres en direction de la ville de Tchernobyl.

Nous traversons la réserve naturelle de Polissia, de belles forêts de pins. Difficile d'imaginer les drames qui se sont déroulés dans ce paisible paysage automnal. Mais sur les bords de la route, on aperçoit tout de même quelques panneaux qui préviennent contre le danger de mines, des restes de l'invasion et de l'occupation russe, au début de la guerre.

La route est quasiment vide. Nous sommes dépassés par des véhicules qui roulent à toute allure. «Ce sont les militaires qui roulent comme ça», m'explique Anton. A l'approche de la ville, mon guide sort son compteur Geiger, et m'explique la règle fondamentale:

«L'important, ce n'est pas la quantité de radiations, mais le temps que l'on passe à leur contact»

Autrement dit, plus un lieu est contaminé, moins il faut y passer de temps.

«C'est pour cela que, près de la centrale nucléaire, les soldats se relaient toutes les deux semaines environ.»

Tchernobyl, la ville encore «active»

Tout dans la ville de Tchernobyl respire l’époque soviétique. Dans notre hôtel, on trouve des couleurs pastel, des faux parquets qui grincent, et ce petit je-ne-sais-quoi de mélancolique qui flotte dans l’air.

En ce mois de septembre ou l'air commence à se rafraîchir, le chauffage n’est pas encore enclenché. Il fait cru, comme on dit. Alors il va falloir s'acheter une bouteille d'alcool fort pour se réchauffer, le soir venu.

Anton me l'assure également, le cognac est réputé pour protéger contre les radiations. Pas le choix, donc. D'autant que mon guide est un vrai pro. Egalement photographe, il connaît la zone et ses dangers comme sa poche. «C'est ma deuxième maison», lance-t-il.

Ma cuisine à Tchernobyl a un petit air postsoviétique

La cuisine de ma luxueuse chambre d'hôtel à Tchernobyl.
La cuisine de ma luxueuse chambre d'hôtel à Tchernobyl.

La ville de Tchernobyl ne se trouve pas dans le périmètre le plus dangereux de la zone d'exclusion. Et même si ses rues sont relativement désertes, la ville est «habitée» par des employés communaux et des militaires.

On y trouve quelques petits commerces, dont un magasin dans lequel il faudra revenir plus tard pour acheter notre gniôle. Pour des raisons sanitaires, la vente de l'alcool n'est en effet par autorisée avant une certaine heure.

La ville fantôme

Impossible de démarrer ce tour sans visiter la cité abandonnée de Prypiat. Dans cette ville fondée en 1970 vivaient près de 50 000 personnes. Construite juste à côté de la centrale nucléaire, elle fut évacuée de façon temporaire juste après la catastrophe. Ses habitants n'y sont finalement jamais retournés.

Le monument annonçant l'entrée de Pripyat a été rénové, et l'orthographe ukrainienne vient de remplacer le nom russe de la ville, plus de 40 ans après.
Le monument annonçant l'entrée de Pripyat a été rénové, et l'orthographe ukrainienne vient de remplacer le nom russe de la ville, plus de 40 ans après.

Pour y accéder, il faut passer un nouveau check-point. Un militaire aux yeux azur nous fait patienter quelques minutes. Tandis que son chien, très amical, nous tourne autour, Anton me donne des détails.

A la grande époque, les touristes se rendaient dans la Zone par bus entier. Une simple recherche sur internet permet de voir comment ces excursions s'organisaient.

Moyennant une centaine de francs, des agences comme Go2Chernobyl, Chernobyl Tour ou Gamma Travels (...) offraient de s'occuper des autorisations, du transport et de la visite.

C'est que le lieu est absolument mythique pour tout fan d'urbex, de sensations fortes et, disons-le, de dark tourism, ces destinations boudées ou interdites, qui respirent le danger, voire la mort.

Contactée, une autre guide me raconte la grande époque. Kateryna Aslamova travaille pour Chornobyl Tour, le plus grand des acteurs du tourisme dans la zone d'exclusion. Elle explique:

«En 2019, près de 130 000 personnes du monde entier sont venues visiter Tchernobyl. 80% d'entre elles étaient des étrangers. En 2021, nous étions aux chiffres d'avant-Covid.»

Le café Pripyat

Nous y sommes enfin. Nous marchons, seuls au monde, dans le décor postapocalyptique de Pripyat. Pour moi, c'est un rêve qui se réalise, plus de 6 ans après avoir découvert l'activité touristique des lieux. Anton est lui-même loin d'être blasé. Il m'emmène en premier au café Pripyat, un lieu autrefois idyllique situé au bord du fleuve éponyme.

A l’extérieur de la construction, dont il ne reste que les murs, on descend des escaliers colonisés par l'humus. Au bord du Pripyat se trouve une jetée, un souvenir du port aujourd'hui disparu.

C'était là le point de départ des personnes qui, privilégiées puisqu'elles travaillaient dans la centrale de Tchernobyl pour de bonnes conditions, pouvaient voyager un peu partout. Anton raconte:

«Il y avait même une agence de voyages où l’on pouvait acheter son billet d’avion»

Près de l'eau, mon guide pointe une allée vide désormais encerclée par les arbres. Sur les archives, on peut voir qu'il y avait là un couvert reliant le café à la petite zone commerciale du port.

En face, le petit port et l'agence de voyages

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Je jette un oeil au fleuve, suffisamment longtemps pour que mon guide lève mes doutes. Il sourit et me décourage d'envisager de m'approcher de l'eau de trop près:

«Tout est contaminé»

Cela serait pourtant envisageable, à condition de ne pas y rester trop longtemps. Anton m’avoue que, que, l’alcool aidant, lorsqu'il était «jeune et con», il a piqué une tête dans le fleuve, et a survécu.

A l'intérieur, le café a souffert. Son enseigne lumineuse est à terre, les larges baies vitrées ont été détruites. Dans ce qui était la grande salle, se trouve toutefois une surprise: un grand vitrail dans un style art déco.

On aimerait récupérer le vitrail et l'emporter à Kiev pour le mettre en valeur.
On aimerait récupérer le vitrail et l'emporter à Kiev pour le mettre en valeur.

Magnifique, la fresque a été presque entièrement conservée, preuve que, comme je m’en rendrai compte plus tard, l’art et la culture laissent les soldats indifférents. Dans un contexte de guerre, il est bien plus intéressant de saisir des appareils, des engins, des métaux.

En marchant, je me rends compte qu'il y a des endroits glauques absolument partout. Des arbres poussent à l'intérieur d'anciens locatifs. Des murs s'effritent, voire s'effondrent, comme c'est le cas pour un pan entier de la première école que nous visitons.

Les lieux les plus emblématiques de Pripyat

Musée à ciel ouvert

Ce lieu est la preuve que le pays ne s'attendait vraiment pas à l'invasion russe. Un an avant la guerre, les responsables de la Zone ont rassemblé ce qui est désormais une sorte de «musée à ciel ouvert». Cette immense place de stationnement regroupe différents types de véhicules qui, dans les années qui ont suivi la catastrophe, ont servi à décontaminer la région.

Les imposantes machines ont notamment servi à creuser des tranchées pour y enterrer les terres contaminées.
Les imposantes machines ont notamment servi à creuser des tranchées pour y enterrer les terres contaminées.

On y trouve aussi bien des chars d’assaut que des camions équipés d’épandeuses. Anton m’explique:

«Elles répandaient un liquide sur le sol afin que les particules radioactives restent collées et ne contaminent pas l’air.»

Les engins sont alignés et bien parqués, ici et là on trouve des panneaux explicatifs en ukrainien et en anglais. Près de l’entrée, un char a été reprint en rose. «Les Stalkers…», lance Anton avec agacement.

Tout est très didactique.
Tout est très didactique.

Les stalkers, ce sont ces visiteurs fantômes qui, avant et même après le début de la guerre, viennent sur les lieux pour des explorations sauvages, sans autorisation, et qui parfois finissent par taguer, voler, détruire.

L'humour des stalkers, qui n'hésitent pas à saboter des pièces historiques.
L'humour des stalkers, qui n'hésitent pas à saboter des pièces historiques.

Le terme a été rendu célèbre par une entreprise ukrainienne de jeux vidéos, GSC Gameworld. Ses jeux vidéo S.T.A.L.K.E.R comptent désormais quelque 15 millions de joueurs dans le monde, montrant que la fascination pour l’univers morbide autour de Tchernobyl ne perd par en popularité.

Le parc d'attractions

Le lieu est probablement le plus emblématique de la zone. Ce parc d'attractions devait voir le jour... en 1986. Anton m'explique:

«Il a fonctionné le temps d'un essai, mais n'a en réalité jamais été ouvert au public.»
La grand-roue de Pripyat est visible loin à la ronde.
La grand-roue de Pripyat est visible loin à la ronde.

Les images ont également fait le tour du monde: une grand-roue figée, des autos tamponneuses fantomatiques, le tout figé dans le temps.

Ces autos tamponeuses n'ont jamais bougé, pourtant elles ont fait le tour du monde.
Ces autos tamponeuses n'ont jamais bougé, pourtant elles ont fait le tour du monde.

En fin d'après-midi, il est déjà temps de rentrer à l'hôtel. Il n'est plus possible de visiter la Zone après la tombée de la nuit, et de toute manière, avec le froid qui commence à se faire sentir, les visites deviennent difficiles, comme je m'en rendrai compte le lendemain matin.

L'industrie est en suspend

QUAND, OÙ?

Anton m'explique son parcours de vie. Durant le fast des années 2020, il dirigeait une entreprise florissante d'excursions de la zone d'exclusion. Son salaire était plus que confortable:

«Je roulais en grosse voiture et je pouvais m'acheter du matériel photo et vidéo. Aujourd'hui, c'est terminé»

C'est lors d'un trajet en voiture - de location - que le guide me confie combien il gagne désormais, employé à plein temps par l'Etat pour des visites guidées, je dois lui faire répéter à plusieurs reprises. 200 francs par mois. Non, il n'y a pas d'erreur. C'est la moitié du salaire moyen ukrainien, qui est déjà misérable.

Désormais, ils ne sont que 3 ou 4 guides à se rendre régulièrement à Tchernobyl. Kateryna m'explique que Chornobyl tour partage à présent son expertise dans le domaine, notamment via un musée Tchernobyl situé à Kiev. Malgré la guerre, elle dit croire en l'avenir:

«Il y a toujours un immense intérêt pour la zone. Nous avons une longue liste d'attente de gens qui veulent visiter ce lieu si unique.»
Tchernobyl, c'était il y a 35 ans
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Tchernobyl, c'était il y a 35 ans
Des porcs et d'autres animaux d'élevage soumis à des tests de dépistage, après avoir été élevés sur des terres exposées.
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- L'Ukraine accuse la Russie d'avoir frappé l'arche de Tchernobyl
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