La guerre en Ukraine est marquée par deux évolutions qui paraissent à première vue difficilement conciliables. D’un côté, les deux parties présentent régulièrement des innovations destinées à prendre l’avantage sur l’ennemi.
De l’autre, ces nouvelles technologies entraînent à la fois des contre-mesures, parfois d’une grande simplicité. Rares sont les véhicules militaires qui se déplacent dans la zone de combat sans protection. Chars et transports de troupes sont recouverts de cages destinées à bloquer les drones, et à éviter de lourds dégâts aux véhicules et à leurs équipages, et qu'on surnomme «chars tortues». Mais aujourd’hui, les protections vont bien au-delà de ces simples dispositifs.
Car l’Ukraine est devenue un véritable laboratoire d’essai pour les systèmes d’armement russes et occidentaux. La production locale a également gagné en puissance, et désormais, des drones de nouvelle génération fabriqués en Ukraine volent, roulent et naviguent sur tous les secteurs de la ligne de front.
L’Ukraine comme la Russie recourent de plus en plus à des filets de pêche dans les zones proches de la ligne de front afin d’intercepter les drones. Des rues entières du Donbass sont désormais couvertes par ces filets, permettant une traversée relativement sûre non seulement pour les convois militaires, mais aussi pour les véhicules civils. Des tranchées, des positions d’artillerie ou même des portions de forêts sont également équipées de ces installations.
Ces filets sont actuellement considérés comme l’ultime recours contre les petits drones dits FPV, pour «First Person View» («vue à la première personne»), généralement pilotés à l’aide de lunettes vidéo.
Ces engins présentent plusieurs avantages. Ils sont bon marché à produire, rapides, et capables de voler à haute altitude. Même pour des tireurs expérimentés, il est difficile de les abattre à la carabine. De plus, ces drones sont désormais équipés, surtout près de la ligne de front, de câbles à fibre optique leur permettant d'atteindre les 20 kilomètres de distance de vol. Cette connexion plus stable offre aux opérateurs une meilleure visibilité et, surtout, rend les brouillages électroniques inefficaces.
Dans cette guerre, l’usage de filets de pêche n’est pas entièrement nouveau. La Russie y a eu recours dès 2023, contrainte par la nette supériorité de l’Ukraine dans l’emploi des drones. Ces appareils attaquaient sans relâche soldats et véhicules russes, leur infligeant ainsi de lourdes pertes. Les Russes ont même protégé certains immeubles des villes proches du front avec des filets. Mais aujourd’hui, la situation évolue.
En réponse à la domination ukrainienne dans le domaine des drones, Moscou a investi massivement dans la formation d’unités d’élite, baptisées Rubikon, qui sèment la terreur notamment dans le Donbass. Plus nombreuses, plus spécialisées et mieux coordonnées, ces unités rendent leurs frappes encore plus mortelles.
Dans une interview accordée à t-online, l’expert militaire Franz-Stefan Gady explique:
Le déploiement accru de filets vise désormais à contrer Rubikon et d’autres unités de drones. Et cela semble porter ses fruits. En avril, le lieutenant-colonel Maksym Krawtschuk, chef de la communication des unités du génie de l’armée ukrainienne, déclarait au site Novynarnia:
Les projets ukrainiens sont ambitieux. Selon Maksym Krawtschuk, les principales voies logistiques le long de «toute la ligne de front, de l’Est au Sud» doivent être protégées d’ici la fin de l’année. Ces routes couvertes, surnommées «corridors de filets» par les soldats ukrainiens, pourraient transformer et marquer durablement de vastes régions situées le long de la ligne de combat. Krawtschuk précise:
Les ingénieurs ont commencé les installations dans la région frontalière de Soumy, sous menace russe depuis des mois.
La demande en filets est donc élevée en Ukraine. Beaucoup proviennent des Pays-Bas ou de Scandinavie, après avoir été mis au rebut par des pêcheurs. Dès le début de l’année, la fondation Volonter faisait état de plusieurs centaines de tonnes de filets envoyés des Pays-Bas vers l’Ukraine.
Le New York Times rapporte, par ailleurs, que l’organisation suédoise OperationChange a collecté quelque 250 tonnes de filets dans les pays nordiques cette année. Mais la Russie concurrence elle aussi l’Ukraine sur ce marché.
Ces filets ne constituent toutefois pas une solution miracle, et leur installation doit être soigneusement planifiée. Les positions de première ligne, où la mobilité est essentielle, ne peuvent pas être protégées de la sorte. Les soldats doivent aussi éviter que les filets n’entravent le lancer de grenades, sous peine de se mettre eux-mêmes en danger. Enfin, aucune ouverture ne doit subsister, sous peine d’être exploitée par des pilotes de drones aguerris.
L’utilisation des filets atteint également ses limites en ville. Dans la cité de Dobropillia, dans la région de Donetsk, les unités russes d’élite traquent depuis des mois aussi les civils. Une commerçante décrivait une atmosphère «effrayante» et expliquait:
A Kherson, capitale régionale du sud du pays, une élue a donné fin juin un conseil pratique aux habitants: avoir toujours des ciseaux sur eux. La ville est régulièrement visée par des drones russes FPV à fibre optique. «L’ennemi devient de plus en plus rusé», expliquait Oksana Pohomiy à la chaîne Espreso TV. Son conseil: