Voici pourquoi «l'ours russe est en train de mourir»
Qui va remporter la guerre que mène la Russie à l’Ukraine? La réponse pourrait bien se trouver dans l’histoire, plus précisément dans la Seconde Guerre mondiale.
C’est l’hypothèse de Michael Bohnert, ingénieur et expert militaire au sein du prestigieux groupe de réflexion Rand, qu’il a expliquée au Wall Street Journal et au Telegraph. Selon lui, il existe un parallel décisif à faire entre hier et aujourd’hui.
Les leçons de la Seconde Guerre mondiale
Après 1945, les Etats-Unis ont commandé plusieurs études pour comprendre pourquoi ils avaient gagné la guerre, explique Michael Bohnert, et quelle stratégie avait été la plus déterminante.
L’une des plus complètes fut les U.S. Strategic Bombing Surveys (réd. Enquêtes sur les bombardements stratégiques des Etats-Unis). Washington y analysait toutes les phases des bombardements en Europe et dans le Pacifique, en interrogeant aussi des centaines d’anciens militaires et d'industriels allemands et japonais.
Selon ces témoins, les attaques contre les infrastructures pétrolières et logistiques auraient, à elles seules, suffi à forcer la reddition de leurs ennemis respectifs, explique Michael Bohnert. Les Etats-Unis avaient alors bombardé les raffineries allemandes et coupé l’approvisionnement en brut, tout en ciblant routes, voies maritimes et lignes ferroviaires.
Mais les frappes sur les infrastructures pétrolières (raffineries, réservoirs et oléoducs) avaient été les plus décisives, souligne-t-il. En 1945, la Wehrmacht manquait cruellement de carburant. A la fin de la guerre, l’Allemagne transportait même vers le front des chars qui n’étaient plus en état de manœuvrer.
Priver la Russie de carburant
Depuis plusieurs semaines, l’Ukraine vise les infrastructures pétrolières russes, en particulier les raffineries. D’après l’agence Reuters, 58 attaques de ce type auraient été menées depuis début août. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky décrit ces frappes comme «les sanctions les plus efficaces» contre son ennemi. Une pénurie de pétrole, commente Michael Bohnert, «pourrait paralyser l’ours russe».
C’est précisément cette paralysie que cherche le gouvernement ukrainien, confie un porte-parole à Reuters. Le but est de provoquer des pénuries de carburants essentiels, comme l’essence et le diesel, afin de compliquer les opérations de Moscou sur le front.
Les conséquences concrètes d'une pénurie
Michael Bohnert cite les files d’attente interminables dans les stations-service, où voitures et camions attendent du carburant. Sur les réseaux sociaux russes, les plaintes se multiplient au sujet de la réduction des lignes de bus et les rayons vides dans les magasins. Fin septembre, l’armée russe a commencé à perdre du terrain dans les zones occupées d’Ukraine, et selon les soldats, les problèmes d’approvisionnement en seraient l'une des causes majeures.
Ces indices se confirment dans les chiffres. Entre 25 et 38% des capacités de raffinage russes seraient actuellement hors service, et ces pertes continueraient de croître. Il n’y aurait donc plus assez de carburant pour satisfaire à la fois les besoins civils et militaires.
Pourquoi la Russie manque de carburant
Selon Michael Bohnert, il est essentiel de distinguer le pétrole brut du pétrole raffiné. Les deux sont liés, mais remplissent des fonctions différentes. Le brut peut être exporté, et permet à la Russie d’acheter du matériel de guerre à l’étranger grâce aux revenus générés par ce commerce.
Le pétrole raffiné, en revanche, est indispensable au pays, car il fournit des produits à l’industrie et sert de carburant pour le transport. Sans lui, il est impossible de faire fonctionner les camions, les chars, les drones ou les avions.
La Russie peut compenser partiellement la perte de certaines raffineries. Elle peut, par exemple, acheter du carburant à l’étranger. Cependant, selon Michael Bohnert, cette marge de manœuvre reste trop limitée pour compenser la perte de 25 à 38% de ses capacités.
Poutine doit faire un choix
La réparation des raffineries est en outre complexe. Il manque à la fois de la main-d’œuvre et des pièces de rechange, tandis que l’Ukraine cible précisément les éléments les plus importants et les plus difficiles à remplacer.
La Russie doit désormais choisir entre plusieurs priorités, à savoir la part de pétrole raffiné destinée à l’économie, celle réservée aux automobilistes, aux intérêts des oligarques, et enfin, celle envoyée au front.
En tant que pays miné par la corruption, elle a toujours eu du mal à établir les bonnes priorités. La Russie devra encore lutter pour faire face aux attaques visant son infrastructure pétrolière et logistique, estime Michael Bohnert:
Mais même si la Russie vise de son côté également les infrastructures ukrainiennes, Michael Bohnert maintient son analyse. L’Ukraine perd certes des centrales électriques, mais la majorité des frappes continuent de cibler la population.
Moscou épargne en grande partie les infrastructures, probablement parce qu’elle voudrait pouvoir les utiliser en cas d’occupation du pays. L’Ukraine dispose par ailleurs d’un avantage décisif, plusieurs de ses voisins sont en mesure de lui fournir de l’électricité, des armes et du carburant.
Ce qu'il pourrait se passer maintenant
En Russie, des rapports font état de pénuries de carburant sur le front, mais pas en Ukraine, affirme Michael Bohnert. Il en conclut que la capacité de la Russie à poursuivre la guerre diminue progressivement à long terme. Il lance:
Cela ne signifie pas pour autant que cet ours s’effondrera sur le front. La Russie peut tenir, même en subissant des pertes terribles. Le spécialiste déclare:
Mais la dynamique est clairement du côté de l’Ukraine. Si cela ne change pas, celle-ci pourra repousser progressivement les forces russes.
La Russie va-t-elle finir désespérée?
Une Russie affaiblie pourrait devenir une Russie désespérée, estime Michael Bohnert. Il ne considère toutefois pas une attaque nucléaire comme un scénario réaliste. Le véritable risque serait selon lui l’emploi d’armes chimiques. Il prévient:
Dans l’ensemble, la dynamique militaire est du côté de l’Ukraine, et Vladimir Poutine devra tôt ou tard céder à la pression intérieure. Cela pourrait arriver dans 6 mois, à Noël ou dans cinq ans:
Traduit de l'allemand par Joel Espi