Pourquoi les services secrets russes enlèvent des civils en Ukraine
C'était en février 2025, sur la péninsule de Crimée annexée par la Russie. Alors qu'un habitant de Simferopol (sud) quittait son domicile pour se rendre au travail, il n’a pas prêté attention à la camionnette blanche garée en face de l’entrée de son immeuble.
Cinq hommes en civil ont alors bondi du véhicule, l’ont saisi par les bras et l’ont poussé de force à l’intérieur. Depuis, on ne l’a jamais revu.
Des vies arrachées
L’enlèvement a été enregistré par une caméra de surveillance installée dans la cour de l’immeuble. Les proches de la victime en sont convaincus, l’homme a été enlevé par le FSB, le service de sécurité russe. Aucun dossier pénal ou administratif n’a été ouvert à son sujet, et son nom n’apparaît sur aucune liste officielle de détenus.
Des enlèvements similaires d’Ukrainiens dans les zones occupées par la Russie se produisent régulièrement depuis le début de la guerre. Et les médias d'oppositions russes font état de plus en plus de cas.
Parfois, le FSB agit à visage découvert, et filme les arrestations de civils dans le but de diffuser des «scènes d’intimidation». Ainsi, en août 2025, une habitante de Primorsk, dans la région occupée de Zaporijjia, a été arrêtée. Elle était accusée d’avoir transféré de l’argent à l’armée ukrainienne, et risque jusqu’à 20 ans de prison pour «trahison».
Des milliers de personnes arrêtées
Dans un rapport détaillé, le centre pour la défense des droits humains Memorial a documenté les méthodes du FSB. Selon l’organisation, les cibles principales sont des militaires ukrainiens actifs ou retraités, des membres de la défense territoriale, des responsables locaux, des agents de sécurité, des volontaires, des chasseurs et des gardes forestiers.
Ces deux dernières catégories intéressent particulièrement le FSB, car elles possèdent légalement des armes. Coautrice du rapport, l’avocate Natalia Morozova nous a expliqué que le FSB aurait arrêté à lui seul plus de 7000 Ukrainiens. Elle explique:
Retenues dans des centres de détention provisoire, ces personnes sont désormais également enfermées dans des caves ou des garages. Natalia Morozova détaille:
Ces pratiques ont plusieurs objectifs, poursuit l’avocate. Il s'agit d'intimider la population, de neutraliser les membres de la résistance et de créer un réseau d’informateurs. Dans les territoires occupés, les habitants vivent dans la peur. L'avocate ajoute:
Un sac sur la tête, puis torturé
Le rapport de Memorial s’appuie sur de nombreux témoignages de victimes ayant survécu à ces détentions. Originaire de Kherson, l’ancien prisonnier Oleksandr Tarasov raconte:
Il raconte les humiliations subies:
Selon Memorial, de nombreux acteurs sont impliqués dans ces crimes contre l’humanité. Des soldats russes, des membres de la Garde nationale, des agents du FSB, mais également des fonctionnaires qui ont refusé de fournir aux familles des informations sur le sort ou la localisation des victimes.
A cela s’ajoute la plus haute hiérarchie de l’Etat russe, «qui a consciemment dirigé, appliqué et approuvé une politique de terreur dans les territoires occupés de l’Ukraine», explique le centre de défense des droits humains.
Traduit de l'allemand par Joel Espi