Elles sont neuf à marcher sur les quais d'Ouchy, bravant la chaleur qui écrase le bord du lac. Ces Ukrainiennes, pour la plupart vivant dans un foyer accueillant des réfugiés à Pully, ont décidé de se réunir ce jeudi 24 août pour fêter un jour symbolique et cher à leur coeur: la date anniversaire de l'indépendance ukrainienne.
Sur leur chemin, les femmes distribuent quelques ballons aux badauds sur les quais.
Quelques promeneurs acceptent les présents, avec un air surpris, un timide sourire, ou encore un petit geste de la main.
Mais en parallèle de ce 24 août symbolique pour les Ukrainiens, l'actualité bourdonne de nouvelles du front; cela ne fait pas 48 heures que le monde a appris qu'Evgueni Prigojine et Dmitri Outkine, les co-fondateurs du groupe Wagner, ont trouvé la mort dans un crash d'avion somme toute bien mystérieux.
Au sein du petit noyau de femmes, l'information est loin de faire l'effet d'une bombe. Elle n'est d'ailleurs au cœur d'aucun débat. C'est que les incessantes nouvelles du front, qui saturent leur messagerie personnelle comme le fil actu' des médias, peinent à transpercer le mur des angoisses quotidiennes. «J'ai appris la nouvelle, et j'avais de la peine à y croire», glisse Natacha avec précaution, évoquant la mort de celui que le monde avait surnommé «le cuisiner de Poutine».
Pour elle, cette disparition signifie que la guerre a franchi une nouvelle étape, mais rien qui ne soit susceptible de changer ou bouleverser son cours. Le nom de Prigojine lui-même est moins évocateur que le terme «Wagner» pour de nombreux exilés, explique Natacha. «Il s'agit d'individus très politiques», avance-t-elle.
C'est que l'entrain de la mobilisation et la fraîcheur des élans de solidarité pour ceux restés au pays se heurtent à des facteurs qui éroderaient les espoirs les plus affûtés: une guerre qui tire en longueur, et pour nombre d'Ukrainiennes, la réalité d'une vie constamment tiraillée entre espoirs de revenir à la maison, et nécessité de s'intégrer au sein du pays hôte. Pour certaines, 2023 a également rimé avec séparation d'avec la famille d'accueil suisse, faisant grandir isolement ou désarroi.
Revenant à l'actualité, Svitlana ébauche de son côté une analyse plus tranchée.
Pour la peintre de Jytomyr, Poutine avait tout simplement besoin de se présenter comme l'homme fort du Kremlin, capable de répondre aux demandes et à la pression de sa population. «Il a agi comme un leader qui se débarrasse d'une figure devenue, pour une partie de l'opinion publique, une menace pour la stabilité du pays». Mais tout cela, insiste-t-elle, n'est qu'un cirque médiatique.
Difficile d'en savoir plus, alors qu'un brouhaha de fin d'après-midi gagne la foule de plaisanciers sur la jetée. Sur ces mots mystérieux s'enchaînent quelques photos, suivies de quelques pas le long des quais. Enfin, une partie du petit groupe se sépare, battu par la touffeur du soir, ou peut-être par la lourdeur des coeurs. Nul ne pourrait dire si l'an prochain, la fête se fera à domicile.