À l'ère des réseaux sociaux, à chaque fois qu'un humain fait un truc qui existe déjà, un autre humain un peu con y colle une étiquette dégueulasse, entre néologisme et anglicisme. Dans les classiques, citons le ghosting, ou l'art de «faire le fantôme» et de ne plus répondre aux messages de son ex-crush éploré. Mais connaissez-vous le caspering, issu du même champ lexical bancal, pour rompre en douceur?
Le caspering, c'est la version «gentille et bienveillante» du ghosting. Oui, comme dans Casper le gentil fantôme, en opposition à l'affreux lâche qui ghoste sans vergogne. On doit ce mot à l'International Business Times qui, il y a quelques années, a publié les résultats d'une étude qui n'a pas changé la face du monde: 80% des moins de 35 ans avaient déjà ghosté quelqu’un. Drama. Et le caspering...? Roulements de tambours... C'est juste le fait de ne pas ghoster l'autre, et de lui dire texto que c'est fini. Bienveillance, bonbons et chocolats.
Avait-on vraiment besoin d'un mot pour ça? Selon Alix Fox, une experte en éducation sexuelle interrogée par le journal, oui, parce qu’on aurait besoin de «davantage de psychologie positive» pour aborder la rupture. Saupoudrer une séparation avec un vocabulaire positif pourrait, toujours selon cette dame, «rendre les gens plus soucieux de bien se comporter envers les autres, mais aussi envers eux-mêmes». Ah, d'accord. Pour chaque «C'est pas toi, c'est moi...» au lieu d'un ghostage, quelque part, un chaton mignon voit le jour.
Bon, précisons que le caspering, tout comme le ghosting, s’adresse plutôt aux gens qui sont dans une relation pas sérieuse. Ça ne marche pas si vous vivez sous le même toit, marié, trois enfants. Là, prenez un avocat.
Il existe plein d'autres anglicismes affreux pour aborder des concepts relationnels. Il y a par exemple le «zombieing», la technique du mort-vivant, qui sert à décrire un ex qui revient vous hanter comme un zombie. Après vous avoir ghosté pendant des mois, ce fantôme vous envoie un message tout pourri du genre «ça fait un bail, tu deviens quoi?».
Citons aussi le soft ghosting, sorte de ghosting à mi-temps: l'autre vous répond, mais uniquement quand ça l’arrange. Pour les adeptes du «je préfère me braquer et faire l’autruche plutôt que de discuter comme des adultes», cette façon atroce de se comporter a aussi un petit nom nul, le stonewalling, ou «faire le mur de pierre» en bon français.
Et mon préféré dans ces néologismes foireux empruntés à l’anglais, c’est l’imprononçable breadcrumbing. Essayez de le dire à voix haute en mangeant des Blévita, qu'on rigole. Vous voyez ce que vous venez de postillonner sur la moquette? C'est métaphoriquement la définition de ce mot: ce sont des «miettes de pain digitales balancées avec parcimonie». C'est pas clair? En gros, c’est quand votre crush vous lâche un pauvre like de temps en temps, ou un petit message avant une période de ghosting… Bref, un énième mot qui pue.
La raison d'être de tous ces mots qui donnent l'impression de bosser dans une boîte dont le siège social se situe dans un paradis fiscal? Aucune.
- Hello Pascal, on se cale un call? Faut qu'on brainstorm avec la team marketing, les key account managers veulent un feedback ASAP.
OK, ça sert à intellectualiser des concepts. Plutôt que de se contenter de dire...
- Jérôme est un con.
- Grave.
... Grâce à ce vocabulaire enrichi, on peut aller plus loin:
- Jérôme est un con, après m'avoir ghostée pendant des mois, il est passé en mode zombieing. De toute façon, cette relation est vouée à l'échec, c'est un pro du stonewalling.
- Grave.
La finalité de la discussion est la même, mais vous avez rempli l'espace avec des néologismes volés à l'anglais. Elle est pas belle, la vie?!